Lucas Debargue, pianiste à contre-courant, s’apprête à faire vibrer La Chaux-de-Fonds

Lucas Debargue, pianiste à contre-courant, s’apprête à faire vibrer La Chaux-de-Fonds
Lucas Debargue, pianiste à contre-courant, s’apprête à faire vibrer La Chaux-de-Fonds
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« Il faut emmener le public dans la projection de son imaginaire »

Le pianiste aux larges horizons – il a étudié les lettres entre 17 et 20 ans – n’a jamais joué au Music Hall de La Chaux-de-Fonds. « J’ai hâte de découvrir cette salle car j’en ai beaucoup entendu parler à travers les enregistrements », confie-t-il. Dans l’interprétation, il y a énormément d’imagination. Il faut réussir à emmener le public dans la projection de son imaginaire. Je ne suis pas un esthète idéaliste qui se dit qu’il faut construire une sorte de cathédrale des sons, le public étant spectateur de cette architecture sonore. De plus, j’ai très peu le côté audiophile : ce qui m’intéresse, c’est le côté assez brut du partage de musique. Je n’ai pas l’idée de m’asseoir et de vivre une expérience gastronomique en écoutant de la musique. Ce qui m’intéresse, c’est l’aspect discursif et narratif, c’est-à-dire comment créer une accroche, un point de départ pour ensuite développer le son et emmener le public avec soi. »

Lucas Debargue se méfie beaucoup de la notion de « référence » en matière d’interprétation : « Je pense que c’est une notion fausse et que c’est une impasse. Prenez les représentations de l’Annonciation dans la peinture italienne : nous avons besoin de toutes ces versions – et pas seulement de celles de Fra Angelico. Même chose pour la musique. « Ce qui justifie un concert, ce n’est pas de reproduire une énième fois la façon dont Maurizio Pollini jouait Chopin ou la façon dont Schnabel jouait Beethoven. Pour moi, une interprétation doit être une proposition. Si je joue un certain passage à ce tempo parce que j’ai entendu une certaine version « de référence » ou parce que mon professeur me l’a dit, ou encore pour apporter une sorte de satisfaction à des gens qui ont cette culture audiophile, cela n’a rien à voir avec art. On passe à un côté presque esthétique qui risque de friser le décoratif.

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Lucas Debargue dénonce également « les images d’Epinal qui collent aux compositeurs, à partir d’une photo ou d’un tableau, et d’un peu d’extrapolation romantique ». Il prend le cas de Chopin, dont on a tendance à « arrondir » les angles, souvent décrit comme « un aristocrate un peu malade » alors que sa musique est « incroyablement irrégulière, raide, utilisant des procédés de modulation extraordinaires ». Il se méfie de « l’espèce de construction culturelle autour des compositeurs » et de la transmission « dynastique » d’un élève à l’autre, au fil des générations. “L’interprète a le devoir, me semble-t-il, de déconstruire beaucoup d’idées reçues qui font presque partie de notre ADN.”

Surprendre et confondre le public

Il considère que s’éloigner d’une œuvre pour soi-disant y être plus scrupuleux ou fidèle n’a aucun sens. “Je me demande comment quelqu’un peut oser jouer Sonate Opus 111 de Beethoven si vous ne pensez pas être un peu comme Beethoven. Évidemment, on reste un humble serviteur de la musique, mais dès l’instant où on se met au piano, il faut tout essayer. Même dans sa physicalité et sa dimension organique, cette musique demande un investissement total de la part de l’interprète.

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Des réflexions passionnantes qui s’éternisent avec l’idée que ce n’est pas vraiment le piano qui l’intéresse, mais la musique, avec son contenu, ses ramifications intérieures. « Certaines personnes veulent entendre le son du piano. Pour moi, ce qui compte, c’est justement de pouvoir transformer le son, de faire oublier les marteaux. » Il cite le cas du pianiste Vladimir Horowitz : « Il y a chez lui des sonorités surnaturelles qui me fascinent, une étrangeté extrêmement addictive. » Mais Lucas Debargue ne cherche jamais à imiter ses sources d’inspiration : ce sont des « références », dit-il, restant fidèle à son éthique qui consiste à vivre de ses récitals et concerts, en marge des modes d’interprétation, même si elle signifie surprendre et dérouter le public avec des préjugés basés sur son esprit de pianiste-compositeur.


Lucas Debargue en concert, Music Hall, La Chaux-de-Fonds, mardi 21 janvier 2025 à 19h30

 
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