Aucun habitant du Liban ne vous dira le contraire : le bruit incessant des drones israéliens survolant le pays – souvent à des altitudes si basses qu’ils deviennent visibles à l’œil nu – est époustouflant.
Ce bourdonnement constant, jour et nuit, souvent en la dièse, est difficile à ignorer et presque impossible à échapper. Bien plus qu’une simple perturbation acoustique, c’est une menace suspendue, une torture (pas si) subtile mais implacable. Face à cette forme de harcèlement psychologique – qui alimente anxiété, frustration et un profond sentiment d’impuissance – Mohamed Choucair choisit de renverser la situation, de transformer cette agression sonore en matière première, à déconstruire et remodeler, justement pour reprendre un peu de contrôle et envoyer , en retour, votre propre message.
Mohamed Choucair aux commandes de ses projets sonores. Avec l’aimable autorisation de l’artiste.
C’est un artiste polyvalent, touche-à-tout dans le domaine des Arts et de la communication, originaire de Beyrouth. Autant dire qu’il est aussi à l’aise derrière un micro de Radio alHara, dans les coulisses du musée Sursock, que sur les platines d’une salle de concert ou plongé dans les plans de son prochain projet sonore.
L’artiste a ainsi créé ce qu’il définit lui-même comme un « outil » unique basé sur les véhicules aériens sans pilote israéliens (UAV ou Unmanned Aerial Vehicles). Disponible en téléchargement gratuit, ce « plus simple » est conçu pour rendre le processus de conception de sons basés sur des échantillons intuitif et simple : « c’est un choix idéal lorsque vous travaillez avec des clips audio uniques ou des boucles courtes et que vous souhaitez des résultats rapides », a-t-il déclaré. explique, invitant les utilisateurs à transformer le bourdonnement oppressant de ces drones en musique envoûtante. L’initiative, soutenue par des collectifs et des figures artistiques comme Earshot London, alHara, Ma3azef, Lawrence Abu Hamdan et Scene Noise, vise à sensibiliser à la réalité de la surveillance permanente.
En intégrant des échantillons de ce bruit omniprésent dans une composition électronique, l’artiste a souhaité transformer cette oppression en acte créatif. Les utilisateurs peuvent faire un don facultatif pour soutenir Dikken Mazraa, une coopérative libanaise qui alimente des cuisines ouvertes comme Great Oven, servant des repas aux personnes déplacées à travers le pays.
Mais comment lui est venue l’idée de ce bricolage électronique ?
Tout commence à Beyrouth, dans le quartier de Ras el-Nabeh, où Choucair a grandi avec un sens de la débrouillardise bien ancré. Direction l’Académie libanaise des Beaux-Arts pour se former au cinéma, un choix qui ne manque pas de saveur dans un pays où l’art a souvent des allures de combat. S’il connaît bien le Ballroom Blitz, ce lieu alternatif devenu culte pour la jeunesse beyrouthine, c’est qu’il en est tout simplement le co-fondateur. Après quatre années de créativité intense, au cours desquelles il a occupé les postes de directeur créatif, concepteur d’affiches et monteur vidéo, il a décidé qu’il était temps de passer à autre chose. Gérer une salle de concert en pleine crise ? Rien qui puisse effrayer Mohamed Choucair, habitué des challenges… Quant à Radio alHara, au départ c’est un peu une histoire d’amitié : des amis palestiniens et jordaniens, une radio en ligne pour se faire entendre, et voici Mohamed qui rejoint le team, puis le « Sonic Liberation Front », un show aux allures de manifeste sonore. Très occupée, la radio devient un canal de voix pertinentes et politiques et l’artiste, dans son rôle au sein de l’équipe centrale, veille à écouter les créations de chacun. Car dans ce monde, tout le monde n’a pas la chance d’avoir une voix puissante, alors autant en profiter.
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Puis retour à Beyrouth, cette fois dans le quartier Noueiri, après cinq années passées à Milan. Là, une bande sonore bien particulière accompagne son quotidien : celle des drones israéliens qui bourdonnent sans cesse au-dessus de la ville, une symphonie en la dièse que Mohamed Choucair connaît par cœur. Vivant avec ce bruit de fond agressif, une idée est née. Il rappelle ensuite sa collaboration avec Lawrence Abu Hamdan sur « Air Pressure », une performance qui explore les violations de l’espace aérien libanais. Pourquoi ne pas décomposer cette pollution sonore, la transformer, lui faire dire autre chose ?
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Choucair enregistre ensuite les drones et commence à les reconfigurer en une composition sonore. Parce qu’il le sait bien, l’art est une évasion pour les oreilles et un espace de résistance. Ce projet devient une manière de canaliser la colère, de reprendre un certain contrôle sur l’insupportable. Et en parallèle il continue la tournée avec « Air Pressure », récemment présenté au Festival d’Automne de Paris. A cela s’ajoute une émission mensuelle sur Radio alHara, bientôt sur NTS, et même un album à venir, Comme nager dans le noiroù les sons des drones deviennent un instrument de musique à part entière. « Désormais, vos synthés peuvent être aussi ennuyeux que les drones. C’est à vous de décider s’ils peuvent être aussi mortels », déclare celui qui n’a peut-être pas inventé la « musique de drone », mais qui a certainement réussi à adoucir l’adversité.
Alors, que peuvent faire les artistes dans des moments comme ceux-ci, lui demandons-nous enfin. Pour Mohamed Choucair, la réponse est simple : concentrez-vous sur ce que vous maîtrisez, même si le monde semble hors de contrôle. Une ironie peut-être, mais surtout une manière d’avancer, encore et encore.
Pour télécharger l’instrument de musique, cliquez ici.
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Aucun habitant du Liban ne vous dira le contraire : le bruit incessant des drones israéliens survolant le pays – souvent à des altitudes si basses qu’ils deviennent visibles à l’œil nu – est époustouflant. Ce bourdonnement constant, jour et nuit, souvent en la dièse, est difficile à ignorer et presque impossible à échapper. Bien plus qu’une simple nuisance acoustique, c’est…