“La figure” de Bertrand Belin, un conte proche du fantastique pour raconter la souffrance

“La figure” de Bertrand Belin, un conte proche du fantastique pour raconter la souffrance
“La figure” de Bertrand Belin, un conte proche du fantastique pour raconter la souffrance

Enfant, le narrateur a choisi de s’installer au pied de son immeuble pour échapper aux violences de son père. Ainsi naît « La Figure », émanation de sa conscience, qui l’aide à survivre. Dans ce conte insolite, l’auteur et chanteur français Bertrand Belin parle de l’incapacité à raconter la souffrance.

« Le cou d’une oie a été coupé. Pourquoi ne pas commencer par rapporter cet événement ? L’image choisie par le narrateur constitue la métaphore de la blessure. Comme le corps de l’oiseau qui vient d’être décapité, il continue de se déplacer après la mort de celui qui en est la source. Dans les quelque 170 pages qui suivent, cet homme tente de commencer le récit de ses souvenirs d’enfance, à partir de ce jour où il a pris la décision radicale de ne jamais monter dans l’appartement familial, où un simple frottement de ses doigts l’un contre l’autre est de quoi déclencher la colère paternelle et une avalanche de coups.

Ce n’est pas avec toute la famille que j’ai voulu couper les ponts. Uniquement avec le chef de famille. C’est un rang. C’est le rang de leader. Cela en dit long. J’ai coupé les ponts, je m’en suis très bien sorti.

Extrait de « La Figure » de Bertrand Belin

Un pull, des poires, une feuille de laurier

Au pied de l’édifice, abrité par un laurier, le petit garçon entame une vie d’observation et donne naissance à la figure, son double intérieur, son « Sancho Panza », à la fois menace et sauvegarde. Abrité dans une petite pièce, réfugié sur un matelas défraîchi, il observe. Les allées et venues de sa mère, dont la physionomie et l’air nerveux trahissent la violence du père. Les voisins aussi, un couvreur et sa femme. Le cadavre d’un chien sur la plage. Une petite incursion, la seule, dans l’appartement familial pour récupérer un pull. Le poirier dans un jardin non loin, dont les fruits seront l’occasion d’un vol et de deux gifles.

Dans « La Figure », c’est moins l’histoire qui compte qu’un agencement de petits souvenirs en vrac, et la tentative du narrateur (Bertrand Belin lui-même à peine déguisé) de raconter la souffrance. Comme un moteur qui peine à démarrer, comme un tricot dont il faut passer les mailles d’avant en arrière, comme une chanson dont le refrain revient inlassablement, il y a un jeu de répétitions de mots, de motifs. « Il semble essentiel de dire ce qui s’est passé, mais il semble également impossible de le dire tel qu’il s’est passé. Le livre est dans cet espace entre les deux. Entre le possible et le faisable », commente Bertrand Belin.

Conte fantastique

A la limite du conte fantastique, « La Figure » rappelle le « Horla » de Guy de Maupassant, cette entité symbolisant les angoisses intérieures. Et non loin non plus, l’univers des nouvelles d’Italo Calvino : son « Vicomte Pourfendu » (1951) n’avait plus que la moitié droite de son corps, tandis que son « Baron Perché » (1957) choisissait de vivre sa vie dans les arbres sans toucher le sol.

-

Pour Bertrand Belin, il s’agit de trouver le moyen de « tisser le réel et d’intégrer la terreur » à partir de l’impossible ; des caractéristiques que l’on retrouve également dans les contes et légendes de Bretagne que Bertrand Belin lisait tant étant enfant. « La figure » est comme un petit ovni littéraire ; un monologue proposé qui fait volontiers résonner dans nos têtes la voix caractéristique de Bertrand Belin. Mais qui sait alors si c’est lui ou Le personnage qui parle ?

Ellen Ichters/sc

Bertrand Belin, « La figure », POL, janvier 2025.

Aimez-vous lire? Abonnez-vous à QWERTZ, qui fait peau neuve début 2025, et recevez chaque vendredi cette newsletter dédiée à l’actualité du livre préparée par la RTS Culture.

 
For Latest Updates Follow us on Google News
 

-

PREV L’influenceur Ricardo Godoi décède à 45 ans pendant une anesthésie pour un tatouage
NEXT la passion amoureuse de Pétrarque en musique à Carpentras