« Pour l’IA et la cybersécurité, la question de la disponibilité des talents en Wallonie pose un gros problème »

« Pour l’IA et la cybersécurité, la question de la disponibilité des talents en Wallonie pose un gros problème »
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Benoît Hucq est une personnalité discrète. En dehors de l’écosystème numérique wallon, peu de gens savent qu’il a été « Monsieur. Digital Wallonia » depuis son arrivée en 2015 à la tête de l’Agence du Numérique (AdN), créée la même année par le gouvernement wallon. . “Benoît Hucq a un énorme sens du travail en équipe et de la loyauté. C’est un pragmatique dont la seule préoccupation était de faire fonctionner l’Agence au service de la Wallonie.», dit à son sujet l’un de ses plus proches collaborateurs. Ses interviews dans les médias sont rares.

Alors qu’il s’apprête à passer le relais (le gouvernement wallon n’a pas encore décidé du nom de son successeur), Benoît Hucq nous a longuement reçu, dans les bureaux namurois de l’AdN, pour défendre le bilan de cette société de droit public. dédié à la mise en œuvre de la stratégie numérique de la Wallonie.

Votre mandat à la tête de l’Agence du Numérique devait prendre fin en mars 2025. Vous avez néanmoins informé le ministre wallon du Numérique, Willy Borsus, que vous partiriez le 1er juillet. Pourquoi partir un an avant l’échéance prévue ?

A chaque changement de législature, de nouveaux enjeux et de nouveaux objectifs sont fixés pour les cinq prochaines années. Il me paraissait important que le nouveau directeur général de l’AdN puisse être pleinement investi dès le début de la nouvelle législature wallonne. Cela fait maintenant neuf ans que je dirige l’AdN et, personnellement, passer le relais maintenant ou l’année prochaine ne changerait pas grand-chose. Il est également bon de partir en laissant une situation favorable. L’AdN, qui emploie 45 équivalents temps plein (contre 30 en 2015), fonctionne bien. Elle est pleinement mobilisée, connue et reconnue.

A votre arrivée, en 2015, l’Agence du Numérique a succédé à l’Agence wallonne des Télécommunications (AWT). Entre AdN et AWT, quelle est la différence ?

L’AWT était une administration regroupant un certain nombre de personnes. L’AdN, qui fonctionne avec un conseil d’administration (tout en étant sous la tutelle du ministre du Numérique, NDLR), est une organisation efficace avec une stratégie, des missions, une vision, des valeurs, un budget de fonctionnement et des moyens d’action. J’avais deux priorités à mon arrivée. D’une part, mettre en place une équipe capable de délivrer des services à valeur ajoutée. D’autre part, faire connaître et reconnaître l’AdN. C’est aussi pourquoi nous avons rapidement créé la marque Digital Wallonia. Je ne souhaitais pas une nouvelle agence centrée sur elle-même, mais une organisation centrée sur un écosystème (entreprises, universités, citoyens, etc.).

Venir du secteur privé (de 1990 à 2015, Benoît Hucq a travaillé pour les groupes Siemens et Océ-Canon), libre de toute étiquette politique, a-t-il facilité la tâche ?

Je ne me suis jamais vraiment posé la question. Mais je crois que l’homme politique voulait quelqu’un qui avait une expérience de gestion dans le secteur informatique. Depuis 2006, je suis également président de l’Infopole Cluster TIC (dont le rôle est de fédérer les compétences universitaires et industrielles pour constituer un pôle d’excellence en technologies de l’information et de la communication, NDLR). J’avais donc une bonne connaissance de l’écosystème informatique wallon.

Stratégie numérique wallonne : un tableau de bord pour suivre les actions et leur impact

L’Agence du Numérique est là pour servir le Ministre du Numérique et la stratégie numérique du Gouvernement wallon. Cela n’en fait-il pas une sorte de super agence de communication pour l’action gouvernementale ?

Nous sommes bien plus que cela. L’AdN poursuit quatre grandes missions : la gouvernance, le suivi, la promotion et la transformation. La promotion n’est qu’une partie de notre action. L’Agence est également là pour inspirer l’action politique. Même si, en fin de compte, c’est le gouvernement qui décide, l’AdN a eu un impact significatif dans la manière dont ont été élaborées les stratégies et actions numériques de la Région. Nous tenions la plume très souvent. Par exemple, en matière de cybersécurité, c’est l’AdN qui a proposé la création d’une « équipe de gestion des incidents » pour aider les organisations, comme les hôpitaux, victimes d’une cyberattaque. Le ministre du Numérique n’avait rien demandé. C’est l’Agence qui a pris l’initiative en relayant les besoins de l’écosystème. Que ce soit en phase d’inspiration, de définition ou d’exécution d’un programme de la stratégie Digital Wallonia, nous avons toujours eu à coeur d’impliquer les acteurs de l’écosystème wallon.

L’Agence du Numérique compte environ 150 partenaires (pôles de compétitivité, centres de recherche, universités, laboratoires, associations…). C’est beaucoup. Cela ne compromet-il pas l’efficacité de la stratégie globale ?

(Sourire) Nous sommes dans la bonne direction, mais il reste encore au moins la moitié du chemin à parcourir. La première moitié du chemin est accomplie : aujourd’hui, les acteurs publics et privés de l’écosystème numérique wallon disposent d’un cadre de référence unique, incarné par l’AdN et la marque Digital Wallonia, avec une orientation commune. Ils savent dans quel cadre ils agissent et avec quels objectifs.

mouette

« Plutôt que de vouloir tout unifier sous un même toit, il me semble préférable d’adopter une approche pragmatique où les gens se parlent. Et là, il y a encore un long chemin à parcourir.»

Quelle est l’autre moitié du chemin ?

Certains souhaiteraient que l’AdN devienne une instance auprès de laquelle il faudra demander l’autorisation avant de lancer une initiative publique numérique. À mon avis, c’est illusoire et ce n’est pas sain. Si le Forem, par exemple, souhaite prendre une initiative spécifique dans le domaine du numérique pour favoriser la formation, il n’a pas à nous demander d’autorisation. En revanche, il serait utile, à certains moments, d’avoir des contacts pour promouvoir les initiatives et assurer une cohérence d’ensemble. Alors, plutôt que de vouloir tout unifier sous un même toit, il me semble préférable d’adopter une approche pragmatique où les gens se parlent. Et là, le chemin est encore long.

Benoît Hucq, directeur général de l’Agence wallonne du Numérique. ©Jacques Duchâteau

Le pragmatisme et le dialogue ne sont pas appropriés ?

Ce n’est pas forcément dans l’ADN de toutes les organisations et acteurs publics. Reste un autre point faible : c’est l’appropriation de la stratégie Digital Wallonia. Selon les ministres, cela varie. La politique de mobilité, par exemple, n’intègre toujours pas le numérique de manière structurelle alors qu’il pourrait s’avérer très utile (en termes de gestion du trafic, de prévision des risques, etc.). Autre exemple : la gestion de la production d’énergie décentralisée peut être optimisée grâce au numérique. Il n’y a cependant pas de stratégie, de la part du ministre de l’Energie, en lien avec Digital Wallonia. La stratégie Digital Wallonia gagnerait à imprégner davantage l’ensemble des politiques wallonnes dans une approche plus transversale. Cela fait également partie de l’autre moitié du chemin qui reste à parcourir.

Willy Borsus : « La stratégie Digital Wallonia a permis de doubler la taille du secteur numérique »

La Wallonie numérique progresse, si on vous comprend bien, mais est-elle au milieu du gué ?

Assez. Selon moi, il reste encore trois ruptures à faire.

La première est de faire circuler l’idée, à travers toutes les compétences gouvernementales, que le numérique permet de maîtriser et d’accompagner les ruptures sociétales que nous vivons. Plutôt que de dire « Oh ! non, nous ne voulons pas de 5G ou d’IA, nous devons arrêter cela », tous les ministres devraient soutenir les transformations induites par le numérique.

Deuxième rupture : le numérique doit être considéré par la Wallonie comme une opportunité de progrès, d’innovation, de résilience et d’attractivité du territoire. Aujourd’hui, nous avons un véritable secteur numérique en Wallonie, ce qui n’était pas le cas en 2015. Cela signifie création d’emplois et de richesses. Par rapport à 2016, nous avons doublé le poids du secteur numérique. Cela représente 3,1% du PIB régional. Et nous comptons aujourd’hui 10.500 emplois directs, équivalent temps plein, dans les 500 plus grandes entreprises wallonnes du secteur numérique. Il est important que chacun, notamment les ministres et députés wallons, reconnaisse que le secteur numérique est devenu un secteur à part entière.

La troisième rupture concerne la gouvernance publique. Le numérique doit être considéré comme un outil de gestion des politiques publiques grâce aux données, aux tableaux de bord dynamiques et au suivi en temps réel de tous les appareils. Là où il reste encore du chemin à parcourir, c’est dans le secteur public (SPW, Forem, Tec, Aviq, Awex, Wallonie Entreprendre, Sowaer, etc.). Si l’on ne prend en compte que l’aspect informatique, le secteur public wallon est constitué d’un ensemble de châteaux où chacun se regarde depuis sa tourelle. Il n’y a pas de stratégie de partage de données, pas de stratégie de partage d’infrastructures, pas de stratégie de sourcing de consultants… Rien. Sur ce point, le secteur public, qui représente encore 30% du PIB wallon, ne donne vraiment pas l’exemple. Il est vraiment temps d’avoir une gouvernance de l’informatique et du numérique public.

mouette

« À l’avenir, tout en maintenant les moyens dédiés au numérique, il faudra agir de manière plus sélective, notamment dans le financement public des projets de recherche. »

La Wallonie est-elle suffisamment armée pour réaliser ses ambitions numériques ? Le budget de l’AdN s’élève à moins de 7 millions d’euros… Ce n’est pas beaucoup pour faire de la Wallonie un champion du numérique.

A ce budget, il faut ajouter les moyens d’action accordés chaque année par le gouvernement (qui sont passés de rien à 14 millions d’euros depuis 2015, NDLR). Le problème est que nous n’avons aucune visibilité sur ces moyens d’action. Chaque année, nous devons les demander, pièce par pièce. Cela ne facilite évidemment pas le travail de l’AdN. Cependant, si l’on prend en compte l’ensemble des ressources budgétaires de la Région consacrées au numérique et si l’on prend en compte la situation budgétaire de la Wallonie, l’effort est loin d’être négligeable. Mais il est possible de faire mieux. Par exemple, les partenariats public-privé devraient être intensifiés. Un bon exemple est ce qui se fait entre la Région et les opérateurs télécoms (accord « taxe sur les pylônes »). Il ne faut pas avoir peur, pour certaines technologies, de nouer des partenariats avec des acteurs majeurs du numérique (Google, Microsoft…). Enfin, à l’avenir, tout en maintenant les moyens dédiés au numérique, il faudra agir de manière plus sélective, notamment dans le financement public des projets de recherche.

Reste la question de l’impact de tous ces programmes et de ces actions en faveur du numérique. En 2015, vous aviez déclaré : « Je suis optimiste pour l’avenir du numérique wallon ». Et en 2024 ?

Je dirais que le numérique est reconnu comme une opportunité à la fois de croissance et de développement du territoire, et que le chemin pour concrétiser cette opportunité est parcouru à au moins 50%.

Rendre le numérique tangible, un enjeu d’appropriation des technologies

La fracture numérique reste importante en Wallonie…

Effectivement. Si l’on prend le baromètre AdN sur la maturité numérique des citoyens, on constate qu’il y a encore environ 25% de la population qui déclare ne pas vouloir du numérique. Il va falloir sensibiliser et convaincre ces populations que le numérique est Source de progrès. L’autre point inquiétant, c’est la disponibilité des talents qui permettront à la Wallonie de gérer la cybersécurité, l’usage de l’IA dans les entreprises, l’accompagnement des enseignants dans les écoles… Là, on a un gros problème.

 
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