Alan Stivell ou la « friction permanente » des cultures – .

Alan Stivell ou la « friction permanente » des cultures – .
Alan Stivell ou la « friction permanente » des cultures – .

UNlan Stivell est étonnant. A 80 ans bien placés (il est né le 6 janvier 1944), le barde celtique le plus célèbre du planisphère musical ne cesse de fourmiller de projets. Une quête mélodique perpétuelle qui lui permet d’errer depuis ses débuts en 1966, dans toutes les strates de la création et des identités culturelles. Entretien téléphonique depuis son antre de la banlieue rennaise.


Alan Stivell et sa légendaire harpe high-tech.

Koen Bauters

Pour ceux qui ne vous connaissent pas bien, vous êtes principalement celui qui a remis la harpe au goût du jour, en l’électrifiant. Tout en vous appuyant sur une base celtique, vous n’avez pourtant jamais cessé d’explorer tous les domaines musicaux possibles…

Oui, cette harpe est ma marque de fabrique. Je suis tombée amoureuse de cet instrument étant enfant. Mon père avait la même fascination pour elle et fut le premier à la remettre au goût du jour. C’est aussi une sorte de miracle que ce rêve paternel de sa renaissance ait eu un tel impact sur moi et si jeune. Je l’ai ensuite modernisée, électrifiée, et il est normal que je sois connue du grand public avant tout pour cela. J’ai toujours été une militante bretonne, pour sa culture, pour sa musique. Mais en même temps, j’ai toujours aspiré à déambuler à 360 degrés dans toutes les strates de la création.

Vos fans du début de votre carrière ont été marqués par vos premiers concerts de rock celtique à la fin des années 60. Ils vous ont propulsé vers une notoriété inattendue…

Au tout début, c’était assez folk, mais en 1966, je me suis lancé dans le pop rock, avec la guitare électrique. Et puis en 1972, mon concert à l’Olympia retransmis en direct dans l’émission « Musicorama » d’Europe 1 a été un véritable tournant. Cet événement nous a permis de toucher 7 millions d’auditeurs et de démoder la musique bretonne. Beaucoup de gens ont compris ce jour-là que cette tradition n’était pas seulement portée par des cornemuses ou des bombardes. Du coup, on s’est retrouvé à rivaliser dans les hit-parades avec les Stones, Johnny Hallyday… C’était incroyable et iconoclaste… D’une certaine manière, c’était vertigineux…

Puis la génération des quadras d’aujourd’hui a découvert que la harpe pouvait s’accompagner de sons électro, de séquences slam, de touches de rap avec des albums comme « Again » ou « Brian Boru »…

Oui, c’est tout à fait vrai, au début des années 90, je me suis éveillé à l’électro (rires). La chanson « Let the Plinn » l’illustre bien, tout comme « Sword Dance » et bien d’autres. J’ai toujours essayé d’être avant-gardiste, d’aller le plus loin possible vers la modernité, de m’inscrire dans le son de l’époque. En 1980, avant cette période hip-hop électro, je m’étais aventuré vers le new age… Mais j’ai toujours voulu faire ça par petites touches, de la même manière que j’ai placé des sonorités africaines dans plusieurs de mes albums. À chaque nouvelle création, j’essaie d’embryonner (sic) de nouvelles choses.

« On s’est retrouvé tout d’un coup à rivaliser dans les hit-parades avec les Stones, Johnny Hallyday… »

Cet appétit pour la découverte se retrouve également dans vos collaborations très éclectiques avec des artistes issus d’univers au départ très éloignés du vôtre…

J’aime m’ouvrir à d’autres formes de création… Les chaussons musicaux, ce n’est vraiment pas mon truc. J’ai travaillé avec Youssou N’Dour, Francis Cabrel, les Fabulous Trobadors, Nolwenn Leroy, Angelo Branduardi, Murray Head, Franck Darcel du groupe Marquis de Sade… Mon plus grand regret est de ne pas avoir pu collaborer avec Kate Bush. Cela a failli se faire à sa demande dans les années 80 et, à cause d’une sombre histoire impliquant des producteurs, cela n’a pas eu lieu.

La musique celtique semble moins mise en avant qu’il y a quelques années. On vous entend moins parler, Yann Tiersen est revenu à une forme de confidentialité… Comment expliquez-vous cela ?

Tout est une question de cycles. Il suffit souvent d’un rien pour que la machine se remette en marche, d’une chanson qui emporte tout le monde, d’une mélodie qui crée le consensus. Mais on ne peut pas nier l’influence des médias. Dans les années 90, par exemple, j’ai été beaucoup aidé par TF1 qui a diffusé de nombreux spots promo pour mon album « Again ». Cela a évidemment contribué au renouveau de la musique celtique en général. Quand j’ai fait un duo avec Nolwenn Leroy ou que j’ai été diffusé dans l’émission « Taratata », le phénomène a aussi repris son essor. Il faut accepter ces cycles. Parfois les planètes s’alignent, parfois moins, et quand ça revient, après un manque, c’est une bouffée d’air frais qui permet de toucher un nouveau public.

Vous êtes également connu pour votre combat pour l’autonomie de la Bretagne. À une époque marquée par la montée des nationalismes, n’est-il pas dangereux de continuer à creuser ce sillon ?

Absolument pas. Chacun sait combien je suis loin de ces extrêmes. Pour moi, l’autonomie c’est sauver une langue, une culture, des traditions, tout en mettant la fraternité humaine au premier plan. Je soutiens d’autant plus l’autonomie bretonne, sans séparatisme qui n’est vraiment pas une obligation, tant son identité est en train de mourir. J’ai toujours été adepte du frottement permanent des courants et des sensibilités. Et l’humanité, tout comme la pensée humaine, ne peut s’enrichir qu’en étant confrontée à la différence. Si les cultures disparaissent, l’humanité sera fragilisée car le faux universalisme ne marche jamais.

 
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