Charles Aznavour aurait fêté ses 100 ans en 2024, mais son héritage n’a pas pris une ride. Grâce à la passion de ses enfants, la mémoire de l’artiste continue de vibrer sur scène et à l’écran. Nous avons discuté cette semaine avec Mischa Aznavour, l’un des fils de la légende. Il nous confie avoir aimé le film « Monsieur Aznavour », notamment l’interprétation vivante de Tahar Rahim. Avec enthousiasme, la romancière genevoise de 53 ans évoque « Aznavour Célébration », un ciné-concert mêlant images et musique, actuellement en tournée.
Ce spectacle unique, qui fera étape aux Arènes de Genève le 11 décembre, est une véritable déclaration d’amour artistique. « Mon frère Nicolas est plongé dans un projet philharmonique, j’ai donc imaginé quelque chose autour des films d’Aznavour. Pas question de marcher sur ses parterres de fleurs », précise Mischa Aznavour, complice et perfectionniste. Une chose est sûre, l’émotion sera au rendez-vous, portée par la voix éternelle de Charles et le regard créatif de son fils.
Que pouvez-vous attendre du ciné-concert « Aznavour Célébration » ?
J’avais envie d’organiser un petit concert autour du cinéma. Il y a déjà de nombreux concerts dédiés à Charles Aznavour, avec des interprètes reprenant ses chansons, mais, à mon avis, les gens préfèrent entendre Aznavour chanter Aznavour. A moins que les reprises soient vraiment exceptionnelles ou qu’elles se limitent à un ou deux titres bien choisis, comme nous le faisons.
Oui, notamment Alain Chamfort qui reprendra « Sa Jeunesse », Antoine Delie interprétera « Comme Ils Say » et La Rue Kétanou jouera « Les Deux Guitares ». Il pourrait y avoir une autre surprise… Cela dit, je trouve toujours plus intéressant de voir Aznavour chanter ses propres chansons.
Concrètement, comment cela se passe-t-il ?
A votre arrivée, vous découvrez 80 musiciens sur scène. Un très grand écran domine l’espace et l’orchestre joue avec un système de synchronisation par clic. Pour les séquences de chansons – car il y a quelques chansons seulement chantées – nous avons isolé le chant des albums originaux, pendant que l’orchestre joue en live. A l’écran, c’est comme si Aznavour chantait en personne. Le plus complexe était d’assurer une synchronisation parfaite, pour éviter tout décalage entre les mouvements des lèvres et la musique.
Vous êtes le directeur artistique de ce spectacle. Comment avez-vous participé au projet ?
J’ai écrit un court texte de liaison, personnel et poétique, autour de mon père. Ce sont des phrases émouvantes qui décrivent ma relation avec mon père ou celle qu’il entretenait avec la vie. Ensuite, il a fallu choisir les chansons et les invités. Ce travail a été partagé avec Thierry Chabroux et Alexandre Piot, les producteurs. Cependant, pour environ la moitié des morceaux, c’est moi qui décidais quels morceaux je voulais voir interprétés.
Était-ce facile d’écrire ses mots sur votre père ?
J’ai beaucoup d’aisance. Je fais tout à la dernière minute. J’ai dû commencer à écrire ce texte un mois avant la date limite. (Rires.)
Avez-vous trouvé l’inspiration facilement ?
Mon père disait souvent : « Je ne crois pas à l’inspiration, je crois seulement à la transpiration. » Mais pour moi, c’est tout le contraire : je ne connais que l’inspiration, pas la transpiration. (Rires.) Cela dit, écrire sur mon père n’est pas difficile. J’écris de la poésie depuis toujours, il suffit donc d’un simple clic pour me plonger dans un état d’inspiration. C’est mon père, alors j’ai juste parlé avec mon cœur.
Avez-vous des craintes par rapport à ce projet ?
Je ne voulais pas en faire trop, ni donner l’impression de me mettre en avant sous prétexte de parler de mon père, comme si j’essayais de montrer ce dont je suis capable. Ce n’était pas du tout mon intention. A la fin, il y a un petit clip assez sympathique, avec des images de moi enfant filmées par mon père, accompagnées d’une musique que j’ai choisie. J’avais peur que cela paraisse prétentieux, mais ma nièce, qui est très exigeante, m’a rassurée : elle a trouvé ça super mignon et touchant. Je me suis dit que, finalement, j’étais la meilleure personne pour parler de mon père, à condition qu’il reste sincère et humble, sans chercher à « frimer » à ses dépens.
Depuis le début de notre rencontre, vous avez fait preuve d’humilité en parlant souvent des autres. Votre père vous a-t-il transmis cette qualité ?
Y a-t-il d’autres valeurs que vous partagez avec Charles Aznavour ?
Les valeurs que j’ai héritées de mon père sont nombreuses, comme l’honnêteté et la bienveillance. Bon ceci dit, si je les partage pleinement, il y en a une que je ne pratique pas vraiment. Mon père était un grand travailleur. Il a commencé à 9 ans. Il disait toujours que rien ne pouvait résister à 24 heures de travail, qu’on pouvait tout surmonter avec suffisamment d’efforts. Je suis d’accord avec lui en théorie, mais en pratique, ce n’est pas vraiment mon approche.
Qu’est-ce que ça fait de présenter votre spectacle à Genève, où vivait votre père ?
C’est génial. Il est resté à Genève jusqu’au bout. Il allait évidemment aussi dans le sud de la France. Il était domicilié en Suisse et y passait la plupart de son temps. En général, il séjourne environ deux semaines en Suisse, puis une ou deux semaines à Mouriès, avant de partir en tournée. Mais dans l’ensemble, c’est en Suisse qu’il a passé le plus de temps.
Et vous, pourquoi avez-vous décidé de rester en Suisse ?
J’ai décidé de m’installer ici parce que mes parents y vivaient déjà, et je l’avoue, il y avait aussi une raison fiscale. Mes parents ont choisi de venir en Suisse (ndlr : au début des années 1970) pour protéger ce qu’ils avaient construit et nous transmettre un héritage. Je ne voulais pas qu’on me retire la moitié de leurs efforts. C’était ma motivation initiale à mon retour en 2014.
Etes-vous ravi de ce choix ?
En fin de compte, je suis heureux ici. De plus, j’ai retrouvé mes amis du lycée avec qui je suis toujours resté en contact. Genève est une ville incroyable, unique au monde. C’est une ville à la fois provinciale et internationale. On a l’impression de vivre à Aix-en-Provence : tout le monde connaît tout le monde, tout le monde parle de tout le monde, ce qui peut être énervant. Mais en même temps, on y rencontre la Terre entière, et la vie y est simple.
Qu’a dit ton père à propos de Genève ?
Que c’était une ville tendre. Il m’a fallu du temps pour comprendre ce qu’il voulait dire. Mais maintenant je le ressens. Ici, les gens ne sont pas agressifs, on se sent bien. Tout est facile, même les démarches administratives : deux rendez-vous, et tout est réglé. C’est un réel plaisir de vivre dans un tel endroit.
Quel est le premier sentiment qui vous vient à l’esprit lorsque vous pensez à votre père ?
Fierté. Je suis très fier de mon père, en général. Je n’arrive toujours pas à croire ce qu’il a accompli après ses démêlés avec le fisc français, qui lui a d’ailleurs accordé un non-lieu mais ne lui a jamais remboursé son argent. Les impôts ont saisi ses maisons, tous ses biens. Ils lui ont tout pris ! Il rentre en Suisse avec sa femme et ses enfants, sans même avoir les moyens d’acheter une maison. Bien sûr, il a continué à travailler, ce qui lui a permis de reconstruire sa vie. Mais ce que j’admire le plus chez lui, c’est sa force de bâtisseur. Il a une résilience et une force incroyables. À 56 ans, n’importe qui d’autre aurait été dévasté par cette situation. Il aurait pu se dire : “C’est fini, ils sont trop en colère contre moi, on m’a traité de moche et de méchant, j’ai été descendu après avoir atteint le sommet.” Au contraire, il est reparti de zéro et a reconstruit un empire en Suisse.
Vous avez dit que vous étiez l’enfant qui ressemblait le plus à votre père. Pour quoi?
Je pense que je suis celui qui est le plus fou, un peu comme lui, le plus libre. Mais en y réfléchissant maintenant, je ne suis pas entièrement d’accord avec ce que j’ai dit. En réalité, nous avons tous un peu de lui en nous. Peut-être que ce qui me rapproche le plus de lui, c’est ma façon de toujours vouloir bouger, de ne jamais rester immobile, un peu comme quelqu’un qui saute d’un train à l’autre. Mon frère lui ressemble beaucoup aussi, il est super féroce, et ma sœur aussi, elle a ses propres traits de caractère qui viennent de lui. En fait, on lui a tous pris un peu, mais ce qui est sûr c’est que je ressemble plus à mon grand-père, au père de mon père. (ndlr : voir ci-dessous). Et je pense que c’est ce qui plaisait à mon père chez moi : à travers moi, il retrouvait un peu l’esprit de son propre père.
Par ailleurs, comme votre grand-père, vous possédez plusieurs restaurants.
J’ai toujours un restaurant à Genève. Cela s’appelle Parlez-moi des salades. Avant cela, j’avais lancé un concept de hot dog gourmand, qui a bien fonctionné pendant un moment, il était toujours plein. Mais j’étais un très mauvais manager. Mes parents, habitués à ce que je démarre des projets pour les abandonner, m’ont conseillé d’abandonner. Aujourd’hui, je suis très content : mon restaurant se porte très bien.
Vous souhaitez continuer à vous développer dans la restauration ?
Nous sommes en train de lancer un financement participatif pour développer plusieurs restaurants. Parlez-moi des salades à Genève et en Suisse. Par ailleurs, j’ai un autre projet à plus long terme : organiser des concerts dans des petites salles, avec deux pianos. Ce serait un peu le même principe que ce que je fais actuellement, c’est-à-dire retirer la voix de mon père des enregistrements originaux et proposer de nouveaux arrangements au piano. L’idée serait de jouer dans des salles plus intimistes. Mon père rêvait de jouer dans des petits théâtres, comme ceux du XIXème siècle qu’on trouvait en France, par exemple à Tarascon. Même s’il préférait jouer avec au moins un petit orchestre, je suis convaincu qu’il aurait adoré l’idée.
Laisser un message à Charles Aznavour
Mischa Aznavour : « Si des personnes souhaitent laisser un message dans le livre d’or dédié à Charles Aznavour pour lui témoigner leur amour, elles peuvent se rendre sur le site aznavourpourlamour.com. Ils découvriront également tout sur notre association, ainsi que les actions menées en son nom.
« Chaque année, je défends le prix Aznavour des mots d’amour, prix littéraire qui fête aujourd’hui sa troisième édition. Cette année, la gagnante est Léonor de Récondo pour son œuvre « Le Grand Feu ». Les visiteurs peuvent, s’ils le souhaitent, faire un petit don pour soutenir ce prix et nos initiatives.