Écrit par Olivier López et Clémence Rouher
À le voir si à l’aise au milieu du troupeau de vaches allaitantes, rien ne laisse présager la vie à laquelle Mamadou a dû faire face. Quittant son pays, la Côte d’Ivoire, alors qu’il avait à peine 16 ans, il doit réapprendre à vivre en France. C’est en Béarn, dans une ferme, qu’il trouve au quotidien un soutien, des conseils et les bases d’une vie apaisée.
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A la ferme béarnaise, Mamadou Bamba a refait sa vie aux côtés de David Couture qui l’a accueilli il y a trois ans. C’était alors dans le cadre d’un apprentissage, avant que le lien qui les unissait ne devienne indestructible. Et que Mamadou, né en Côte d’Ivoire et arrivé illégalement en France, découvre le métier d’éleveur.
“Il est resté là le week-end, on s’est vite sympathisés”, se souvient David qui cherchait depuis longtemps quelqu’un pour l’aider à la ferme. “J’ai vu avec Mamadou un garçon qui avait envie et envie de se battre.” Ce désir et cette confiance mutuelle ont permis que tout se réalise. “Cela a été deux années merveilleuses” insiste le tuteur. Je lui ai appris des choses et il m’a appris des choses, nous avons formé un duo ». Un duo qui dure au-delà de l’apprentissage. Aujourd’hui, Mamadou se sent chez lui dans cette ferme, auprès de celui qui lui a accordé sa confiance.
“Le veau élevé sous la mère, avant, je n’en savais rien”» dit en souriant le jeune adulte venu des confins de la Côte d’Ivoire. «C’est lui qui m’a appris toutes ces techniques.» Mamadou vit désormais la consécration aux côtés de David.“Il arrive qu’il me laisse la ferme pendant une semaine”, » confie-t-il, comme gage de connaissance et de confiance mutuelle. Avant de continuer, un grand sourire dessiné sur son visage, “on peut dire que j’avance vers mon objectif.”
Et pourtant, rien ne pouvait laisser croire au jeune homme qu’il allait pouvoir vivre cette vie. Lorsqu’il quitte sa maison en Côte d’Ivoire, il laisse une grand-mère, une mère et une sœur, il quitte aussi l’insécurité, la faim et surtout la guerre. Issu d’une ethnie victime de représailles, il a passé son enfance dans la crainte du conflit à venir. Une peur qu’il raconte avec ses yeux d’enfant “En Côte d’Ivoire, ce n’était pas la première guerre ni la deuxième, dans l’histoire qu’on apprenait à l’école (…)
En 2002, il y a eu la guerre. En 2007, elle a voulu recommencer, et en 2010, elle est revenue.
Mamadou BambaApprenti agricole
Avec retenue, Mamadou explique qu’il n’a pas pu se rendre compte de ce qui s’était passé lors des conflits précédents. “En 2010, j’étais vraiment à fond, parce que je voyais tout, je voyais des gens tuer devant moi, je voyais plein de choses.” Plein de choses dont il a du mal à parler et qu’il ne veut pas ressasser. En - de guerre « les gens sont prêts à tout pour pouvoir manger », résume-t-il sobrement.
C’est alors que l’idée de l’exil commence à germer dans sa tête, souvent exprimée par ses compatriotes, ses voisins, ses amis. “Petit à petit, ça s’est installé dans ma tête… et ça y est, c’est arrivé.”
Mamadou est assez discret sur sa fuite. Il évoque brièvement son arrivée à Barcelone, le fait qu’il ne parle pas espagnol et qu’on lui a conseillé de venir en France. C’est ainsi qu’il décide de franchir la frontière avec trois compagnons d’infortune. Des quatre, il est le seul à avoir pu mettre les pieds en France, à Irun, avant de dire « Le voici, un endroit où vous savez que vous pouvez être en paix. »
Emmené à Bayonne comme mineur isolé, il est rapidement pris en charge et rencontre Danielle Ganchu-Lumier, bénévole auprès des associations d’aide aux migrants et de RESF, dont il parle avec des étoiles dans les yeux. C’est cette femme qui l’a pris sous son aile et a tout fait pour qu’il puisse faire ce qu’il voulait : étudier l’agriculture.
Lorsque Mamadou monte pour la première fois dans un train en France, il peut enfin contempler les paysages qui l’entourent.« J’ai vu un tracteur dans les champs et tout est parti de là. »
LAmusé, le jeune homme se souvient des questions de ses supérieurs. «Ils m’ont dit, DONC, Ne veux-tu pas autre chose que tes autres amis entrer dans le bâtiment ? mais Mamadou sait trop bien ce qu’il veut.
J’ai dit non, j’aime l’agriculture.
Mamadou BambaApprenti agricole
Cette fascination pour le travail agricole a des racines très profondes, « ce chemin est ancestral » raconte le jeune homme élevé au milieu des champs, « Je peux dire mon père, ma mère, mes grands-pères, mes grands-parents, ils sont tous issus du milieu agricole ». Celui “qui a vécu là-dedans”, se rend vite compte, dès son arrivée en France, que, “ce n’était pas du tout la même manière de travailler.” Loin du pastoralisme pratiqué dans son pays, il souhaite à tout prix apprendre les bases de cette découverte.
Après de nombreux tests de langue et de niveau, Mamadou intègre en fin d’année le lycée professionnel d’Orthez. Mi-décembre, au tableau, Mamadou se concentre sur la formule chimique qu’il a apprise par cœur. Il place ses molécules d’hydrogène et d’azote comme n’importe quel élève de l’année en cours. Et pourtant, le jeune homme est allé si loin. Son travail a porté ses fruits. Il est actuellement en première année de BTS Bioqualim au lycée agricole de Montardon, en alternance avec un apprentissage dans une ferme à Lescun.
Aujourd’hui, je peux le dire et je le dis haut et fort : ce que j’ai appris en vaut la peine, car cette chose peut me faire manger et sauver beaucoup de vies.
Mamadou BambaApprenti agricole
“Parce qu’à la maison” resumes Mamadou, “On dit que l’économie de notre pays, la Côte d’Ivoire, repose sur l’agriculture.”
Ce que Mamadou apprend, il veut le transmettre, comme nous avons pu le faire avec lui. Il souhaite apporter toutes ces connaissances acquises dans son pays d’origine, où « Les agriculteurs ne vivent pas de leur art » dit-il. Selon lui, en Côte d’Ivoire,“la terre n’est pas exploitée” ou avec difficulté, et qui plus est, les gens se tuent au travail tant il y a peu de mécanisation.
“Les agriculteurs ont des milliers de chances de pouvoir s’en sortir à l’avenir, mais comme ils n’ont pas les moyens matériels et les connaissances, c’est un peu compliqué pour eux.” il croit.
Et plus tard, j’aimerais essayer de rapporter les connaissances que j’ai acquises ici, chez moi.
Mamadou prévoit également de leur envoyer du matériel agricole adapté. “Même s’il s’agit de vieux équipements.”verser “qu’ils soient plus autonomes.”
Un projet, mais surtout une connaissance dont il se dit « fier », avant de conclure : « Quand je vois mon avenir, il est vaste. Demain, tout peut changer.