Jusqu’au 4 mai 2025, nouvelle rotation de la Galerie Dior Avenue Montaigne, à Paris, rend hommage à l’un des plus grands photographes de mode de la seconde moitié du XXe siècle et du début du XXIe siècle, Peter Lindbergh. Conçue avec le soutien de sa fondation et déployée dans les espaces de la galerie, cette rétrospective dévoile des photographies de séries mythiques, des planches-contacts, des tirages de lecture inédits et, pour la première fois, la séance photo réalisée dans les rues de New York, à Time Square, en 2018.
E escalier en colimaçon au centre du diorama – atrium abritant 1 874 objets miniatures Dior, composé de 450 mini-robes, basées sur des modèles historiques et disponibles dans les couleurs de l’arc-en-ciel – marque le point de départ de l’exposition Dior/Lindbergh, la sixième depuis l’ouverture du lieu en 2022. Le directeur de la galerie, Olivier Flaviano, a été notre guide intarissable.
Franceinfo culture : Est-ce la première fois qu’autant de place est consacrée à un artiste ?
Olivier Flaviano, directeur de la Galerie Dior : C’est la première fois que nous créons une double histoire : raconter celle de Dior en plus de soixante-dix ans d’existence à travers le regard de Peter Lindbergh. Pour ce dernier grand projet sur lequel il a travaillé, le photographe présente quatre-vingts modèles haute couture de Christian Dior et de ses successeurs – Yves Saint Laurent, Marc Bohan, Gianfranco Ferré, John Galliano, Raf Simons et Maria Grazia Chiuri – à New York. Dans l’exposition nous mettons en avant deux types de photos : celles pour les magazines et celles réalisées pour Dior, notamment pour cette commande passée en octobre 2018 pour un livre publié fin 2019, après son décès.
Nous présentons 109 tirages de 1988 à 2018, tirages d’exposition de 2024 réalisés à partir du dossier validé par le photographe et son imprimeur. Nous avons pu emprunter des œuvres, des planches-contacts, des tirages d’études, des images, des documents jamais exposés dans sa fondation pour révéler son processus créatif. Nous les connaissons presque tous dans les magazines et les livres, mais ils n’ont jamais été imprimés à grande échelle pour une exposition.
Dans l’entrée, la première photographie montre un modèle iconique de la première collection du créateur.
Oui, c’est une image de 2018 à New York avec Alec Wek portant la robe Bar 1947. Pour ce shooting, Peter Lindbergh a fait venir des mannequins qui portaient du Dior dans les années 90. Cette image assez forte montre comment nous parvenons à créer un dialogue entre passé et présent, et c’est ce que nous essayons toujours de révéler dans nos expositions.
La première salle est dédiée à l’histoire de Christian Dior et de cette robe Bar.
Nous avons voulu montrer la modernité de ce vêtement dans la vie d’aujourd’hui : on passe de 1947, première collection de Monsieur Dior, à 2017, premières collections de Maria Grazia Chuiri, pour créer un lien entre les deux. C’est un voyage dans le temps à partir d’images en noir et blanc d’octobre 2018.
Pour Peter Lindbergh, la tenue vestimentaire est l’essence de Paris et cette dernière peut être réinventée soixante-dix ans plus tard avec la photographie qui n’est jamais seulement un objet de représentation mais aussi un miroir de nos sociétés. C’est aussi ce que disait Maria Grazia Chuiri à son arrivée en 2016 : la mode révèle les aspirations de notre temps.
Dans la 2ème salle, direction les jardins enchantés de Monsieur Dior, passionné de fleurs depuis son enfance. Devenu styliste, il s’inspire de la nature, faisant fleurir la silhouette d’une femme fleur depuis son premier défilé en 1947.
Au centre des silhouettes présentées, nous avons créé des signes de ponctuation avec des images de Peter Lindbergh. Il y a, par exemple, deux images vraiment incroyables de la première collection haute couture printemps/été de John Galliano. 1997. Habituellement habitué au noir et blanc, il les photographie en couleur dans son atelier. C’est un environnement d’atelier, comme un atelier de peintre, car ces vêtements lui rappelaient des peintures.
Il faut savoir que Peter Lindbergh a des fantômes esthétiques – cinéma avec film Métropole de Fritz Lang en 1927 et danse avec Pina Beauch en 1973 – qui lui inspirent des histoires comme par exemple ces deux photographies dans lesquelles il suggère le mouvement.
La visite se poursuit dans la salle dédiée au look Dior, qui permet de voir comment cette silhouette se réinterprète au fil du temps.
Oui, devant un modèle de vêtement de chacun des directeurs artistiques de la maison se trouvent de grands imprimés en noir et blanc qui donnent vie à ces modèles. Pour le photographe, le noir et blanc permet de se concentrer sur le sujet – la couleur ne dérange pas l’oeil – et le révéler dans sa vérité.
Il a été très inspiré par la photographie documentaire des années 1930/1940, – comme Dorothea Lange qui a photographié la dépression aux Etats-UnisLes noirs et les blancs à contraste élevé ajoutent du drame à l’image – tout comme les images qu’il a vues au fil des années dans les magazines de son enfance 1940/1950. C’est avec ces références en tête qu’il photographie – soixante des années plus tard dans le Nouveau York – ces modèles dans des tons de noir, blanc et gris. Il ne faut pas oublier que lorsque Christian Dior créait une collection, il réalisait un croquis au crayon : d’abord il l’a pensé noir sur blanc comme un architecte, lui qui aurait aimé l’être !
On passe devant le bureau et la cabine, avant d’arriver à la salle dédiée aux archives de la série pour laquelle il a produit Aviron, Bazar à Harper, Le monde.
Cela permet de revenir sur ce que Peter Lindbergh a apporté à l’histoire de la photographie. Il est notamment connu pour ces photos qui incarnent la naissance du top modèles (Linda Evangelista, Amber Valetta, Cindy Crawford, Naomi Campbell) comme cette commande de 1988 pour Aviron Américain d’une série sur la plage du Père Noël Monica où elle les photographie en grandes chemises d’homme. La série ne sera pas publiée mais quelques semaines plus tard, Anna Wintour – qui vient d’être nommé – la découvre et lui demande de faire sa première cover. Le mannequin porte alors un top brodé Lacroix sur denim, un mélange de style très moderne.
Nous sommes également en 1988 pour Vogue Paris en septembre il photographie Linda Evangelista dans une petite robe noire signée Marc Bohan au comptoir d’un bar parisien. Ce qui caractérise son travail, c’est sa manière de révéler les femmes dans leur beauté mais aussi dans leur fragilité et leur simplicité. Il a une vision très naturaliste. C’est l’image d’une femme naturelle qui exprime son émancipation, sa liberté à travers la façon dont elle s’habille et se présente.
Il ne faut pas non plus manquer ces documents d’archives, ces œuvres d’archives, qui d’habitude ne quittent jamais la Fondation Peter Lindbergh et qu’elle a bien voulu nous prêter. Vous disposez des cartons de conservation pour chacun des tournages et à l’intérieur des planches contact, les tirages de lecture, parfois avec des petits polaroïds avec les annotations relatives. Peter Lindbergh a regardé tous les tests d’écran et a tout décidé : Ainsi les croix sur les images désignent le support de destination – magazine de mode, exposition, livre. Dans les cartons d’archives se trouvent parfois des storyboards qu’il a rédigés avec une histoire et un dessin. On retrouve cette narration en images en 1990, dans une série pour Vogue Italie où Elena Christensen rencontre un extraterrestre dans le désert.
Quelles sont les particularités de ces autres photographies du shooting de 2018 prises en studio ?
Dans la salle voisine on retrouve des photos des robes les plus fragiles, celles en soie, les robes longues prises en studio. Avec par exemple la robe Victoire de John Galliano de l’automne-hiver 2005. C’est une année importante, celle du centenaire de la naissance de M. Dior. Dans cette collection il y avait des vêtements qui révélaient un modèle en devenir : on voit un peu de rembourrage, de tulle, comme si on était encore au laboratoire avec cet effet tissu qui drape le modèle.
Devant ces modèles, des photos en noir et blanc extrêmement contrastées : cela donne un côté plus dramatique aux images et renforce l’idée de l’intimité du studio. Peter Lindbergh a profondément changé l’image de la femme dans les magazines en la plaçant au centre de ses photos pour qu’elle révèle sa beauté à travers son naturel et sa fragilité. Il a dit : « La responsabilité des photographes est de libérer les femmes de la dictature de la jeunesse et de la perfection. »
Paris – où est née la haute couture dans la seconde moitié du XIXe siècle – est une Source d’inspiration pour Monsieur Dior comme en témoigne le petit vestiaire noir, essence de la Parisienne.
A côté des robes noires présentées ici, nous avons inclus une photographie assez iconique : Il s’agit d’une publicité réalisée en 2009 pour une campagne Lady bag Dior avec Marion Cotillard photographié sur la Tour Eiffel. C’est une image extrêmement parisienne !
La dernière salle revient une nouvelle fois sur ce projet fou de « street photographie » dont la spécificité est de capter la spontanéité de l’instant et où les silhouettes prennent forme dans le mouvement de la vie pour reprendre les mots du couturier.
Ce qui intéressait Peter Lindbergh, c’était de jouer sur les plaqués : contraste temporel (70 années de Dior dans les années 80 modèles), contraste d’image (plusieurs générations de mannequins, dont certaines venues spécialement), contraste géographique (vêtements conçus à Paris et projetés dans les rues de New York). York). Ce qui est bien, c’est que cette séance photo a été filmée et c’est pourquoi nous montrons également la vie et les mouvements avec cette magnifique vidéo.
Juste à côté, ses caméras… qui ont servi à ce tournage et ont été conservés depuis ses fondations – ainsi que des images pleines de joie dans lesquelles on voit le photographe avec les modèles. Tout son travail a pour but de révéler l’humanité des modèles qu’il photographie. Jean Cocteau a dit : « Quoi que nous fassions, nous créons toujours notre propre portrait et quelque part, à travers toutes nos images de femmes, l’humanité même de la photographe se révèle..»
Exposition Dior/Lindbergh jusqu’au 4 mai 2025. Nous vous recommandons de réserver un créneau horaire sur le site galeriedior.com(Nouvelle fenêtre) (11 rue François 1er, 75008 Paris). La Galerie est ouverte tous les jours, sauf le mardi, de 11h00 à 19h00.