Sa façade est masquée par une grande bâche publicitaire masquant d’imposants échafaudages, mais elle abrite toujours l’une des deux salles de l’Opéra de Paris. Visité par un million de personnes chaque année, le Palais Garnier fête ses 150 ans en 2025. Retour sur son histoire et visite des lieux.
Difficile à croire, mais le Palais Garnier est né d’un attentat. Le 14 janvier 1858, Napoléon III et son épouse Eugénie se rendent le soir à l’opéra, alors situé dans l’étroite rue Le Peletier, à Paris. Un conspirateur italien, Felice Orsini, et ses complices, lancent trois bombes vers le carrosse impérial. Les monarques s’en sont miraculeusement sortis indemnes, mais huit personnes ont été tuées.
Napoléon III décide alors de construire, dans un endroit moins exposé et avec un accès sécurisé, un magnifique palais qui marquera son règne. Un concours international d’architecture est lancé fin 1860 sur un terrain choisi par le baron Haussmann, préfet de la Seine. Pas moins de 171 candidats présentent leurs projets. Contre toute attente, ce n’est pas Viollet-le-Duc, apprécié de Napoléon III, qui l’a emporté, mais un jeune architecte de 35 ans, Charles Garnier, lauréat en 1848 du prestigieux Grand Prix de Rome.
Les travaux de construction de l’Académie impériale de musique et de danse, commencés en 1861, furent interrompus en 1870 par la guerre contre la Prusse puis la Commune de Paris. Le bâtiment servait alors de réserve militaire. La nourriture et la paille y sont stockées. Dès 1867, les Parisiens purent découvrir la façade du futur opéra, jusque-là cachée sous une immense clôture. Ils ont été frappés par ses dimensions impressionnantes et son style, mélange de classicisme et de luxuriance baroque.
Les travaux reprennent en 1873, année de la mort de Napoléon III qui ne voit pas son beau palais achevé. Charles Garnier se battra pour que les lettres N et E, signifiant Napoléon et Empereur, restent sur la façade malgré la chute du Second Empire. En octobre 1873, l’incendie de l’Opéra Le Peletier donne un élan bienvenu au chantier qui s’enlise. Les sommes nécessaires à l’achèvement et à la décoration intérieure du bâtiment ont été réunies. Il faudra attendre une quinzaine d’années au total pour que le nouvel opéra voie le jour pour un budget total estimé à 36 millions de francs-or, l’équivalent de 329 millions d’euros.
Le 5 janvier 1875, quelque 2 000 personnes sont conviées à l’inauguration. Frou-Frou, chroniqueur mondain de Figaro écrit ceci : «Tout le monde avait cette ambition suprême : pouvoir dire ‘j’étais là !’ ». Il dit que jamais dans l’histoire des premiers nous n’avons discuté les coupons avec plus de détermination : «Il y a tout Paris et tout Versailles là-bas. Le grand monde, le Faubourg Saint-Germain est tout là. Perfide, il explique aussi que lors de la représentation, «nous passions notre temps à nous regarder, à nous saluer et à parler à voix basse. Des milliers de lampes à gaz éclairent le bâtiment. Elles seront remplacées par des ampoules électriques à partir de 1881.
Aux yeux des autorités de la Troisième République, créée en septembre 1870, Charles Garnier symbolise le régime précédent. On a « oublié » de l’inviter et puis on veut lui faire payer sa loge, qui n’est pas très bien placée, au prix de 120 francs. Indigné, l’architecte faillit se détourner, mais, reconnu par la foule, il fut finalement acclamé. Le Maréchal Mac Mahon, Président de la République, a profité de cet événement pour accueillir une cohorte d’invités prestigieux parmi lesquels la famille royale d’Espagne, le Lord Mayor de Londres et le Maire d’Amsterdam. La soirée restera dans l’histoire. C’est notamment la première fois que les dames sortent de leur loge pendant l’entracte pour admirer les tableaux de Paul Baudry. Garnier révolutionne les mœurs théâtrales !
On raconte, siècle après siècle, qu’en découvrant le palais, l’impératrice Eugénie s’écria : «Quel est ce style ? Ce n’est pas un style ! Ce n’est ni grec ni Louis XVI, non même Louis XV. Ce à quoi l’architecte aurait répondu : «Non, ces styles ont fait leur temps. C’est du style Napoléon III et vous vous en plaignez ! Il a
a mobilisé les meilleurs artisans, maîtrisant chaque détail, pour créer ce somptueux théâtre où le marbre rivalise avec les dorures et les mosaïques.
Aujourd’hui encore, le public s’émerveille au pied de son grand escalier, éclairé de part et d’autre par des sculptures de femmes tenant des bouquets de lumières. Ses marches mènent aux foyers et aux différents étages de la salle de spectacle. Pour le grand foyer de 154 mètres de long, Garnier s’est inspiré des galeries des plus grands châteaux. Le jeu des miroirs et des fenêtres accentue encore ses vastes dimensions.
La salle, toute de rouge et d’or, est éclairée par un immense lustre en cristal pesant 8 tonnes et demie. L’un de ses contrepoids eut le malheur de se détacher en mai 1896. Plusieurs personnes furent blessées, mais une seule mourut. Vrai ou faux, elle aurait été assise au siège numéro 13.
Le plafond initial, peint par Jules-Eugène Lenepveu, fut recouverte en 1964 d’une fresque monumentale de 220 m2 signée Marc Chagall. Une envie d’André Malraux, ministre de la Culture, de réchauffer cette salle aux couleurs claires qu’il trouvait un peu triste. Très coloré, le nouveau plafond rend hommage aux plus grands compositeurs. Son installation a provoqué une querelle qui dure encore entre les Anciens et les Modernes, les plus exaltés voulant abattre Chagall.
S’étendant sur plus de 11 000 m2 de superficie, Garnier est un labyrinthe. Il y a 17 kilomètres de couloirs, du grenier au sous-sol où la légende raconte qu’il y aurait un lac. Si de l’eau se trouve bien dans les fondations de l’Opéra de Paris, ce n’est pas un lac, mais une immense citerne. Ce caisson, situé à une dizaine de mètres sous la scène, permet de contenir une nappe phréatique. Charles Garnier l’utilisa comme contrepoids pour stabiliser l’ensemble du bâtiment. Il accueille régulièrement des plongeurs pompiers qui viennent se former en milieu fermé.
Autre légende vivante : celle du Fantôme de l’Opéra. En 1873, un pianiste, organiste et compositeur perd son épouse lors de l’incendie du conservatoire de musique de la rue Le Peletier. On raconte que cet homme, défiguré par l’incendie, se serait réfugié dans le Palais Garnier, encore en construction. L’écrivain Gaston Leroux s’inspire de cette histoire et publie son célèbre roman en 1910 : Le Fantôme de l’Opéra. Certains spectateurs le recherchent encore et réclament sa loge qui porte le numéro 5.
Quinze mètres en contrebas de la scène se trouve encore la salle des cabestans, à gros rouleaux crantés. Ces rouages, actionnés par les anciens marins, servaient autrefois à monter et descendre les toiles peintes des décors. Conservés en l’état, ils sont parfois montrés au public lors des Journées du Patrimoine.
Autre salle impressionnante, à l’étage cette fois, le centre des costumes. Classée monument historique, cette salle recouverte de boiseries rassemble, avant chaque spectacle, les trésors créés dans les ateliers de couture de l’opéra. Ces lieux historiques ont été soigneusement préservés, mais, en même temps, le bâtiment a continué à se modifier pour s’adapter à l’évolution de l’activité artistique.
La rénovation de la façade principale, débutée en 2022 avec la pose d’immenses échafaudages, se poursuivra au-delà de 2025. Les grands panneaux publicitaires qui cachent ce chantier déplaisent à beaucoup, mais ils permettent de financer les travaux. D’autres sont prévus notamment pour restaurer les toitures, l’entrée des artistes et la salle de spectacle. Le chantier le plus important débutera à l’été 2027 avec la rénovation et la modernisation de l’ensemble de la cage de scène. De ce fait, la salle restera fermée pendant deux ans.
Les spectacles seront proposés à l’Opéra Bastille, la deuxième salle de l’Opéra de Paris inaugurée en 1989, et hors les murs. Garnier continuera d’accueillir des visiteurs et des événements, mais uniquement dans ses espaces publics. Le manque à gagner s’annonce important étant donné que près de 350 000 spectateurs du monde entier se pressent chaque année au Palais Garnier.
Pour célébrer ces 150 ans, une série d’événements seront organisés tout au long de l’année 2025. À commencer par le 24 janvier avec un grand gala, réunissant tous les artistes de l’opéra et plusieurs invités prestigieux autour d’une programmation inspirée de la célèbre soirée inaugurale de 1875. Ce gala sera diffusé sur France 5, en léger retard, après la diffusion du documentaire de Priscilla Pizzato, Une journée extraordinaire : 24 heures pour the Opéra Garnier, un aperçu des coulisses du bâtiment.
En septembre, une exposition de costumes créés par les ateliers du Palais Garnier sera présentée dans l’espace public. Enfin, un parcours de visite spécifique a été conçu (depuis la rotonde des abonnés en passant par le bassin de la Pythie, le grand escalier, la salle de spectacle et les foyers) pour les visiteurs qui souhaiteraient découvrir la longue et belle histoire de ce théâtre. Cher Palais Garnier, nous vous souhaitons un très joyeux anniversaire !