Marie Poulanges n’a rien oublié de cette première répétition à la Philharmonie de Paris en janvier 2015. « Le chantier était à peine terminé, il y avait de la poussière, le bruit des aspirateurs… Mais dès les premières notes, nous nous sommes tous regardés, émerveillés par l’acoustique de la pièce.»» évoque l’altiste de l’Orchestre de Paris. Après dix ans de résidence, la musicienne n’a pas changé d’avis : « Un tel cadre nous a fait progresser. Produire un son plein, généreux mais jamais saturé, ou rechercher la finesse la plus délicate de la musique de chambre. »
Si les artistes réguliers ou de passage vantent quasi unanimement les atouts de la grande salle Pierre-Boulez (jusqu’à 3 600 spectateurs), le public a parfois mis plus de temps à se familiariser avec le nouveau complexe musical parisien, situé au nord de la capitale à la limite de Seine-Saint-Denis. Prenant la suite de la Salle Pleyel du très chic 8e arrondissement, la Philharmonie attirerait-elle les fidèles des concerts classiques ? D’autant plus que « L’imposant bâtiment de Jean Nouvel reste exigeant », reconnaît Olivier Mantei, directeur général de l’établissement qui a succédé à Laurent Bayle en 2021, infatigable architecte du projet. « L’entrée n’est pas facile à trouver, on peut se perdre dans les couloirs et les escaliers. Nous avons travaillé pour rendre le lieu plus convivial, de l’éclairage à l’aménagement d’espaces de restauration dont la fréquentation a augmenté. Il faut donner envie aux gens d’arriver avant le spectacle et de rester après.»
La musique sous toutes ses formes
Le succès de la Philharmonie se mesure d’abord à l’aune de concerts où jazz, électro et musiques du monde côtoient, voire se croisent, classique et baroque, en majorité : leur taux d’occupation moyen est étudiant à 90 %. Succès également pour les nombreuses activités complémentaires, comme les ateliers d’éveil musical et de pratique amateur, les expositions, les conférences et les rencontres… « Chacun répond à une double ambitionreprend Olivier Mantei, à savoir l’excellence musicale et l’accessibilité au plus grand nombre. L’un ne peut exister sans l’autre. Que l’on soit un mélomane confirmé ou un nouveau venu, le choc esthétique est de même nature. »
Pour qu’un tel paquebot reste à flot, « 650 professionnels couvrant 500 métiers œuvrent au sein de la Philharmonieprécise Hugues de Saint Simon, son secrétaire général. Parmi eux, des musicologues et bibliothécaires, des spécialistes commerciaux et administratifs, des logisticiens et restaurateurs d’instruments… Et de nombreux spécialistes de la pédagogie et du développement des publics dont les compétences ont été précieuses pour créer, en 2021, la Philharmonie des Enfants adressée aux 4-10 ans.» Car il s’agit de favoriser le renouvellement des générations de spectateurs et d’encourager leur diversité. « En abaissant de cinq à six ans l’âge moyen de la population, nous sommes sur la bonne voiewelcomes Hugues de Saint Simon. Le défi demeure diversification sociale, commun à tous les lieux culturels. D’où des initiatives avec des associations locales, des maisons de quartier, etc. Ou des orchestres Démonstrations : 50 % des enfants qui en ont bénéficié s’inscrivent alors dans des conservatoires ou des écoles de musique. »
Evolution des codes
Marie Poulanges insiste également sur cet esprit d’ouverture : « La Philharmonie a donné du sens à mon métier. Cela change tout de travailler dans un complexe entièrement consacré à la musique sous toutes ses formes, où l’on rencontre des collègues d’autres orchestres, français et étrangers. Où on sent aussi que les auditeurs ont évolué. Et s’ils n’ont pas immédiatement les codes du classique, qu’importe ? »
L’équipe d’accueil, qui peut rassembler jusqu’à 150 personnes les week-ends où les représentations sont nombreuses, joue un rôle clé dans l’accompagnement et l’orientation des spectateurs. « Le critère requis est bien sûr la convivialité, remarque le secrétaire général, mais tout autant de sensibilité musicale. Ne serait-ce que pour inciter un retardataire à attendre avant d’entrer dans la salle afin de ne pas déranger les artistes ou les auditeurs…»
C’est par la somme de ces attentions qu’un établissement vaste et pluridisciplinaire parvient à attirer et, mieux, à fidéliser. Dix ans, compte tenu de l’histoire du répertoire musical, cela semble très court. Pourtant, une « génération Philharmonie » a déjà vu le jour, assurent les équipes de l’établissement. « Il s’agit désormais d’en créer de nouveaux, d’amplifier la dynamique de cette première décennie »plaident d’une seule voix Olivier Mantei et Hugues de Saint Simon.
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Trois dates clés
2015. Cette année marque un double anniversaire : en 1995 est créée la Cité de la musique, grande sœur de la Philharmonie qui l’achève et la développe vingt ans plus tard. Près de 21,5 millions de personnes ont visité le site depuis 1995.
En 2008, lancement de Philharmonie en direct, site qui propose notamment des archives de concerts filmés dans les différents espaces de la Philharmonie.
2025 marque également le centenaire du compositeur et chef d’orchestre Pierre Boulez, défenseur infatigable de la création de la Philharmonie de Paris. Son premier directeur, Laurent Bayle, a dirigé et développé le projet avant de remettre les clés à Olivier Mantei en 2021.