“Il attachait des voiles à son vélo en espérant qu’il décolle et il n’a jamais décollé”

“Il attachait des voiles à son vélo en espérant qu’il décolle et il n’a jamais décollé”
“Il attachait des voiles à son vélo en espérant qu’il décolle et il n’a jamais décollé”

A cinq ans, Louis Garrel figurait déjà dans les films de son père réalisateur, Philippe Garrel. On peut donc dire qu’il est un enfant du football puisque sa mère, Brigitte Sy, est également réalisatrice. C’est le film de Bernardo Bertolucci, Innocenti : le rêveurce qui le fait connaître du grand public en 2003. Il est nominé six fois aux César et en remporte deux. La première, celle du meilleur espoir masculin pour son interprétation du rôle de François Dervieux dans Amants réguliersréalisé par son père et deuxième comme scénariste, avec le prix du meilleur scénario original pour Les innocents qu’il a réalisé en 2023. Aujourd’hui, il est le protagoniste du film Saint Ex de Pablo Agüero aux côtés de Diane Kruger et Vincent Cassel. Nous sommes en 1930, où Antoine de Saint-Exupéry est pilote pour l’Aéropostale en Argentine, comme son meilleur ami Henri Guillaumet. Ce dernier disparaîtra un jour dans la cordillère des Andes et Saint-Ex décidera d’aller à sa recherche.

franceinfo : Le préjugé du film, c’est le rêve. C’est ça qui t’a donné envie d’y aller ?

Louis Garrel : Oui, et aussi le réalisateur argentin. Je me suis dit : c’est une bonne chose qu’un Français ne fasse pas un film sur Saint-Exupéry. J’ai tout de suite vu qu’il ne prendrait que la partie qui l’intéressait, c’est-à-dire celle de la Patagonie.

“Le film navigue entre les nuages ​​et la terre et se situe un peu au-dessus du sol et c’est ce qui m’a plu dans le projet.”

Louis Garrel

sur franceinfo

Après, c’était très spécial de le faire car il est parti six semaines en Patagonie pour collecter des images à couper le souffle au-dessus de la cordillère des Andes et dans les déserts de sable et de neige. Il a tout ramené à Paris et j’étais en studio pendant huit ou neuf semaines, dans des avions montés sur pneus et je devais faire semblant de voir ce qu’il avait réellement vu, donc il y avait déjà une part de rêve pendant le tournage.

Vous avez beaucoup contribué à créer avec lui ce personnage de Saint-Ex.

Ce qui est intéressant, c’est que nous n’avons pas beaucoup d’images de Saint-Exupéry en tête. Très vite, le réalisateur me dit : «Je ne veux pas que tu lui ressembles. Je veux qu’on essaye de retrouver son esprit, son état d’esprit« . Son état d’esprit est celui d’un garçon très étrange, issu d’une grande famille française et qui depuis l’âge de 12 ans, avait envie de voler. Alors il partit dans sa petite cabane. avec son petit frère jouant avec les objets qu’il avait attachés, il navigue vers son vélo en espérant que le vélo décolle et il n’a jamais décollé.

On le voit dans le film !

C’est une anecdote tout à fait réelle. Et puis il a passé sa vie dans les airs. Et ma théorie est qu’il écrivait pour prolonger ses impressions du vol. Je pense que toute sa vie est organisée autour de l’aviation.

Revenons à ses 12 ans pour comprendre quand il a voulu voler, devenir pilote, puis aventurier, puis journaliste car ensuite il a de nouveau combattu le fascisme. Le théâtre, ce métier de comédien, est venu très tôt pour vous. Tes parents étaient là, mais c’était vraiment un souhait que tu exauçais. À aucun moment vous n’avez voulu faire autre chose.

L’endroit de rêve que j’ai toujours eu depuis que je suis enfant est le théâtre. Parfois j’ai un peu honte de n’avoir rien fait d’autre que ce que faisait mon grand-père, et aussi ma mère que j’ai vue sur scène, mais c’est vrai que quand j’ai vu mon grand-père-père à 12 ans qui jouait Freud dans Le visiteurune pièce d’Eric-Emmanuel Schmitt, je l’ai regardée et en même - c’était lui et ce n’était pas lui. C’était sa façon de parler, mais ce n’étaient pas ses mots. Il les avait appris. Je me suis dit que quelqu’un d’autre les avait écrits et qu’il faisait comme si c’étaient les siens.

« Il y avait quelque chose qui me fascinait dans le théâtre. C’était mon grand-père, acteur, qui me fascinait encore quand j’étais enfant, sa vie me fascinait.”

Louis Garrel

sur franceinfo

C’est à dire que le théâtre et le cinéma permettent aussi de s’évader, d’avoir d’autres vies.

C’est en même - une rêverie, mais pas tout à fait. Il est aussi fait pour raconter l’histoire du monde, que ce soit au théâtre ou au cinéma, et pour nous aider un peu à nous remettre sur pied. Il y avait une très belle phrase de Jean Renoir ou de Rossellini, je ne me souviens plus qui disait : «Le cinéma sert à montrer aux gens que le monde est plein d’amis et non d’ennemis.« .

Pendant que vous êtes derrière l’écran, on ressent quelque chose de très fort dans le texte par rapport à tous les autres films que vous avez réalisés. Ce rôle, la vie de Saint-Exupéry, aura un impact sur votre vie.

Après la vie de Saint Exupéry… Il est mort presque à mon âge, en deux ou trois ans. Il est décédé à l’âge de 44 ans. Il a une vie 10 000 fois plus remplie que la mienne. Quand je sais qu’il a commencé à Paris puis est parti à Cap Juby comme chef de l’Aéropostale, puis en Patagonie, à New York pendant la Seconde Guerre mondiale, tout en recevant de l’argent de son éditeur, de l’argent, du confort, un appartement… Il apprend qu’il Guillaumet fut tué pendant la guerre et dit : «Je ne peux pas« . Et même s’il est trop vieux pour piloter un avion, il déclare : «je veux un avionMais c’est comme Joseph Kessel ou un Jack London, on se dit que ce sont des gens qui ne sont pas restés chez eux pour écrire, qui ont vraiment voyagé. J’ai un peu peur de voyager, les deux parce que c’est difficile de voyager sans prendre l’avion. Parfois on peut voyager en train à travers l’Europe, mais quand on a peur de l’avion, on voyage moins vers des gens qui voyagent, qui vont à la rencontre d’autres cultures, d’autres êtres vivants qui vivent complètement différemment et qui ne pensent pas comme moi.

Saint-Exupéry a eu cette imprudence, il l’a eu toute sa vie. Avez-vous besoin d’insouciance dans la vie ?

Je pense que le plaisir, dans les années 30, de piloter seul un avion à 2000 mètres d’altitude quand personne ne sait comment le faire, je pense que c’est une drogue impossible à égaler avec autre chose.

 
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