Vous ne savez jamais à l’avance comment vous réagiriez à une situation inattendue, comme des millions de dollars versés sur votre compte bancaire. Même si nous créons des scénarios, nous pouvons nous surprendre.
Warren Buffett, qui vaut plus de 200 milliards de Canadiens, n’a jamais adopté un style de vie à la hauteur de sa richesse. Il est plutôt l’exemple ultime de la frugalité. Il vit toujours dans la maison qu’il a achetée pour 31 500 dollars américains en 1958, dans sa ville natale d’Omaha, dans le Nebraska.
Il existe d’innombrables textes sur le fondateur d’Apple, Steve Jobs, qui n’a pas compris pourquoi ses collègues de travail ont acheté des Rolls-Royce lorsqu’ils sont devenus riches. Avec son jean et son col roulé noir, il n’avait clairement pas envie d’impressionner la galerie avec des marques réservées aux milliardaires. Et que dire de son successeur à la tête de l’entreprise, Tim Cook, connu pour acheter ses sous-vêtements en solde dans un grand magasin.
Dans le docu-réalité Vie de rêvequi sera accessible sur la plateforme Crave à partir du 18 décembre, c’est tout le contraire.
Les six Québécoises riches qu’on nous présente dépensent beaucoup d’argent. Ils aiment ça et ça se voit. Leur sans rendez-vous débordant de sacs à main à 20 000 $ et de vêtements de créateurs ostentatoires. Ils conduisent des Ferrari, des Porsche, des McLaren, des bateaux et des palais valant plusieurs millions de dollars. Leurs imposants bijoux en or et bagues en diamant ne peuvent passer inaperçus.
Ils ne font rien de mal. Ils n’ont rien volé. La consommation excessive est légale. Et qui sommes-nous pour les juger ?
Mais cette exposition se passe mal, comme en témoigne la réaction des internautes sur la page Facebook de Tout le monde en parle, qui a diffusé la bande-annonce et a reçu cinq des six femmes avec des questions difficiles. Sans surprise, les commentaires étaient pour la plupart désobligeants. « La superficialité à son meilleur », « Trop. C’est gênant », « Quelle est la pertinence de se montrer », « Un vide indécent ! », « À l’heure où les gens gèlent et meurent de faim dans les rues et dans la vie en général, ils pourraient rester dans l’ombre, ce serait bien ! »
Faut-il en conclure que nous détestons les riches, comme l’ont ensuite évoqué certains commentateurs des médias ? La fortune de Lise Watier, du financier Stephen Jarislowsky, de Larry Rossy (fondateur de Dollarama), d’Alain Bouchard (Couche-Tard) et de Jean Coutu n’a jamais suscité de commentaires méprisants.
Se pourrait-il plutôt que nous soyons mal à l’aise avec les riches qui aiment exhiber leurs biens et que la nature de ce qu’ils achètent influence les réactions ? Se pourrait-il que la surconsommation dérange plus que le nombre de zéros sur le compte bancaire ?
Il y a une différence entre une salle de bain à 20 000 $ et un sac à main à 20 000 $. Tout comme une voiture à 75 000 $ n’envoie pas le même message qu’une bague en diamant à 75 000 $.
Et même s’il s’agit d’un champ de mines, nous ne pouvons ignorer le fait que le type de dépenses effectuées par ces femmes peut attirer davantage de jugement. Paillettes, talons hauts, sacs Hermès, bijoux… tout cela est perçu par la société comme frivole, et Vie de rêve aime mettre inutilement l’accent sur le prix de toutes choses.
Au final, avec cette approche, la série ne présente pas ces femmes sous le meilleur jour. À les voir magasiner sans compter, ce qui ne fait qu’exacerber les clichés féminins, elles semblent déconnectées de la réalité du Québécois moyen qui a abandonné IGA pour Maxi.
Même ce qui pourrait être considéré comme un succès admirable et une Source d’inspiration pour d’autres femmes finit par paraître mauvais.
La pédiatre Tamara Gafoor précise d’emblée qu’elle a épousé un descendant d’une famille royale nigériane, comme si sa propre formation en médecine n’était pas assez intéressante.
La courtière immobilière Tatiana Londono, propriétaire de sa propre agence à Westmount, a certainement travaillé très fort pour bâtir une entreprise qui lui permet d’avoir une vie plus confortable que celle de son père, un immigrant colombien qui faisait la vaisselle. Mais à l’entendre parler de son obsession pour l’argent, à la regarder enregistrer des vidéos au contenu enfantin pour obtenir un maximum de vues sur les réseaux sociaux, son succès passe au second plan.
Heureusement, on nous montre la fondatrice de Rebel Design, Stéphanie Bélanger, donnant des instructions à ses sous-traitants sur un chantier de construction. En voilà une qui va ouvrir les horizons de nombreuses jeunes femmes grâce à son talent et son ambition. Décrocher des contrats ailleurs dans le monde, pour les riches et les célèbres, alors qu’il y a d’excellents créateurs partout, c’est incroyable.
Une fois le choc des premières minutes de Vie de rêverempli de gros plans inutiles des seins et des jambes de ses jolies stars, on ne peut s’empêcher de penser à la façon dont l’argent peut transformer les humains lorsqu’ils l’ont… bien plus que nécessaire. Et tout cet étalage d’achats superflus nous oblige à réfléchir à ce que nous dépenserions si nous devenions très riches. C’est l’un des rares mérites de la série.