Musica Mundo crée un pont entre les musiques du monde

Lors d’un festival qui se veut éclectique et coloré comme l’organza, Amesfoort embrasse les rythmes du monde avec Musica Mundo. Au lendemain de la cérémonie officielle de la septième édition, du 27 au 30 juin 2024, un défilé aux rythmes Gnaoua sillonnera la ville néerlandaise, sous la houlette du groupe belgo-marocain Remork & Karkaba. Donnant le ton d’un événement annuel qui se veut ouvert à tous les sons d’ici et d’ailleurs, la fondation organisatrice, ArteGanza, a proposé, jeudi, une immersion dans l’esprit de communion artistique qu’elle prône, avec la projection de deux documentaires musicaux films.

En marge de cette première journée, le fondateur du festival, Hassan Elammouri, a déclaré à Yabiladi que « la musique a pour but de rassembler les gens à travers l’expérience que permet la découverte de sons si différents les uns des autres, mais capables de trouver leur place dans un même espace ». Entouré d’un solide réseau de bénévoles et de professionnels, l’initiateur d’ArteGanza capitalise sur le décloisonnement des disciplines et des expressions artistiques en elles-mêmes, de manière à « proposer de voir le monde autrement, à travers les lunettes de ce que l’art peut faire ».

Explorer le passé de l’esclavage derrière la musique africaine

Dans le cadre de ce programme, le documentaire « Tula Leeft » (Tula est vivante) a été projeté au public, dans une démarche d’échange et de réflexion sur le thème de l’esclavage, abordé en filigrane dans l’héritage musical que cette expérience collective a laissé au sein de différentes nations. Co-réalisé par Izaline Calister et Thijs Borsten, ce film de 45 minutes raconte l’histoire de Tula Rigaud, leader du plus grand soulèvement contre l’esclavage sur l’île de Curaçao. Il a été projeté après la performance artistique de Calister, Tula & Juliet.

Izaline Calister / Ph. Peter Putters – Musica Mundo Rythmes du monde

« Tula Leeft » prend la forme d’une suite multidisciplinaire à ce spectacle aux inspirations personnelles et collectives. Cela commence par une date décisive : en 1795, les esclaves de la plantation « Kenepa » se soulèvent contre la tutelle de leurs maîtres. Refusant de travailler sous ce régime alors mis en place par Hollande, ils libèrent les prisonniers et s’organisent pour faire valoir leurs droits.

Porté par la conviction que chacun à Curaçao a droit à la liberté et que l’esclavage doit être aboli, Tula mène un mouvement qui voit la mobilisation d’esclaves d’autres plantations environnantes, mais aussi de communautés libres. Quelques semaines plus tard, il est arrêté et exécuté, ce qui met fin au soulèvement. Ce dernier marque le début de la lutte antiesclavagiste à Curaçao, bien des années avant son interdiction par la loi aux Pays-Bas. Depuis, Tula reste le symbole de la résistance contre la domination. En 2010, il est élevé au rang de héros national à Curaçao.

À partir d’un road movie cousu main, d’un documentaire historique et musical à la fois, Izaline Calister reconstitue les éléments de cet héritage aux multiples facettes. Elle célèbre un héritage qui trouve son écho dans la mémoire collective de toutes les communautés d’origine africaine qui se sont dressées contre l’esclavage, le tout accompagné des textes relatant cette douleur, mais aussi l’abnégation de ces communautés. « Nous avons suivi les traces de Toula au sens littéral, en nous rendant sur les terres où travaillaient les anciens esclaves et les circuits de leur marche insurrectionnelle, jusqu’à leur assassinat », nous a raconté le chanteur après la projection.

« En tant que chanteuse et compositrice, je voulais en savoir plus sur la musique de Curaçao. Quand on l’observe, elle nous renvoie à l’histoire de l’esclavage car notre musique est fortement influencée par l’Afrique et façonnée de différentes manières, car notre île a toujours été un point de repère pour les navires du monde entier. Nous avons des influences africaines, caribéennes et latino-américaines, mais les rythmes de base restent notamment ceux du Mali, du Nigeria et de la Sierra Leone. J’ai étudié ces couleurs musicales car je crois qu’elles sont très importantes, même pour ma musique. »

Calister Izaline

Abordant la question des racines africaines de la musique antiesclavagiste et leur interconnexion, notamment dans le cas des Gnaoua au Maroc, Izaline Calister a déclaré à Yabiladi que « cela nous dit, à travers l’histoire, que l’on peut essayer de détruire des populations, des communautés, mais qu’à travers l’expression artistique que permet la musique, les gens trouvent toujours un moyen de se donner la force, le courage et la détermination de s’en tenir à leurs valeurs, de surmonter leur douleur et leur drame collectifs ». « À mon avis, la musique a servi cet objectif pendant plusieurs siècles. Depuis l’Afrique, plusieurs groupes de personnes ont été déracinés et emmenés ailleurs, mais ils n’ont jamais oublié qui ils étaient », a ajouté l’artiste.

Ph. Peter Putters, Musica Mundo – Rythmes du monde

Pour Izaline Calister, « la musique nous dit aussi cela : en y regardant de plus près, on se rend compte que chacune de ces populations d’origine africaine a emporté avec elle sa musique. Puis, selon l’endroit où elle a vécu, elle a adapté ces sonorités aux spécificités locales ou régionales. C’est pour cela qu’on retrouve des éléments communs dans toutes ces musiques, partout dans le monde. C’est ce qui donne aux gens un pouvoir de résistance et un moyen d’expression pour raconter leurs histoires, comme dans une forme de communion à l’échelle mondiale », nous a-t-elle confié.

Un voyage musical à travers l’histoire, le rythme et l’harmonie

Dans la deuxième partie de cette séance de projection, le deuxième documentaire projeté est « Nomades en musique », l’œuvre à quatre mains de Thijs Borsten et Hassan Elammouri. Sous forme également de road movie musical, le film propose une immersion dans les sonorités sahariennes du Maroc. Le programmateur culturel y a emmené Thijs, à la découverte du groupe Tarwa’ N Tiniri, qui s’est également produit à Musica Mundo en 2022. Au fur et à mesure de ce voyage, c’est un questionnement artistique sur l’essence de la musique entre rythme et harmonie qui se développe.

« La plupart des programmations musicales ici en Europe restent basées sur l’harmonie », constate Hassan Elammouri, qui dit vouloir proposer d’autres couleurs que la « rétromania » communément admise. « Il me semblait important de créer un espace de diversité, où l’harmonie a sa place, mais aussi le rythme », nous confie l’acteur culturel, qui prône ce mélange dans ce documentaire comme dans le festival initié par la fondation qu’il a lui-même créée.

« Dans cette configuration, il faut dire que l’Afrique reste un berceau artistique et une base de plusieurs formes de musiques par excellence. Elle est prise comme référence par tous ceux qui travaillent les rythmes, sans oublier bien sûr d’autres fiefs artistiques riches en création ancestrale, comme l’Inde, l’Asie, la Jamaïque et l’Amérique Latine en général.

Hassan Elammouri

Pour l’initiateur de Musica Mundo, « c’est toute l’importance de s’ouvrir à cet ensemble, notamment en période de divisions politiques, afin de créer un dialogue pour que nous puissions être proches ou en phase avec la musique, et donc les cultures, même si elles ne nous semblent pas être les nôtres en premier lieu. Dans ce même esprit, la diversité comme une richesse aussi grande que le monde est célébrée à Amersfoort tout au long de ce festival, comme en témoigne la programmation quotidienne de concerts. »

 
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