« Les crises bancaires commencent toujours du côté des actifs »

Les autorités manquent-elles de visibilité sur les dépôts des banques européennes ? C’est ce qui était à l’occasion du premier anniversaire des crises bancaires de 2023, celles de la Silicon Valley Bank (SVB) et du Crédit Suisse. Directeur chargé de la surveillance bancaire à la Commission de surveillance du secteur financier (CSSF), Claude Wampach se veut rassurant sur la situation au Luxembourg.

Comment analysez-vous les résultats des derniers stress tests européens pour le Luxembourg ?

Claude Wampach. – « Il est important de distinguer les stress tests européens, qui font l’objet d’une publication, de nos évaluations internes annuelles. Ceux-ci reprennent des scénarios européens et les appliquent à l’ensemble du secteur bancaire luxembourgeois, y compris les petites banques. En 2023, ces exercices ont révélé une résilience notable du système bancaire luxembourgeois, avec une solvabilité suffisante pour faire face à des scénarios adverses. Une publication du Fonds monétaire international prévue en mai viendra également corroborer cette bonne capitalisation du secteur.

Les stress tests portent principalement sur les actifs du bilan. Y a-t-il un manque d’information concernant les responsabilités ?

« Il est vrai que l’actif bénéficie d’une plus grande visibilité, mais dire que le passif souffre d’un manque à ce niveau serait inexact. Du côté des actifs, nous disposons d’une vue détaillée par grands agrégats et par secteur, ainsi que d’un suivi de la concentration des risques. Pour le passif, même si nous ne disposons pas d’une mesure équivalente de concentration, nous avons une vision claire des grands agrégats de dépôts et nous identifions également les 10 plus gros déposants pour chaque banque. On a donc une idée assez précise de la structure du passif.

Comment valorisez-vous ces passifs ?

« Pour les analyser, on distingue d’abord les dépôts considérés comme stables et ceux considérés comme moins stables. Les dépôts de détail sont généralement considérés comme stables en raison d’une large dispersion des déposants, ce qui rend improbable un mouvement massif et simultané. Surtout, si ces dépôts restent inférieurs au seuil de garantie de 100 000 euros, ils ont tendance à être particulièrement immobiles. En revanche, les financements provenant de sources institutionnelles, ou financements de gros, représentent une fragilité : ces fonds, souvent sans échéance, peuvent être retirés à tout moment.

Qu’est-ce que cela signifie pour le suivi ?

« Nous accordons une attention particulière à la capacité des banques à mobiliser rapidement certains actifs de qualité en cas de retraits importants de dépôts. Nous veillons donc à ce que les banques puissent monétiser leurs actifs afin de rembourser leurs dettes. Dans l’activité d’intermédiation traditionnelle, cela ne va pas forcément de soi : un prêt hypothécaire peut être difficile à monétiser. Du côté du passif, nous concentrons notre analyse sur la stabilité et la diversification des dépôts, en tenant compte du modèle économique de chaque banque. Il s’agit toujours d’évaluer le bilan dans son ensemble, c’est-à-dire l’interaction entre l’actif et le passif.

Le modèle bancaire traditionnel présente une instabilité inhérente.

Claude Wampach, directeur, CSSF

Connaissez-vous la part des dépôts non assurés dans les banques luxembourgeoises ?

« Oui, nous disposons de données sur la répartition entre dépôts garantis et non garantis, qui varie considérablement d’une banque à l’autre. Dans les banques de détail, qui disposent d’une clientèle large et variée, les dépôts assurés prédominent. A l’inverse, dans les banques privées, qui s’adressent à une clientèle très fortunée, les dépôts non assurés représentent une part importante. Ces clients apportent des sommes considérables, dépassant largement le seuil des 100 000 euros assurés. Bien qu’ils cherchent plutôt à investir ces fonds, une partie reste en espèces au bilan de la banque, non couverte par l’assurance-dépôts.

Quelle est la part des dépôts assurés dans les banques luxembourgeoises ?

« Toutes banques confondues, la part des dépôts garantis s’élève en moyenne à 29 %. Cependant, compte tenu de la diversité des modèles économiques, il existe des variations importantes entre les banques. Pour les grandes banques de détail, la part des dépôts garantis dépasse généralement 40 %. Il n’y a pas d’interprétation mécanique, sorte de limite naturelle ou conservatrice à respecter. C’est pourquoi cet indicateur n’est pas suivi de manière globale, mais utilisé dans des analyses au cas par cas.

Quelle visibilité avez-vous sur la composition des dépôts ?

« Nous avons une bonne vue d’ensemble de la provenance des gisements, tant en termes de région que de secteur. Même si cette vision n’est pas aussi détaillée que pour les actifs, on sait si les contreparties sont des petites et moyennes entreprises, des ménages, des dépôts de détail, des entreprises ou d’autres banques. Si nécessaire, notamment dans le cas de banques jugées plus fragiles, nous pouvons approfondir notre analyse du passif grâce à une disposition légale nous permettant de demander cette information directement aux banques.

Cependant, il est important de comprendre que le modèle bancaire traditionnel, basé sur l’acceptation de dépôts et l’octroi de crédits, présente une instabilité inhérente en raison de la différence de maturité entre l’actif et le passif, exposant les banques au risque de retraits massifs. de fonds.

À quel prix ce risque peut-il être complètement éliminé ?

« Supprimer totalement ce risque impliquerait d’obliger les banques à ne détenir que des actifs liquides, ce qui reviendrait à abolir le modèle d’intermédiation bancaire traditionnel. Cela supprimerait la capacité des banques à transformer les dépôts à court terme en crédits à long terme, et donc à exercer leur fonction bancaire au sens traditionnel du terme. Une fonction essentielle pour le financement de nos économies, notamment en Europe.

Nous sommes dépendants des données fournies par les banques.

Claude Wampach, directeur, CSSF

Dans quelle mesure êtes-vous dépendant des informations fournies par les banques ?

« Nous sommes dépendants des données fournies par les banques. C’est à partir de ces informations que nous effectuons nos analyses. Nous effectuons néanmoins un travail d’assurance qualité sur ces données, même si nous ne pouvons examiner chaque donnée individuellement en raison de son volume important. Notre objectif est d’identifier les valeurs aberrantes et de vérifier la cohérence des informations reçues en fonction de notre compréhension du modèle économique de chaque banque. En cas de doute, nous vérifierons nous-mêmes l’exactitude des informations sur place, dans les banques, ou ferons procéder à un audit indépendant.

À l’avenir, pourrait-on envisager d’utiliser l’intelligence artificielle dans ce domaine ?

«C’est une possibilité. Pour l’instant, notre approche s’appuie principalement sur des programmes spécifiques pour détecter des anomalies ou des données inhabituelles. Ces outils guident nos agents dans leur analyse ou revue d’indicateurs clés liés au modèle économique de la banque. Aujourd’hui, ces applications sont calibrées par le jugement d’experts, demain l’intelligence artificielle nous aidera à les affiner.

Peut-on parler d’un manque de diversification des passifs au sein des banques luxembourgeoises ?

«Je dirais non. Bien sûr, on assiste à des concentrations, notamment dans les banques privées qui tendent à servir une clientèle fortunée. Cependant, cette focalisation en soi ne nous amène pas à tirer la sonnette d’alarme ou à exiger une révision du modèle économique de ces banques. Tout est une question de gestion équilibrée entre actif et passif. De plus, les relations dans le secteur de la banque privée sont basées sur la confiance. Les clients fortunés choisissent soigneusement où investir leur argent, en tenant compte de plusieurs facteurs tels que la stabilité de la banque et les activités dans lesquelles elle s’engage. On voit aussi qu’une activité a priori risquée, comme le crédit lombard, est aujourd’hui encadrée et finalement très bien contrôlée.

Ce est-à-dire?

« Avec le crédit Lombard, la banque accorde un prêt à son client, qui utilise ensuite ces fonds pour investir dans un portefeuille d’actions. Ce processus est encadré par des critères stricts, parmi lesquels la diversification du portefeuille, le surdimensionnement (le client doit également investir une partie de ses fonds propres) et les appels de marge en cas de perte de valeur du portefeuille. Ces mécanismes garantissent à la banque une flexibilité suffisante pour couvrir les pertes sans subir elle-même de dommages financiers. Il s’agit d’un modèle bien maîtrisé qui, même en période de volatilité des marchés, n’engendre généralement pas de pertes.

Notre collaboration avec la BCL repose sur un arrangement pratique.

Claude Wampach, directeur, CSSF

Quel est le message à retenir ?

« La clé est la confiance dans le modèle économique de la banque. Les déposants, en particulier ceux dont les dépôts dépassent le montant garanti, doivent avoir confiance dans la gestion des risques et la solidité de la banque. Une bonne gestion des actifs, une approche proactive de la gestion des risques et un capital important sont des facteurs qui réduisent considérablement le risque de retrait massif des dépôts. D’une certaine manière, les crises bancaires commencent toujours du côté des actifs. Et c’est aussi pourquoi l’action des autorités se concentre sur les actifs.

Comment se préparer à l’éventualité d’une crise ?

«Depuis 2008, les banques sont tenues d’élaborer des plans de redressement montrant comment elles réagiraient en cas de pertes importantes. Ces plans peuvent inclure des engagements des actionnaires à fournir des fonds supplémentaires, ou des stratégies de gestion des liquidités, telles que des crédits de refinancement auprès de la banque centrale. Pour que ces stratégies soient efficaces, il est essentiel d’être bien préparé, avec des canaux de communication et des systèmes éprouvés en place.

Comment collaborez-vous avec la Banque Centrale du Luxembourg (BCL) en matière de suivi des passifs ?

« Dans le cadre réglementaire européen, chaque État membre est tenu de désigner une autorité compétente en matière de surveillance bancaire. Au Luxembourg, cette responsabilité incombe à la CSSF, conformément à la législation européenne en matière de fonds propres. Cependant, après la crise financière de 2008, la BCL a jugé pertinent de jouer un rôle dans le suivi de la liquidité, compte tenu de son rôle de fournisseur de liquidité au sein du Système européen de banques centrales. Ainsi, une loi de 2008 a accordé à la BCL certaines prérogatives en matière de suivi de la liquidité, tant au niveau global que pour les établissements individuels.

Comment les responsabilités en matière de liquidité sont-elles partagées ?

« Nous avons réparti le portefeuille bancaire entre nos deux institutions, certaines banques étant sous la supervision directe de la BCL. Cette collaboration repose sur un dispositif pratique bien établi. Des lettres entre nos institutions formalisent notre coopération et définissent clairement la répartition des tâches, pour éviter tout trou dans le racket.»

 
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