Le cinéaste Abel Gance, des fulgurances artistiques aux compromis politiques – .

Abel Gance (à droite), sur le tournage de « Napoléon », explique le montage du tournage au jeune Bonaparte (Vladimir Roudenko) entouré de l’équipe technique, premier tour de manivelle au studio de Boulogne, en janvier 1925. LA CINEMATHEQUE FRANCAISE

C’est un nom aujourd’hui oublié du plus grand nombre. Pourtant, auteur d’une œuvre certes inégale, mais couronnée d’un incroyable brio esthétique et de quelques chefs-d’œuvre notables, Abel Gance est l’un des plus grands cinéastes français, et certainement l’un des plus atypiques. Né le 25 octobre 1889 et mort le 10 novembre 1981, à Paris, autodidacte, il a réalisé une cinquantaine de films, courts et longs métrages, sur une période allant de 1911 à 1964. Élève au lycée Chaptal à Paris, il s’oriente d’abord vers le droit, bifurque rapidement vers le théâtre, puis mène une brève carrière d’acteur au cinéma où, en 1909, il incarne notamment Molière dans le film du même nom de Léonce Perret. Il s’agit pourtant d’un pis-aller pour celui qui se rêve, avant tout et à tout le moins, poète.

Lire la critique : Article réservé à nos abonnés « Napoléon » d’Abel Gance, le poème épique ressuscité d’un cinéaste visionnaire

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Se décrivant comme un « esclave embauché pour faire du travail »il se convainc que ce médium est un « extraordinaire machine à rêver ». Le voilà saisi par l’aura cinématographique, dont il deviendra bientôt l’un des démiurges les plus lyriques. En 1911, à l’âge de 22 ans, il fonde sa propre société de production et tourne de nombreux courts métrages. En 1912, il s’engageait déjà Ciné-journal un manifeste intitulé « Qu’est-ce que le cinéma ? Un sixième art ». Avec Germaine Dulac, Louis Delluc, Jean Epstein, il incarne une sorte de première « Nouvelle Vague », qui – entre théorie et pratique cinématographiques – fait appel à la vocation artistique du cinéma.

Gance a une conception proprement christique de sa vocation personnelle et du cinéma lui-même. Tous deux, révélant ses mystères par un don de voyance, œuvrent en un mot à sauver le monde, souvent au prix de sacrifices. Exaltation du génie. Sacralisation de l’artiste. Croyance sincère en la vertu réparatrice du cinéma sur les hommes. Goût insatiable de l’expérimentation et de la provocation. Défi permanent aux commanditaires. Peut-être Jean-Luc Godard s’en est-il souvenu.

Une inventivité stupéfiante

Pour aller droit au but, on peut distinguer deux époques. La première, qui couvre la période muette, est celle des chefs-d’œuvre. Nous avons nommé J’accuse (1919), Roue (1923), Napoléon (1927). Le premier, tourné à l’ombre des fosses communes de la Première Guerre mondiale, croise mélodrame (deux hommes, une brute et un poète, se disputent la même femme avant de partager la terreur du front), documentaire et film de zombies. Le deuxième, sorte de charnière entre Griffith et Eisenstein, recrée l’art du mélodrame (un cheminot qui a adopté une orpheline après un accident de train en tombe peu à peu amoureux) et du drame naturaliste, en les diffractant dans un montage cinématographique expérimental. Le troisième est une pure épopée chantée à la gloire d’un homme en qui s’incarnent les valeurs de la Révolution française. Une inventivité technique stupéfiante, une puissance visuelle incomparable, des audaces inouïes, à la fois narratives et plastiques, caractérisent ces trois films habités et visionnaires, qui donnent corps au rêve d’un cinéma total. C’est à chaque fois l’appel à la résurrection d’un monde nouveau.

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