« Le marché a besoin d’être rassuré »

« Le marché a besoin d’être rassuré »
Descriptive text here

Les marchés sont entrés dans un processus de réévaluation des risques, selon Sébastien Gyger, CIO à la BCV, qui reste optimiste sur les actions et l’immobilier indirect.

La hausse des taux longs inquiète les marchés. Le rendement des bons du Trésor à 10 ans grimpe vers 5 % et les actions se corrigent. Comment devraient-ils évoluer cette année ? Sébastien Gyger, responsable de la stratégie d’investissement (CIO) à la BCV, répond aux questions d’Allnews :

Les marchés boursiers changent-ils de cap ?

On peut imaginer qu’une phase de consolidation se dessine. Ce sentiment nous a incité à prendre quelques bénéfices la semaine dernière. Nous étions surpondérés sur tous les profils de risque et sommes revenus à une position « neutre ».

Nous avons connu un très fort rebond de fin octobre 2023 à début avril, avec une hausse de 25% de l’indice S&P 500. La première partie de la hausse a été alimentée par la détente des taux longs américains (de 5% à 4%), la seconde par les signes de stabilisation de l’économie. Les craintes de récession ont été écartées puisque le secteur manufacturier se porte mieux, comme en témoigne l’amélioration des indices mondiaux des directeurs d’achat (PMI). Ces indices indiquaient une contraction en 2023. Ils viennent de s’améliorer et de passer au-dessus des 50 points depuis trois mois au niveau mondial. Les marchés ont positivement intégré ce point d’inflexion.

Les événements récents (ndlr : offensive iranienne en Israël) vous incitent-ils à être encore plus prudents ?

Non pas pour l’instant. Cela dit, les marchés sont entrés dans un processus de réévaluation des risques. Risques monétaires avec la persistance de l’inflation aux Etats-Unis et risques géopolitiques avec la menace d’une aggravation du conflit au Moyen-Orient.

Prévoyez-vous un choc majeur sur les marchés boursiers ?

Nous ne prévoyons pas, toutes choses égales par ailleurs, de choc majeur sur les marchés, c’est-à-dire une baisse de plus de 20 %. Mais une baisse de 10 % n’est pas à exclure cette année.

Si les indicateurs de croissance sont favorables, ceux relatifs à l’inflation sont-ils plus inquiétants ?

On observe une convergence d’amélioration sur la croissance dans les grandes régions et une divergence de trajectoire sur l’inflation.

«Nous avons également initié une position sur des actions suisses de petite et moyenne taille à la mi-février.»

Depuis 2022, tous les indices d’inflation ont sensiblement baissé. À l’heure actuelle, les tendances de l’inflation divergent, comme le révèle l’indice de surprise d’inflation de Citigroup. Si cet indice dépasse 0, la surprise est positive (les statistiques dépassent les prévisions du marché). Aux Etats-Unis, les surprises sont positives, alors qu’elles restent négatives en Europe. Ces différences de trajectoires devraient conduire les banques centrales à adopter des politiques monétaires différentes.

La BNS a été la première à agir et à réduire ses taux directeurs. Elle devrait être suivie en juin par la Banque centrale européenne (BCE), qui devrait constater une croissance atone et une baisse de l’inflation. Elle a objectivement des raisons de baisser ses taux directeurs lors de sa prochaine réunion de politique monétaire.

A l’inverse, les Etats-Unis devraient attendre septembre avant de réduire leurs taux directeurs puisque la Fed fait face à un marché de l’emploi solide, une croissance forte et certaines poches d’inflation encore rigides. Comme la Fed devrait maintenir ses taux élevés plus longtemps, le dollar sera soutenu. La question qui se pose est celle de l’avenir de la Bourse.

À combien de baisses de taux prévoyez-vous ?

Les marchés attendaient six baisses de taux en début d’année, puis quatre il y a un mois et deux aujourd’hui. Nous en attendons un en septembre et un en novembre ou décembre. Le risque réside dans la déception quant au nombre et au calendrier. On comprend pourquoi le marché s’interroge et réévalue les actions et différents secteurs : il doit digérer le rebond important et le retour des baisses de taux.

Entre le côté positif de la croissance et le côté négatif de l’inflation, quel est l’équilibre ?

Nous maintenons une vision constructive sur les marchés jusqu’à fin 2024, mais temporairement les marchés pourraient se consolider. Les valorisations sont tendues aux États-Unis, avec un multiple attendu des bénéfices sur 12 mois de 20,8 fois, contre une moyenne historique de 16 fois, des rendements obligataires à 10 ans supérieurs à 4,5 % et un sentiment optimiste du marché. jusqu’à la semaine dernière. C’est pourquoi nous avons pris quelques bénéfices et investi l’argent en cash afin de saisir de nouvelles opportunités un peu plus tard.

Le marché a généralement une vision à plus de six mois. Le marché anticipera-t-il bientôt des baisses de taux en 2025 ou ignore-t-il tout ce qui se passera après les élections américaines ?

Le marché doit être rassuré. Il veut voir que les taux baisseront effectivement en 2024, comme nous lui l’avons communiqué en début d’année, avant de commencer à faire des hypothèses sur des baisses de taux en 2025. Il doit aussi intégrer que l’économie est solide et que les résultats des entreprises sont meilleurs. orienté

“La baisse des taux va inciter les investisseurs à compléter leur exposition à l’immobilier.”

La bourse américaine représente 70 % du marché mondial. Cette proportion ne peut pas augmenter beaucoup plus. Qu’en déduisez-vous ?

Nous ne réduisons pas la part des actions américaines. On se pose fréquemment cette question, partant du sentiment que les investisseurs ont reconstitué leur allocation aux actions américaines. Mais, on s’est posé la même question lorsque cette part était à 50 %, puis à 60 %. Nous n’avons pas encore constaté de changement de direction.

Depuis la crise financière de 2009, les États-Unis ont surperformé le reste du monde. Sur le plan sectoriel, les valeurs des entreprises à très forte composante technologique surperforment, ce qui incite à maintenir une part significative de l’exposition aux actions américaines.

Apple et Tesla commencent à décevoir. Un changement en cours avec le Magnificent 7 ?

Pour citer un confrère, au début du film auquel il est fait référence, il y a 7 mercenaires et à la fin il n’y en a que 3. Plus sérieusement, les étoiles déchues peuvent aussi être remplacées, comme l’émergence de Nvidia, car les Etats-Unis maintient son leadership en matière d’innovation.

On observe une grande dispersion des performances. L’indice SMI n’a gagné que 2% en 2024, contre 12% pour l’indice Euro Stoxx 50. Qu’adviendra-t-il des actions suisses ?

Nous n’avons pas modifié notre approche des actions suisses. La Suisse a déçu en 2023 et 2024. C’est un marché défensif. Roche, Nestlé et Novartis, bien représentés dans les indices, sont moins bien orientés que par le passé. Les attentes d’une hausse des actions du secteur de la santé à la suite de la pandémie se sont révélées exagérées.

La force du franc suisse a également pénalisé les valeurs des exportations en 2023. Aujourd’hui, la tendance sur le marché des changes s’est inversée. Depuis décembre dernier, la BNS a opéré un premier virage. Elle rachète désormais des devises, et elle l’a même fait de manière significative en mars. Une politique qui affaiblit le franc. Elle a ensuite été la première à baisser ses taux directeurs, ce qui a également pénalisé le franc. Pour nous, cette évolution constitue un facteur de soutien pour le marché des actions suisse.

Nous avons également initié une position sur les petites et moyennes valeurs suisses à la mi-février. Cette partie de la notation bénéficie de l’amélioration du secteur manufacturier dans son ensemble et de l’affaiblissement du franc suisse.

Notre investissement dans les « small & midcaps » suisses est un facteur de diversification qui se justifie également par une valorisation correcte en valeur absolue et relative, après les excès de 2021. Ce segment présente un potentiel de croissance plus important. Ces sociétés sont bien gérées, notamment par rapport aux petites et moyennes capitalisations d’autres régions du monde.

Le franc va-t-il encore baisser à l’avenir ?

La BNS est prête à agir pour continuer à affaiblir le franc. Les indicateurs montrent que le franc reste cher, même s’il a chuté de 5,5 à 8% face à l’euro et au dollar depuis le début de l’année. Le franc suisse en termes réels (corrigé de l’inflation et corrigé des échanges commerciaux) revient aux points de cherté de 2015, c’est-à-dire après la levée du taux plancher. C’est encore un peu cher par rapport au niveau qui devrait satisfaire la BNS.

Nous nous attendons à ce que la BNS intervienne à nouveau et abaisse ses taux en juin, à condition que la BCE agisse également. La BNS n’interviendra pas seule deux fois.

Le changement de président ne jouera-t-il pas un rôle ?

Cela ne devrait pas être le cas. Chaque président du BNS a finalement marqué son époque, chacun pour des raisons différentes selon le milieu dans lequel il a évolué. Cela dit, il est intéressant de constater que, contrairement à celles des autres présidents de banques centrales, les déclarations de Thomas Jordan ne permettent jamais de lire ses intentions. Récemment à Genève, il a seulement laissé entendre que la BNS était guidée par les trajectoires de croissance et d’inflation en Europe.

Dans un souci de continuité et d’indépendance, il est dit que le futur président sera choisi au sein de l’institution.

Sur l’inflation, à partir de quel niveau le baril de pétrole va-t-il commencer à inquiéter ?

Le prix qui amènera les acteurs du marché à déduire des scénarios alternatifs est celui de 100 dollars le baril. C’est ce niveau qui effraie les gens, ralentit la croissance et augmente le risque d’inflation.

Vous avez de fortes convictions haussières sur un marché actions autre que les Etats-Unis ?

Nous restons convaincus que les États-Unis ont encore un plus grand potentiel de développement que les autres marchés. Ils surperforment pour deux raisons. D’abord, on assiste depuis trois ans à un retour des activités industrielles aux États-Unis (re-shoring), qui soutient la croissance, les entreprises et l’emploi. Ce facteur est souvent sous-estimé. Deuxièmement, le développement de l’intelligence artificielle se fait davantage aux États-Unis qu’ailleurs, notamment dans son utilisation par les entreprises pour augmenter leur productivité. Les États-Unis sont les premiers dans ce domaine car ils ont la volonté et la capacité d’innover, les sources de financement, les connaissances et les ingénieurs.

Le marché japonais vous séduit ?

La hausse du marché japonais est moins impressionnante lorsque les gains sont convertis en francs. Le Japon est en partie compris comme un marché pour les entreprises ayant un bon accès au marché chinois et à ses consommateurs, sans prendre le risque d’investir directement dans les actions chinoises. Dans un portefeuille, son poids est bien inférieur à celui du marché américain.

Pour nos clients, les deux principaux marchés sont les Etats-Unis et la Suisse.

Qu’en est-il des marchés émergents ?

Nous n’avons pas encore sorti la Chine des marchés émergents comme l’ont fait certains établissements. La valorisation de ces marchés est historiquement très basse, mais on ne prévoit pas encore de hausse structurelle, car la hausse du dollar constitue un frein au développement des marchés émergents.

Quelles sont vos attentes sur le marché obligataire ?

Nous avions de fortes attentes l’année dernière sur le complexe obligataire et avons réinvesti l’argent dans cette classe d’actifs. Nous construisons des portefeuilles autour de trois poches obligataires. Obligations suisses de qualité avec une durée faible à moyenne, car la rémunération est satisfaisante. En recherche de diversification et de sensibilité aux taux, nous avons légèrement opté pour les obligations internationales « couvertes » fin 2023. Enfin, nous avons investi dans le « High Yield » américain et européen en raison d’un rendement très attractif en prenant très peu de risque de duration.

Le marché immobilier suisse est-il attractif avec la baisse des taux de la BNS ?

Les fondamentaux du marché immobilier suisse sont solides, avec un déséquilibre structurel entre l’offre et la demande qui soutient les prix. Depuis octobre 2023, dans l’immobilier indirect, les agios, ou primes de risque, se sont largement redressés. Nous sommes revenus à la moyenne de long terme. La baisse des taux incitera les investisseurs à accroître leur exposition à l’immobilier. Nous privilégions les fonds immobiliers cotés ou les sociétés immobilières. Nous avons accru cette exposition à la fin de l’année dernière.

 
For Latest Updates Follow us on Google News
 

PREV Les CDG du Maroc, de la France, de l’Italie et de la Tunisie renforcent leur coopération face aux défis du bassin méditerranéen
NEXT Le groupe Casino, en proie à de graves difficultés financières, a vendu 121 magasins à Auchan, Les Mousquetaires et Carrefour