Mort d’une légende –
Quincy Jones en huit albums incontournables
Décédé à 91 ans, le petit bonhomme de Chicago est devenu le grand architecte de la musique du siècle. Hommage.
Publié : 10.11.2024, 14h09
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- Quincy Jones est décédé à 91 ans, laissant un immense héritage musical.
- Ses collaborations incluent des albums emblématiques comme « Thriller » avec Michael Jackson.
- Il a influencé de nombreux genres, du jazz à la pop en passant par le hip-hop.
S’il y avait un grand architecte de la musique en Occident, pendant plus de soixante ans, c’était bien lui : Quincy Delight Jones, né pendant la Grande Dépression à Chicago et décédé à 91 ans à Los Angeles le week-end dernier. Un génie, adoubé ainsi par la professeure de musique Nadia Boulanger, qui disait en avoir connu deux (l’autre était Stravinsky). Quincy avait surtout du cœur et des oreilles. C’était la musique du siècle, dans huit albums mythiques.
Le plus jazz : « Quintessence », 1961
L’homme n’a pas encore 30 ans, et s’est extirpé des drames du South Side de Chicago, sur le point d’en faire un gangster, pour se fonder une famille dans le jazz : la trompette, un peu, mais surtout l’arrangement. , production, composition, réalisation. A la fin des années cinquante, son premier projet de big band échoue et le mène au bord du suicide. Il répond avec « Quintessence », avec un casting époustouflant (Phil Woods, Clark Terry, Oliver Nelson, Thad Jones…). Une sortie par le haut, un disque en apesanteur, doux et moderne, swingant et mystérieux, un des sommets de l’histoire des big bands. Il n’a pas vieilli d’un poil.
Le plus délicieux : « Big Band Bossa Nova », 1962
Six mois plus tard, on récidive avec la version cuivre de la musique du Brésil. Un chef-d’œuvre à la frontière de la pop, de la danse, entre les mondes, pour tous. Mettez cet album ce soir chez vous, ce truc vintage, cette force, cette chaleur, cette virtuosité des arrangements : s’enivrer à Rio, c’est tout, avec Jim Hall ou Paul Gonsalves, Lalo Schifrin ou Roland Kirk. Et puis il y a « Soul Bossa Nova », samplé par tous les rappeurs de la terre : éternel.
Le plus beau : « Sinatra aux Sables », 1966
Il faudrait toute une vie pour raconter ce record. C’est le plus grand de tous les temps parce qu’il dit la Sainte Trinité : Sinatra est au sommet, l’orchestre de Count Basie est au sommet, Quincy Jones arrange et dirige l’affaire dans ses soirées gin à Vegas. Ils sont là, libres comme jamais, ivres sûrement, ils ont le monde et les femmes à leurs pieds, et un équilibre de Chapelle Sixtine se crée, miraculeux, sauvage, animal, somptueux : « Fly Me to the Moon », Frank, Count et Q. , puisque c’est ainsi que Sinatra et le monde l’appellent désormais : voici le G3 de l’histoire de la musique.
Le plus pop : «Mellow Madness», 1975
Dans les années 70, Q se tourne vers la pop, avec des disques « crossover », comme on l’appelait alors, qui le font détester par certains puristes, mais reflètent son goût sûr pour la musique du moment. Il mène mille projets à la fois, une vie privée tout aussi mouvementée (5 femmes, 7 enfants), elle se termine en 1974 par une rupture d’anévrisme : les médecins lui prédisent une chance sur cent de s’en sortir. « Mellow Madness » est le disque de sa résurrection, ce n’est pas pour rien qu’il a la tête en couverture. Au programme : les funky Brothers Johnson, et surtout les Watts Prophets, pionniers poétiques du hip-hop : Q voit loin.
Meilleure vente : « Thriller », 1982
Michael Jackson a dû imposer Quincy Jones, jugé « trop jazz », pour produire « Off the Wall » trois ans plus tôt. Gros succès et reformation du duo pour le projet « Thriller ». Le disque s’est vendu à 32 millions d’exemplaires en un an, ce qui en fait l’album le plus vendu de tous les temps. « Thriller », « Bille Jean », « Beat It », « Human Nature », du r’n’b déchaîné, du jazz et des cuivres transcendés par des synthés ou la guitare hard rock d’Eddie Van Halen, etc. Tout cela laisse sans voix et en sueur : Q et MJ n’ont pas fait sensation, ils ont redéfini la pop mondiale pendant 50 ans. Car oui, encore une fois : tout cela n’a pas pris une ride.
Le plus symphonique : « La Couleur Pourpre », 1989
N’oubliez jamais l’harmonie, la mélodie, le contrepoint : son art classique, élégant, mais inspiré du blues. La bande originale que Q a composée pour le film de Spielberg est un chef-d’œuvre de force, de mélancolie, les yeux fixés vers le ciel. Rien de pompeux, rien de facile : juste une émotion portée par l’orchestre et les cordes, quelque part sur un podium entre Morricone et Debussy. Est-ce que tu pleures en écoutant ça ? C’est normal.
Le plus casting de fou : « Back on the Block », 1989
On pourrait penser que la production, en 1985, de l’association caritative « We Are the World », avec 45 étoiles au compteur, aurait guéri Quincy Jones du fantasme du « record total ». Mais non : “Back on the Block”, du be-bop au hip-hop, rassemble le casting le plus fou de l’histoire : Ella Fitzgerald, Ice-T, Big Daddy Kane, Al Jarreau, Ray Charles, Barry White, Dionne Warwick, Chaka Khan, Joe Zawinul, George Benson… Ah oui. Miles Davis et Dizzy Gillespie sont d’ailleurs dans la section trompette. Album Grammy de l’année. Le parrain de la musique est Q.
Le plus historique : « Miles & Quincy Live at Montreux », 1993
En 1991, avec Claude Nobs, Quincy convainc Miles de suivre cette folie : rejouer en en direct et devant un double big band les arrangements fifties de ses disques avec Gil Evans. Miles était à la limite, sur le point de mourir, mais on s’en fiche. Ce qui se passe, c’est de l’amour et de l’émotion pure. J’ai vu de mes propres yeux des gars fondre en larmes lors de ce concert. C’est tendu et sublime, car on se demande si The Chief va tenir le coup. À la fin, on entend Nobs crier : « Miles Davis, Quincy Jones !!! Miles Davis, Quincy Jones !!!… » Ce matin, ils sont de nouveau ensemble.
Christophe Passerborn in Fribourg, has worked at Le Matin Dimanche since 2014, after having worked in particular at Le Nouveau Quotidien and L’Illustré. Plus d’informations
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