Le rap est un registre musical qui explore souvent les réalités de la rue et, très fréquemment, les zones grises de l’illégal et plus encore s’il y a des affinités. Il n’est donc pas étonnant que les histoires liées au monde carcéral se soient multipliées au fil du temps. Cependant, parler d’une période passée en prison ou décrire le monde de l’incarcération ne peut se réduire à une simple répétition de clichés. En réalité, il existe autant de façons de parler de cette expérience qu’il y a de rappeurs, chacun apportant un point de vue unique et personnel sur le sujet.
Dans son nouveau titre Ma3ndiche L7a9Le rappeur marocain Abdelaziz Ouenza alias Ouenza propose une plongée viscérale et réaliste dans le monde carcéral, à travers le regard d’un prisonnier insoumis et désillusionné. Cette chanson, tirée de son nouvel EP (Ok attends), se démarque par son histoire personnelle, où l’artiste revisite la séquence des événements qui ont conduit à son incarcération, sans déguisement ni fioriture.
Rappelons que Ouenza a été arrêté en septembre 2022 et condamné à deux mois de prison. Ce jugement a suscité une vague de solidarité envers l’artiste sur les réseaux sociaux. Quelques jours avant cette condamnation, Ouenza avait publié une vidéo dans laquelle il dénonçait son arrestation, affirmant qu’il avait été « exposé à des violences sur la voie publique par des membres d’une patrouille de police « . La police de la wilaya de Casablanca a cependant présenté une version différente des faits, affirmant que Ouenza roulait à moto sans casque, refusait d’obéir et insultait et blessait des policiers.
Dès les premières lignes, Ouenza décrit l’aspect oppressif de la détention. A travers ses mots, il dresse le portrait d’un homme. » dakhel mdloum (entré faussement accusé) », victime d’un système dans lequel les efforts pour prouver son innocence se heurtent à des murs de désapprobation : « C’est le centre du monde des enfants de 3 ans « . La répétition du refrain, chanté comme une phrase implacable – « Ma3ndich l7e9 (Je n’ai aucun droit) » – s’impose comme un cri étouffé, une demande de justice qui n’atteint jamais son but.
Avec un rythme imposant et peu d’injonctions, la pièce impose une tension, mimant le sentiment d’enfermement et de pression constante. Cette atmosphère glaciale est intensifiée par des observations simples mais glaçantes : « Voilà le 3la 7e9 (Galou 3ndich l7e9) / Avec la télécamère nchoufo (Galou 3ndich l7e9) « . Ces arrêts révèlent des revendications en matière de droits fondamentaux, comme l’accès aux soins de santé. Voici ce qu’il y a dans la boîte (Galou ma3ndich l7e9) “, ou une simple couverture pour se protéger du froid” Zidou manta kayn lberd (Galou ma3ndich l7е9) » – qui sont systématiquement rejetées.
La justice en procès
Ouenza est ancré dans une réalité partagée par de nombreux détenus, mais c’est par la froideur de ses descriptions qu’il se démarque. Contrairement à d’autres rappeurs, il ne se contente pas d’une nostalgie de la liberté perdue, mais adopte un regard critique envers les acteurs de la justice. La chanson devient un miroir tendu aux juges, procureurs et policiers, où le rappeur leur renvoie les interrogations et les frustrations accumulées : ” Cette chanson de Monte-Carlo sera de 7h à 9h en ghadi yzapiw / Dazet chher w ba9i matl9o liya les appels ».
Cette approche réaliste prend une tournure presque documentaire, puisqu’il raconte la banalité de la vie derrière les barreaux, ponctuée de détails bruts : « Btata w soba / Zido f ryassen, wsslat 50 f l’appel « . Dans ce monde, même les objets du quotidien, comme les vêtements de marque qu’il mentionne, deviennent un rappel poignant de la survie en milieu carcéral.
Le titre Ma3ndiche L7a9 résume le sentiment d’injustice qui sature le morceau, et qui en fait sans doute l’une des chansons les plus concrètes de son nouvel EP. Ne cherchant pas à embellir son expérience, Ouenza livre un travail brut et percutant. A travers ce récit de vie carcérale, il dresse un portrait personnel et collectif de la détention, ajoutant ainsi une pierre à la construction de la critique sociale dans le rap made in Maroc.
SUR LA PHOTO
Longtemps ancrées dans les tours des villes et dans la vie quotidienne des banlieues, les vidéos de rap sont devenues des espaces d’expérimentation visuelle audacieuse. Dans le clip Ouenza, réalisé par Reda Lahmouid, ce qui est proposé aux téléspectateurs est une immersion brute et stylisée dans le monde carcéral.
Dans Ma3ndiche L7a9Le réalisateur Reda Lahmouid décrit l’expérience d’emprisonnement de Ouenza avec une intensité oppressante, fidèle à la vision de l’artiste. ” Mon rôle, lorsque je réalise des vidéoclips, est de traduire en images la vision de l’artiste et les émotions qu’il véhicule. », explique Lahmouid, qui a choisi de tourner en studio pour recréer un univers sans évasion. “ Ce huis clos, dépourvu de scènes extérieures, est conçu pour faire ressentir au spectateur l’atmosphère d’isolement, d’oppression et de dureté inhérente à la détention. ».
Le mobilier minimaliste accentue cette sensation, réduisant l’espace à l’essentiel pour renforcer le sentiment de solitude et d’enfermement. ” Le but était de plonger le spectateur dans cet univers carcéral rigide et sans issue. », précise-t-il. Chaque élément scénique et chaque angle de vue est soigneusement conçu pour exprimer un état de tension constant, directement lié au rythme saccadé et au boom-bap old school de la pièce de Ouenza. ” Ce rythme crée plusieurs scènes dans le clip vidéo, incorporant des accessoires et des décors qui racontent l’histoire tout en gardant le spectateur constamment sur ses gardes, comme la vie en prison. ».
Derrière les barreaux, la vérité nue
Le clip va au-delà d’une simple histoire personnelle et est plein de symboles », parler des situations d’injustice et de marginalisation vécues par une génération de jeunes Marocains », poursuit le réalisateur. L’aspect brut et authentique des personnages, dont celui de Ouenza, évite tout cliché. ” Il ne s’agit pas d’alimenter les stéréotypes ; l’idée est de montrer une réalité brute, où chaque détail visuel, des expressions aux vêtements, porte un sens « . Ouenza, par exemple, porte un t-shirt vert signé par ses compagnons de cellule, symbole de solidarité.
Lahmouid se dit fier du clip dans son ensemble, où chaque scène et chaque détail contribue au but final : « décrire la dure réalité de l’expérience carcérale « . Il laisse le spectateur découvrir les nombreux symboles disséminés ici et là, créant une œuvre qui traduit la voix d’un jeune homme en quête de justice et de reconnaissance.