Kamel Daoud boycotté, Suissesse tuée: silence en Algérie

Kamel Daoud boycotté, Suissesse tuée: silence en Algérie
Kamel Daoud boycotté, Suissesse tuée: silence en Algérie

Kamel Daoud lundi après l’annonce du lauréat du Prix Goncourt. A droite, la ville de Djanet en Algérie.image : archives keystone

Le prix Goncourt Kamel Daoud est interdit au Salon du livre d’Alger. Le silence règne autour du meurtre d’une Suissesse en octobre en Algérie. Le voile de plomb qui tombe sur ces deux événements a peut-être un point commun : une loi relative à la terrible guerre civile algérienne des années 1990.

05.11.2024, 18:5405.11.2024, 22:32

Le Salon international du livre d’Alger s’ouvre mercredi 6 novembre, mais il y a un grand absent : Houris. Le roman de Kamel Daoud, l’enfant du pays, sacré prix Goncourt lundi à Paris, n’y est pas le bienvenu. La raison ? Depuis 2005, la Charte pour la paix et la réconciliation nationale interdit à quiconque d’utiliser ou d’instrumentaliser « les blessures de la tragédie nationale ». On fait ici référence à la « décennie noire », la guerre civile qui a ensanglanté l’Algérie de 1992 à 2002, faisant entre 100 000 et 200 000 morts.

Avec Houristitre qui reprend la terminologie djihadiste désignant les vierges du paradis promis aux martyrs, l’écrivain Kamel Daoud, journaliste en Algérie durant cette même décennie noire, désormais basé en , a brisé la loi du silence applicable à ces années terribles. L’héroïne de son roman est une jeune femme qui a perdu l’usage de la parole après qu’un homme ait tenté de lui trancher la gorge au nom de Dieu. Résultat de cette censure d’État : des exemplaires du livre circuleraient en grand nombre et clandestinement en Algérie.

Le silence assourdissant des autorités algériennes depuis l’assassinat d’un touriste suisse de 57 ans le 11 octobre à Djanet, dans le sud de l’Algérie, s’inscrit-il dans ce même black-out mémoriel ? Au-delà de la crainte d’une atteinte à l’image de l’activité touristique dans une région saharienne longtemps fermée aux touristes étrangers pour des raisons de sécurité, l’absence totale de communication officielle au sujet de ce drame a peut-être un lien avec les motivations qui l’ont alimenté.

Il a fallu attendre le 22 octobre pour que l’information sorte, via le quotidien français Libération. Mais c’est Le Figaroqui, le même jour, a fourni des détails sur l’attaque. Selon notre confrère, “la victime était assise à la terrasse d’un café lorsqu’un homme s’est jeté sur elle et lui a tranché la gorge avec une arme blanche en criant ‘Allah Akbar'”. Deux suspects, dont l’un serait le meurtrier, ont été arrêtés.

D’autres versions, rejetant la piste islamiste apparente, évoquent un mobile néfaste, en l’occurrence le vol du téléphone portable de la victime. Originaire de Klosters dans les Grisons, la Suissesse assassinée était en vacances à Djanet avec sa fille, son amie et deux autres touristes suisses. Tous, ainsi que le corps du défunt, ont été rapatriés en Suisse. Selon des témoins cités ailleurs, les suspects étaient des individus originaires du nord de l’Algérie, habillés à la manière des Touaregs.

Un grand silence

Dans cette affaire, les autorités autorisées à s’exprimer restent silencieuses sur les raisons et les circonstances du drame. La mairie de Klosters ne souhaite pas faire de commentaire. A Berne, le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE), avec une extrême prudence, invoque « la protection de la personnalité de la victime » pour ne pas répondre. Alors que l’on répond ne pas comprendre le rapport entre les circonstances du décès du touriste suisse et la protection de la personnalité de ce dernier, le DFAE s’en remet aux autorités algériennes, qui ne disent rien.

La presse algérienne francophone semble tout aussi silencieuse : rien – mais peut-être avons-nous manqué une mention connexe – sur l’assassinat de la Suissesse à Djanet. Au lieu de cela, des articles rapportent le retour des touristes étrangers en nombre et les efforts déployés pour les accueillir.

De ces silences combinés se dégage une impression d’omerta. Berne compte-t-elle épargner Alger en s’abstenant d’adresser publiquement des demandes d’éclaircissements sur le déroulement de cet assassinat ? Veut-il laisser à son partenaire algérien le soin de communiquer sur le drame, ce que ce dernier ne veut visiblement pas faire ?

Quant à l’Algérie, la crainte d’une mauvaise publicité pour le tourisme, secteur si rentable pour le Maroc et sur lequel il semble à son tour miser, peut expliquer son silence. Mais le caractère potentiellement terroriste des faits accentue le côté énigmatique de ce silence.

“C’est la chape de plomb”

« En Algérie, le poids des questions sécuritaires est lourd », observe un spécialiste du terrorisme islamiste au Sahel.

«On ne peut pas affirmer avec certitude que le touriste suisse a été victime d’un attentat de type jihadiste. Il y a un manque d’informations vérifiables. Mais nous ne pouvons pas non plus exclure cette possibilité. A noter que cet assassinat est survenu quelques jours avant les commémorations du 70ème anniversaire de l’insurrection algérienne du 1er novembre 1954. Pour les autorités algériennes, cela ne pouvait pas tomber à un pire moment.»

Un spécialiste du terrorisme au Sahel

Notre interlocuteur s’interroge sur l’absence de revendications liées à cet assassinat, accompagné du cri « Allah akbar », selon Le Figaro. « S’il s’agit d’un acte terroriste voulu par son ou ses auteurs, on peut émettre l’hypothèse que Daesh, présent au Sahel, n’a pas souhaité en revendiquer la responsabilité, même si de manière opportuniste comme il l’a fait. habitude, le meurtre d’une femme. Et le spécialiste a rappelé que l’assassinat de deux jeunes randonneurs scandinaves, en 2018, dans l’Atlas marocain, par quatre assaillants se réclamant de Daesh, n’avait pas été revendiqué par l’organisation terroriste.

« Daesh, clairement, n’accepte pas le meurtre de femmes alors que ce sont les femmes qui sont spécifiquement visées »

Un spécialiste du terrorisme au Sahel

Le silence qui entoure la mort de la Suissesse en Algérie s’explique par la volonté, malgré la charte de 2005 qui limite la liberté d’expression sur le sujet, de ne pas rouvrir les blessures de la guerre civile, profondément traumatisante pour le peuple algérien. Ce faisant, on se prive peut-être de purger ce qui reste à purger dans la mémoire récente. Les ouvrages du Prix Goncourt publiés chez Gallimard, Hourisqui circulent actuellement subrepticement en Algérie, pourront sûrement contribuer à ce bureau. En particulier et s’il montre de l’intérêt, parmi la jeune génération, ceux qui sont nés après la décennie noire.

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