L’importance des coûts de restructuration dans les retards de la tech européenne

L’importance des coûts de restructuration dans les retards de la tech européenne
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3 avril 2024

Le coût des restructurations majeures est-il un facteur parmi d’autres dans l’immense retard que connaît la tech européenne ? Nous avons expliqué ailleurs, à partir de notre expérience personnelle et de données publiques récentes, pourquoi il nous semble au contraire central[1]. Les coûts globaux de restructuration pourraient en effet être dix fois plus élevés en Europe qu’aux États-Unis pour les très grandes entreprises technologiques. Si ce résultat était avéré, il en résulterait une perte de compétitivité des entreprises, un appauvrissement des ménages et une perte d’influence sur la scène internationale.[2].

Il est donc urgent de confirmer cette hypothèse à plus grande échelle et avec toute la granularité nécessaire aux gouvernements européens pour répondre à ce problème majeur. L’objectif de cet article est de fournir un aperçu des études et des données existantes et de proposer un plan de recherche.

Le manque de financement des projets technologiques est souvent cité comme une des principales raisons des retards européens. Mais il faut peut-être se demander si ce n’est pas plutôt leur manque de rentabilité qui chasse les capitaux internationaux en quête de performance financière, où qu’ils se trouvent dans le monde. Un récent rapport montre que si le rendement du capital est 20% inférieur en Europe qu’aux Etats-Unis, c’est le secteur technologique qui est responsable à 90% de ce différentiel.[3]. Pourquoi la technologie serait-elle un cas particulier ? Tout simplement parce que le taux d’échec des projets à la frontière technologique est nettement plus élevé que dans les industries matures issues de révolutions industrielles plus anciennes, entraînant une baisse de leur rentabilité.

Un échec entraîne des coûts de restructuration des activités d’une entreprise : indemnités de départ, mais aussi des pertes opérationnelles résultant de contraintes administratives et juridiques, des coûts de reclassement et éventuellement des retards dans le lancement d’une nouvelle technologie lorsque la législation restreint l’embauche de nouveaux talents. Par exemple, lorsque Nokia annonce un plan pluriannuel avec des provisions jusqu’en 2026, cela entraîne des pertes opérationnelles plus importantes que lorsque Meta annonce une restructuration sur trois ou quatre mois. Meta peut opérer un changement stratégique immédiat alors que Nokia est durablement ralenti [4].

La difficulté méthodologique qui surgit rapidement est que ces différents types de coûts sont rarement connus de manière exhaustive, même si les analyses partielles ne manquent pas.

Il existe notamment une littérature académique sur la relation entre la taille des plans sociaux et le niveau d’indemnisation. On observe généralement que plus le nombre de personnes licenciées est élevé, plus le coût par employé est élevé et plus les coûts fixes sont élevés.[5].

D’autres études effectuent des comparaisons internationales des procédures de licenciement. Un des indices de protection de l’emploi compilée par l’OCDE concerne la rigidité des plans sociaux pour plus de 120 salariés : la France apparaît comme la plus rigide, les Etats-Unis comme la plus flexible[6]. Même si l’angle n’est que celui de la protection des travailleurs, on peut penser qu’il existe une forte corrélation avec les coûts supportés par l’entreprise.

Fait intéressant, leEnquête sur les licenciements internationaux de Deloitte distingue les licenciements pour raisons économiques justifiées des licenciements sans motif « réel et sérieux ». Ainsi en France, un salarié payé 130 000 euros par an avec 11 ans d’ancienneté recevra en moyenne environ 275 000 euros d’indemnité en cas de motif injustifié, contre un peu plus de 100 000 euros en cas de motif injustifié. justifié. Si depuis les ordonnances prud’homales de 2017, les indemnités prud’homales sont plafonnées (à 10,5 mois pour l’année 2024, dans notre exemple), on voit bien comment l’ensemble des indemnités cumulées peut atteindre plusieurs années de salaire.

Les données publiques existantes permettraient-elles des analyses plus systématiques des coûts de restructuration ?

Le point de départ pour la France est sans doute le enquêtes sur les coûts du travail et les structures salariales (Ecmoss) de l’Insee [7], qui donne, par entreprise, le nombre total de salariés licenciés et le total des différents types d’indemnisations versées au cours de l’année déclarée. Les entreprises ne répondant pas systématiquement à toutes les questions posées, on peut utiliser une deuxième base de données afin de réduire d’éventuels biais : la Déclaration mensuelle des mouvements de travailleurs (DMMO)[8].

On peut alors analyser les coûts de licenciement par rapport aux montants globaux de rémunération (au niveau individuel) versés par l’employeur grâce au Déclaration annuelle des données sociales (PAPAS).

Mais pour obtenir une information plus exhaustive, il est nécessaire d’utiliser des données fiscales en complément des données sociales et de pouvoir extraire des bases de données de la DGFiP les provisions comptables des charges de restructuration, dans l’espoir qu’il soit possible d’identifier précisément les charges afférentes. au personnel, qu’ils soient directs ou indirects – par exemple un coût de location de bureau imputable à un employé. Cela ne devrait pas être en principe une tâche insurmontable, et il convient également de noter que cette information est entièrement publique aux Etats-Unis pour les sociétés cotées. [9]. Au niveau international, il semble également possible d’obtenir des informations sur les restructurations dans la base de données Moody’s Orbis.

Dans tous les cas, une segmentation fine doit permettre de déduire les coûts relatifs aux différentes catégories d’emploi et de salaire. Il est également nécessaire d’assurer une correspondance rigoureuse des données dans le temps et dans l’espace – une grande entreprise licencie souvent du personnel dans différentes régions du monde.

La confidentialité est également une difficulté dans cet exercice. En France, la CNIL impose toujours des procédures d’autorisation préalable dans le cadre fixé par la loi « informatique et libertés » de 1978. Pour les projets de recherche économétrique, les délais peuvent se mesurer en années. Il faut donc saluer la volonté de la commission Aghion-Bouverot de mieux mettre le droit français en conformité avec le règlement général sur la protection des données (RGPD), qui repose sur le contrôle ex-post plutôt que des autorisations ex ante.

Notons enfin que plutôt que de tirer le meilleur parti des données dont nous disposons, et en utilisant souvent des modèles plus ou moins arbitraires, plus ou moins réalistes, il vaut mieux chercher d’abord à en élargir la portée. À condition de fournir des spécifications claires et des raisons précises, les pouvoirs publics mais aussi les agences internationales comme l’OCDE seront sans doute disposés à organiser de nouvelles collectes de données ou à augmenter la granularité des bases de données existantes.

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[1] Yann Coatanlem et Oivier Coste, « Tech : quand l’Europe s’éveille », Commentaire2023.

[2] Olivier Coste, Europe, technologie et guerreAmazon, 2022 (Prix Strasser 2023 de l’Académie des sciences morales et politiques).

[3] Institut mondial McKinsey, Assurer la compétitivité de l’Europe, 2022.

[4] Yann Coatanlem, « Pourquoi l’Europe est à la traîne en matière de technologie », Temps Financier, 26 février 2024.

[5] Francis Kramarz et Marie-Laure Michaud, « La forme des coûts d’embauche et de séparation », Économie du travail2004, 17(1), 27-37.

[6] OCDE, Perspectives de l’emploi de l’OCDE 2020, La sécurité des travailleurs et la crise du Covid-19chapitre 3, figure 3.8, 2020.

[7] Il est à noter que les données transmises par l’Insee à Eurostat dans le cadre du Enquête sur le coût de la main d’œuvre ne semblent pas inclure les indemnités de départ, ce qui rend difficile une comparaison européenne.

[8] Le rapprochement peut être effectué grâce au code SIRET, propre à chaque entreprise.

[9] En utilisant généralement le formulaire « Form 10-K » requis par la SEC américaine.

 
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