Le travail relationnel de Myriam Mihindou

Le travail relationnel de Myriam Mihindou
Le travail relationnel de Myriam Mihindou

Née en 1964, Myriam Mihindou a grandi au Gabon, pays aux multiples cultures et aux innombrables langues d’où est originaire son père. Elle retient de cette jeunesse le goût de l’altérité et du langage. Arrivée en , pays de sa mère, à l’âge de 22 ans, elle fréquente l’Ecole des Beaux- de Bordeaux avant de voyager dans de nombreuses régions du globe (La Réunion, Egypte, Maroc, Haïti…). ). Là, elle s’imprègne des pensées et des traditions locales qui animent sa pratique multidisciplinaire, mêlant performance, dessin, sculpture, installation, vidéo ou encore photographie.

Son intérêt se porte sur les dégâts causés par la domination coloniale et postcoloniale, sur l’effacement de la mémoire, mais aussi sur la rencontre et le rituel. Apportant une valeur curative à son travail, Myriam Mihindou s’inspire du concept de « Relation » développé par l’écrivain martiniquais Édouard Glissant, qui repose principalement sur la reconnaissance des particularités de chacun, de la possibilité de changement par l’échange et de la nécessité de l’errance. De plus, le land art, le travail de Joseph Beuys et celui d’Ana Mendieta marquent son œuvre, traversée par le vivant et la sensibilité aux matières naturelles – cire d’abeille, terre, carbone, plumes, thé, racines, coton, chanvre, etc.

« UNE PRÉSENCE AU MONDE ET UNE PRÉSENCE À SOI»

La rétrospective synthétique de l’œuvre de Myriam Mihindou proposée par le Palais de Tokyo, à Paris – organisée par Daria de Beauvais et Marie Cozette – rassemble une vingtaine de pièces ou séries, réalisées depuis le début des années 2000. Le titre, « Praesentia », résume à lui seul la richesse de sa démarche. Ce terme latin exprime « présence », « force », « influence » et « protection », autant de notions qui ont longtemps nourri les recherches de l’artiste : « C’est à la fois une présence au monde et une présence à soi explique-t-elle dans un entretien avec Daria de Beauvais. […] C’est donc pour moi la présence du corps, de l’âme, de l’esprit et de la conscience de la mémoire.»

Dès l’entrée de l’exposition, le latin, dont est issue une grande partie de la langue française, se démarque avec une œuvre de la série Langues shakeées, qui matérialise dans l’espace le terme «plus loin », tracé en lettres de cuivre et verre soufflé. Cette série, débutée en 2015, est une exploration de l’étymologie du français. Les mots apparaissent parfois imprimés, tirés de dictionnaires, brodés ou dessinés à partir de matières naturelles dans un geste thérapeutique. D’abord cantonnés à la feuille de papier, cesLangues secouées– une dizaine sont présentées dans l’exposition – sortir du cadre pour, selon les mots de Myriam Mihindou, «prends le mur» et deviennent des sculptures, à l’instar de En outre. Ainsi, le mot existe physiquement, dans un enchevêtrement de fils de cuivre. Avec cette œuvre introductive, l’artiste nous incite à ouvrir grand les yeux.

En effet, l’exposition montre justement le corps, motif central du travail de Myriam Mihindou. Le corps qui entre dans la circulation du monde et de la nature, avec la série Le patron (en cours depuis 2022), semblable à un derme composé de multiples couches aussi résilientes que fragiles. Le corps tantôt précaire, tantôt enrichi par le déracinement ( Algues géantes II, 2022 ). Le corps cathartique, délivré de ses peurs par la transe collective ( Déchoukaj’15 2004-2006), ou encore la présence fantomatique des morts ( Intangible 2006). Avec Service (en cours depuis 2000), l’organisme a une connotation plus directement politique. Sur les tables, des dizaines de fourchettes entourent les empreintes, en terre crue ou cuite, des mains de l’artiste. Ou comment les colons exploitent autant les corps des colonisés que les ressources de leurs territoires.

«Je voulais vraiment penser à l’exposition comme à un grand monde ou à un grand corps […] questionnement du commun, transmission, histoire, écriture, politique,
le social. »

Vue d’installationPour une mémoire plus profonde d’Œdipe(To High Memory) by Myriam Mihindou in the exhibition “Le Grand Désenvoûtement. Chapter 1”, Paris, Palais de Tokyo, 2022. Avec l’aimable autorisation de l’artiste et de la galerie Maïa Muller, Paris. Photo Aurélien Molé

UNE QUÊTE DE RÉPARATION

Deux vidéos, présentées dans des espaces supplémentaires, complètent ces différentes expériences du corps.La robe volante(2008), par son dispositif – cadrage milieu du corps en plan fixe – et son sujet, n’est pas sans rappeler Liberté(1970) de Yoko Ono. Là où l’artiste japonaise, dont on ne voit que le buste et les bras, tente de se libérer des contraintes de son soutien-gorge, Myriam Mihindou, dont on ne voit que les jambes et les mains, tente d’arracher ses collants. En voix off, un monologue est délivré en espagnol sur la honte et la fétichisation. Il s’agit aussi d’empêcher le corps de Complet (2000), vidéo dans laquelle la Franco-Gabonaise s’interroge sur le poids des normes sociales : les pieds nus de l’artiste, vus subjectivement, hésitent à franchir un seuil, tandis que des rires cruels résonnent autour d’elle.

Dans la dernière grande salle de l’exposition, Myriam Mihindou poursuit ces expérimentations autour du corps, de la mémoire qu’il contient, de sa souffrance, mais aussi de sa puissance. La série Fleurs de peau commencée en 1999 et constituée de formes fragmentaires évoquant des ex-voto réalisés en savon, raku ou cire, conjugue les thèmes de la blessure ( Nez et lèvres cassés 2019) et la guérison ( Vivant2019). La même fragmentation apparaît dans l’installation Amygdale (2018). Ces sculptures en bois, cuivre et verre soufflé rendent hommage à des organes précieux : les amygdales pharyngées, qui, malgré leur rôle déterminant dans l’immunité, ont longtemps été retirées par les médecins ; et l’amygdale du cerveau, essentielle à la régulation émotionnelle de la mémoire.

Enfin, aux structures fragiles deAir Bulla(2024), qui célèbre l’équilibre et le collectif, répond avec une dernière vidéo,Lutte(2018) : lors de la Biennale d’art contemporain de Kampala (Ouganda), Myriam Mihindou accompagne les performeurs dans leur quête de stabilité et d’harmonie. “J’avais très envie de penser l’exposition comme un grand monde ou un grand corps, après nos expériences de confinement, questionnant le commun, la transmission, l’histoire, l’écrit, le politique, le social.explique l’artiste.Comment penser ensemble ce monde dans lequel nous sommes organiquement connectés ? Ce n’est donc pas un « public », mais des présences qui entrent dans l’exposition.» L’ouvrage qui ferme le parcours donne son nom à l’événement,Présence(2024), sculpture en tige d’aluminium ionisée déployant ce terme providentiel et réparateur sur le mur.

“Présence. Myriam Mihindou »

17 octobre 2024 – 5 janvier 2025, Palais de Tokyo 13, avenue du Président-Wilson, 75016 Paris.
7 février – 4 mai 2025, Crac Occitanie 26, quai Aspirant-Herber, 34200 Sète.

 
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