Le bonheur réside-t-il dans une immense bague en diamant ou dans une maison à 9 millions de dollars ? C’est ce qu’on pourrait penser en regardant la nouvelle série documentaire La vie de rêvebientôt disponible chez Crave. Il suit les activités de six femmes fortunées du Québec, pour qui les dépenses semblent illimitées.
« L’argent fait le bonheur, multiplié par mille », entend-on dire Isabelle Gauvin dans l’un des épisodes. La protagoniste est l’épouse de l’entrepreneur immobilier Luc Poirier, qui a notamment fait les manchettes pour avoir vendu le terrain acquis par Northvolt grâce à un prêt du gouvernement du Québec de 240 millions de dollars.
Le jour de la Saint-Valentin, on voit la maman recevoir de son amant une bague sertie d’un diamant que sa fille qualifie de « plus gros que son doigt ». Le public accompagne également Isabelle dans une virée magasinage d’une valeur de plus de 20 000 $.
En entretien avec DevoirIsabelle Gauvin explique comment l’absence de stress financier profite à sa famille. « Ma fille est malentendante et nous pouvons nous permettre de changer ses aides auditives à chaque changement technologique. Nous n’avons pas non plus attendu la gratuité des soins du gouvernement pour aller en orthophonie trois ou quatre fois par semaine », dit-elle.
Les téléspectateurs retrouveront également Sonia Zarbatany, entraîneur vie et épouse d’un riche homme d’affaires, Alain Elmaleh. Dans le premier épisode, elle révèle fièrement qu’elle figurait dans le clip de Femme comme toi par K. Maro. Elle veut montrer aux femmes qu’il est possible de concilier carrière, enfants et vie de couple. Pour consacrer plus de - à son entreprise et à ses enfants, elle compte sur une nounou, un chauffeur pour ses enfants, une maquilleuse et deux assistantes.
Tatiana Londono, quant à elle, est la flamboyante présidente-directrice générale de sa propre société de courtage immobilier, qui compte plus de 120 courtiers. Elle est une prolifique TikTokeuse et a déjà été la star d’une émission de téléréalité sur la chaîne américaine HGTV diffusée en 2008, intitulée La boutique immobilière. “Ma plus grande qualité est aussi mon plus grand défi : je n’ai pas de filtre”, confie-t-elle à la caméra. Elle semble juger les dépenses matérielles extravagantes de ses associés. Ce qui la passionne, ce sont les voyages luxueux avec sa famille élargie, notamment sur un yacht.
Fille d’immigrés colombiens et mère de trois enfants, elle estime que « si votre objectif est de devenir riche, quelqu’un l’a déjà fait avant vous, donc vous pouvez le faire aussi ». « C’est très rentable, l’immobilier, souligne-t-elle.
L’équipe du film accompagne également Élisabeth Chicoine, épouse et mère des enfants du joueur de baseball Russell Martin, l’un des athlètes québécois les mieux payés de l’histoire. À la recherche de leur prochaine maison en Arizona, elle dit qu’elle « a besoin d’un maison d’hôtes » pour accueillir la famille et les amis en visite.
Stéphanie Bélanger, quant à elle, est agente du peintre à succès Rio, mère de trois chiens et gérante d’une entreprise de design d’intérieur. «Pour moi, un canapé à 25 000 $, c’est normal», dit-elle dans l’émission.
Enfin, Tammy Gafoor, pédiatre urgentiste et survivante du cancer du sein, est mariée à un descendant d’une famille royale nigériane. Elle adore l’ambiance somptueuse du festival Grand Prix de Montréal.
Exhibitionnisme matériel décomplexé
La série et les protagonistes ne remettent en aucun cas en cause le bien-fondé de cette consommation ostentatoire. Au contraire, au lancement du show, ces femmes étaient présentées comme inspirantes. Stéphanie Bélanger a déclaré vouloir « briser le tabou de la réussite et inspirer les gens à réaliser leurs rêves ». Tatiana Londono poursuit un objectif similaire, tout en admettant que cette visibilité pourrait profiter à son entreprise.
-Producteur exécutif de la série, Alexandre Côté explique que son équipe a voulu montrer une réalité peu exposée au Québec, sans la dénoncer ni la vanter. « On mettra rarement en avant le mode de vie des gens qui ont beaucoup d’argent. Il y a une certaine retenue», a-t-il déclaré.
Isabelle Gauvin trouve aussi dommage qu’au Québec, c’est « un peu mal vu de gagner de l’argent ». « Nous travaillons très dur, nous vivons beaucoup de stress. C’est une réussite légitime et honnête», a-t-elle plaidé.
La surabondance est représentée à la télévision américaine depuis longtemps, selon Pierre Barrette, professeur à l’École des médias de l’UQAM. Cela a pris forme dans des fictions comme Dallaspuis en réalité des émissions ouvrant une fenêtre sur la vie extraordinaire de personnes riches et célèbres, Modes de vie des riches et des célébritésdans les années 1980 et 1990, aux Kardashian dans les années 2000.
Or, il est vrai qu’au Québec, «il y a un milieu catholique qui fait qu’on a une réserve quant à la démonstration d’opulence», juge M. Barrette. « Dans la religion catholique, l’argent n’est pas considéré comme moral a priori », dit-il.
Les nouveaux héros de la méritocratie ?
Or, l’accumulation du capital serait de plus en plus valorisée dans l’espace public québécois. «Les gens qui réussissent en affaires ont désormais un statut à connotation positive», estime l’expert de la télévision et de la culture populaire. « L’argent est devenu la mesure du succès. » La fortune est aussi l’un des seuls points communs entre les six femmes de La vie de rêvequi ont des profils très différents.
Il y a aussi moins de danger pour les riches d’afficher cette thésaurisation s’ils en démontrent une certaine utilité morale, estime M. Barrette. La majorité des stars de la série, notamment, ont tenu à dire qu’elles donnaient beaucoup à des œuvres caritatives.
« [La richesse] est de plus en plus célébrée sur les réseaux sociaux, avec de jeunes influenceurs qui gagnent de l’argent et qui donnent des conseils pour en gagner, constate également Alexandre Côté. Après, il y aura sûrement des gens qui trouveront cela indécent. »
Pour M. Barrette, « il y a toujours une dimension obscène à l’étalage d’une grande richesse ». « Mais vous n’êtes pas obligé d’allumer la télévision et de regarder. Si certaines personnes le font, c’est parce qu’elles ont une motivation. Cela peut être pour le plaisir de s’évader, d’admirer, d’envier, de haïr ou de dénigrer. »
Fantasmer, condamner ou ignorer ? C’est à chacun de choisir son camp.