« Bretons et Acadiens sont frères de sang »

« Bretons et Acadiens sont frères de sang »
« Bretons et Acadiens sont frères de sang »

Vous êtes un Cajun, un « Cajun » de Louisiane. Lors de la déportation des Acadiens, appelée « la grande émeute », débutée en 1755, vos ancêtres sont passés par la Bretagne. Vous venez souvent dans notre région ?

OUI. La première fois que je suis venu en Bretagne, c’était en 1973, pour le festival de Kertalg, à Moëlan-sur-Mer (29). J’ai rencontré Alan Stivell. J’ai découvert la musique bretonne. Les Bretons et les Acadiens sont frères de sang. S’il y a quelque chose de plus têtu qu’un Breton, c’est bien un Acadien. Nos histoires linguistiques et culturelles sont très similaires. Notre bouée de sauvetage musicale est similaire. Je ressens un immense sentiment d’appartenance à la Bretagne. Je me sens chez moi ici. C’est une histoire de cœur, une racine très lointaine qui me passionne.

Le français sera toujours parlé en Louisiane. Je pense que nous avons franchi une étape importante en matière d’alphabétisation. Nous avons une nouvelle génération alphabétisée

Avez-vous réussi à retracer la trajectoire de vos ancêtres ?

Il y a eu deux arrivées d’Acadiens en Bretagne. Les premiers furent déportés directement de l’île Saint-Jean (aujourd’hui l’Île-du-Prince-Édouard) en 1758. Les forces anglaises emmenèrent 3 000 personnes et les mirent sur des bateaux vers la . La moitié des survivants sont morts en mer. Un de mes ancêtres, Charles Dugast, en faisait partie. Il avait 21 ans. Je ne sais pas où il a rencontré sa femme. En Acadie, sur le bateau, à Boulogne ? Il avait 19 ans. Ils se sont mariés. Ils s’installent à Saint-Servan (ancienne commune aujourd’hui annexée à Saint-Malo). Les deux tiers des exilés se trouvent à Saint-Malo. Le souvenir de l’Acadie habitait cette communauté à tel point qu’ils souhaitaient retrouver leurs cousins, frères, sœurs… en Louisiane.

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(Lionel Le Saux/Le Télégramme)

Quel avenir pour la langue française en Louisiane ?

Le français sera toujours parlé en Louisiane. Je pense que nous avons franchi une étape importante en matière d’alphabétisation. Nous avons une nouvelle génération alphabétisée. Nous pouvons produire des œuvres littéraires de langue française qui résonnent d’une nouvelle manière avec la culture. Auparavant notre cheval n’avait qu’une seule jambe : la musique. On était un peu paralysés… Désormais, à l’école, les enfants ont soudain une identité qui dépasse les frontières nationales et qui les rassemble autour de la langue française. Et pas seulement sur la langue mais aussi sur les valeurs d’inclusion et de tolérance : en Louisiane, nos professeurs sont camerounais, sénégalais, vietnamiens, haïtiens… Ils offrent un visage multiple, axé sur l’ouverture, à la francophonie louisianaise. Je suis très optimiste quant à l’avenir de la francophonie en Louisiane.

Les Cajuns de Louisiane – un recensement de 1990 dénombrait une communauté de 600 000 personnes – sont-ils sensibles au discours de Trump ?

La communauté « Cajun » n’est pas monolithique. Les Acadiens, moi y compris, croient que Trump est un fléau ; d’autres le soutiennent. Si vous regardez la carte des États-Unis, la côte Est et la côte Ouest sont démocrates. Tout le centre du pays, y compris la Louisiane, est très conservateur. Le président de la Chambre des représentants, Mike Johnson, est originaire de Louisiane.

Une partie du message de Trump résonne dans une Amérique profonde et religieuse. Ses piliers sont la peur des immigrés et de l’avortement.

Vous étiez en Bretagne lorsque Trump a remporté les élections…

Je le regarde avec beaucoup d’incompréhension. Je constate qu’une partie importante de mes concitoyens a ignoré le fait que notre président est un menteur, un misogyne, un raciste, un xénophobe et un autocrate. Mais une partie de son message résonne dans une Amérique profonde et religieuse. Ses piliers sont la peur des immigrés et de l’avortement. Pour ma part, ma conscience politique est née en opposition à la guerre du Vietnam. C’était un moment très sombre mais nous l’avons surmonté. J’ai toujours confiance dans la démocratie américaine. C’est une mauvaise période mais il faut s’engager et ne jamais perdre l’idée de jours meilleurs.

La Louisiane, où vous vivez, accueille-t-elle de nombreux immigrants ?

OUI. J’habite à Scott Village, paroisse de Lafayette. En Louisiane, c’est le village avec le pourcentage de population hispanophone le plus élevé. Après l’ouragan Katrina, des Mexicains, des Honduriens et des Centraméricains sont arrivés. Ils occupent une place fondamentale dans notre société car ils font un travail que personne ne veut faire et ils le font bien. Ils sont travailleurs et fiables. C’est tout le contraire du discours de Trump qui les décrit comme des violeurs, des criminels, des toxicomanes… Ils ne viennent pas aux Etats-Unis pour voler mais pour trouver une vie meilleure. Notre pays est basé sur l’immigration !

Vos concitoyens l’ont-ils oublié ?

Les États-Unis sont un pays jeune, un pays naïf. Nous ne réalisons pas combien d’enfants les Américains ont. Ils imaginent qu’il existe une solution immédiate à tout. Ils n’ont pas la capacité d’imaginer que les problèmes sociaux peuvent prendre des années à être résolus. Non, Trump terrorise puis arrive en disant : « J’ai la solution, nous allons construire un mur, nous allons expulser les Chicanos… » Il y a aussi le fait que les démographes estiment qu’en 2050, la majorité des Américains seront hispaniques, ou noir. Les Blancs seront donc minoritaires. Cela leur fait peur. Ils mènent une bataille d’arrière-garde contre l’évolution naturelle du pays.

Et la musique dans tout ça ? Votre dernier album, « Danser le ciel », remonte à 2022…

Mon nouveau projet, « Handicap Bonheur », sortira en janvier. Ce sera un album de chansons dans un style assez funky, rap, hip-hop, écrites avec mon neveu Emile, handicapé. Un peu handicapé, comme il dit.

* Conférence « Histoire des Acadiens de Louisiane », vendredi 6 décembre, à 20h15 à Saint-Malo (35), salle Sainte-Anne, 12, rue Sainte-Anne (intramuros). Entrée gratuite, sans réservation – nombre de places limité.

 
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