Visages d’une nouvelle génération de journalistes, ils affrontent les nouvelles règles des médias. Ils se confient sur leurs amitiés, leurs parfois rivalités et surtout leur passion commune : l’information.
« Il faut dix ans pour devenir un bon journaliste », aurait un jour déclaré Thomas Sotto. Benjamin Duhamel , Aurélie Casse , Eliot Deval , Agathe Lambret et Amélie Carrouërfigures montantes de l’information en France, ont à eux deux une carrière d’un peu plus de cinquante ans. Moins que Michèle Cotta seule, mais leur avenir s’annonce tout aussi prometteur. Quand nous les réunissons, en ce mardi pluvieux de novembre, dans les locaux duFigaropour une séance photo unique, l’ambiance est bon enfant, notamment entre les garçons du groupe. ” Ah, encore CNews en avance ! » Benjamin Duhamel chambre aimablement Eliot Deval, représentant de la chaîne du groupe Canal+ dont les audiences dépassent celles de BFMTV depuis la rentrée.
Qu’ont-ils en commun ? Ils ont tous débuté sur une chaîne d’information en continu, occupant plusieurs postes, plus ou moins ingrats : de l’écriture de la fameuse banderole au terrain, en passant par la programmation ou le montage. “J’étais un vrai couteau suisse », confirme, amusé, Eliot Deval, 32 ans, qui a rejoint iTélé (ancêtre de CNews) le 4 janvier 2016.
Une ascension fulgurante
Une polyvalence qui contraste avec leurs aînés, comme Arlette Chabot ou David Pujadas. ” Nous sommes une génération avec une capacité d’adaptation et d’agilité car nous avons grandi avec ces chaînes d’information qui n’existaient pas il y a plus de vingt-cinq ans.», estime Benjamin Duhamel, qui a débuté comme reporter sur RTL avant de rejoindre LCI puis BFMTV où il travaille aujourd’hui. A seulement 30 ans, il est celui dont l’ascension a été la plus fulgurante. Le fils de Patrice Duhamel, ancien patron de France Télévisions, et de Nathalie Saint-Cricq, cheffe du service politique de la fonction publique, est dans tous les hors-série de la chaîne d’info : la dissolution de l’Assemblée nationale, la réélection de Donald Trump et les grands débats, celui entre Jordan Bardella et Valérie Hayer, notamment lors de la dernière campagne européenne. A la rentrée, il reprend un quotidien, « Tout le monde veut savoir » diffusé de 19h à 20h « Tout est allé très vite, c’est vrai concède-t-il. J’ai une passion pour ce métier et une obsession pour la réalisation de clichés », ajoute ce talentueux informaticien.
Et le benjamin des Duhamel en a déjà réalisé quelques-uns. Sur son plateau, Sébastien Cauet est venu pour la première fois se défendre des accusations de viols et d’agressions sexuelles portées contre lui. Et Ibrahim Maalouf a réagi à la polémique autour de son exclusion du Festival de Deauville à la fin de l’été. C’est l’autre particularité qu’il partage avec ses confrères présents sur notre couverture, notamment avec Aurélie Casse, 38 ans, qui a passé sept ans chez BFMTV. Dans “C l’hebdo”, sur France 5, qu’elle anime depuis deux saisons, elle a déjà signé des séquences mémorables comme le témoignage de Lio dénonçant l’aveuglement du cinéma dans l’affaire Depardieu ou l’annonce du changement de nom de l’Abbé. Fondation Pierre il y a quelques semaines. ” Nous avons également accueilli Jérôme Kerviel, qui n’était plus sur les plateaux depuis 2012. Il a choisi “C l’hebdo” pour son unique télé », dit-elle fièrement.
Lire aussi
“Ce ne sont pas des faits” : échange animé entre Ibrahim Maalouf et Benjamin Duhamel sur BFMTV
Présentatrice du « Temps de l’info » sur LCI, Amélie Carrouër, que nombre de ses confrères qualifient de «un travailleur acharné », peut se targuer d’être l’un des seuls au PAF à qui Jean-Luc Mélenchon accepte de se rendre. “Je vis actuellement la meilleure période de ma carrière », résume la journaliste repérée, à ses débuts, par Thierry Thuillier, l’actuel directeur de l’information de TF1, qui va lui donner sa chance à iTélé. A tout juste 40 ans (depuis le 18 septembre), elle se sent aujourd’hui plus épanouie que lorsqu’elle avait vingt ans. “J’ai plus confiance en moi et il y a un équilibre entre vie professionnelle et vie privée », raconte la quadragénaire devenue maman il y a deux ans.
“Je ne rentrais pas dans le moule”
Agathe Lambret
Nos « cinq fantastiques » ont réussi à s’affranchir de l’image souvent caricaturale du « journaliste de chaîne d’information ». “Au début, j’avais l’impression qu’il ne fallait pas bavarder mais, en fait, on a vite compris que la perfection n’existait pas. », analyse Aurélie Casse, qui, depuis son départ de BFMTV en 2023, s’est débarrassée du filtre par lequel devaient passer ses émotions. A l’antenne, elle éclate de rire, s’autorise désormais les blagues et n’hésite pas à dire à Gad Elmaleh et Vassili Schneider qu’elle les trouve très beaux. Agathe Lambret a toujours cultivé sa différence. “JEil ne rentrait pas forcément dans le moule », témoigne le présentateur de « Informés », sur Franceinfo. “Je n’avais pas le ton et la voix d’une « chaîne d’information ». C’est un environnement très structuré », poursuit la journaliste de 38 ans avec sa voix reconnaissable.
Leur parcours est aussi une histoire de rencontres. Agathe Lambret remercie Ruth Elkrief, la première à lui avoir transmis le virus de la politique. Parmi ses anges gardiens, Aurélie Casse cite Hervé Béroud, Marc-Olivier Fogiel (ses anciens patrons chez BFM) et plus récemment Pierre-Antoine Capton, le patron de Mediawan. Chez Benjamin Duhamel, on prétend qu’il serait le favori du milliardaire Rodolphe Saadé, nouveau propriétaire de BFMTV. Du côté de CNews, Eliot Deval apparaît comme le protégé de Pascal Praud, avec qui il a longuement parlé dans le casque et dont il est aujourd’hui le farceur, le week-end, dans « L’Heure des pros ».
Contrairement à leurs aînés, ces trentenaires doivent composer avec les réseaux sociaux. “C’est vrai qu’on peut faire une interview absolument passionnante et, sur », admet Benjamin Duhamel. «Mais j’ai tendance à penser que cela fait partie du jeu. Nous sommes exposés et nous devons accepter le revers de la médaille », confie celui qui a parfois été critiqué pour son nom de famille. Ce fut le cas de l’eurodéputée Sarah Knafo lors d’un entretien. “Je suis très fier de mon nom et de l’histoire de ma famille. Je demande seulement aux gens de me juger sur ce que je fais et non sur qui je suis », répond-il.
Un environnement compétitif
A l’heure où les médias décident de se retirer de X (ex-Twitter), cette jeune garde compte bien y rester. “La plateforme met également en avant des témoignages, des alertes et des appels à l’aide. Ce sont des déclarations fortes et pas nécessairement la dernière polémique en date», vante Amélie Carrouër. Cependant, elle ne lit pas les commentaires à son sujet. Et affirme n’avoir jamais cherché son nom sur Google. Les questions les plus récurrentes associées à ces nouveaux visages sur les moteurs de recherche ? “Sont-ils célibataires ou en couple ? » C’est leur autre point commun : ne pas évoquer leur vie privée, contrairement par exemple à Claire Chazal qui, aux belles heures, figurait dans l’une desParis-Matchchaque été. On sait juste que Benjamin Duhamel et Agathe Lambret sont en couple. “Je pense que personne n’est intéressé », a répondu un jour Aurélie Casse lorsqu’on lui a demandé avec qui elle partageait sa vie.
L’amitié entre certains d’entre eux n’est pourtant pas un mystère. Aurélie Casse et Agathe Lambret forment un groupe très soudé avec Salhia Brakhlia, matinale à Franceinfo, et Sophie Dupont, ancienne chroniqueuse de « Quotidien ». “Nous nous sommes rencontrés sur BFMTV se souvient Agathe Lambret.Quand on sortait du travail, on pouvait aller boire un verre.» Aujourd’hui encore, des retrouvailles sont régulièrement organisées autour d’un dîner. “Je les appelle aussi quand j’ai besoin de conseils. Les vraies amitiés sont rares dans ce métier, c’est un environnement très compétitif», analyse Agathe Lambret.
La fraternité a cependant des limites. Eliot Deval, figure montante de CNews, est régulièrement attaqué par des chroniqueurs de « Quotidien », comme Jean-Michel Aphatie ou Julien Bellver. En septembre, dans les colonnes deDimanche à la Tribune,Benjamin Duhamel a estimé que la chaîne du groupe Canal+ était un «chaîne d’opinion avec un projet idéologique« . Début décembre, Salhia Brakhlia n’a pas mâché ses mots sur le plateau de « Buzz TV » à l’égard de ses concurrents sur la chaîne 16. »C’est le signe que la chaîne fonctionne bien.», commente avec philosophie Eliot Deval, associant ces propos aux réflexes d’un «microcosme bien-pensant» et une peur obsidieuse. “La réalité, c’est qu’il y a beaucoup de Français qui regardent CNews et sont contents de nous suivre. Le reste c’est de la littérature», balaie-t-il, avec le sourire. Et si le temps de ces disputes était révolu ? A la fin de notre séance photo, Benjamin Duhamel et Eliot Deval se sont retrouvés pour un déjeuner. Une rencontre qui, à l’heure où nous écrivons ces lignes, n’a pas encore eu lieu.