comment deux communistes, dont un garde du corps de Trotsky, ont créé un géant du capitalisme français

comment deux communistes, dont un garde du corps de Trotsky, ont créé un géant du capitalisme français
comment deux communistes, dont un garde du corps de Trotsky, ont créé un géant du capitalisme français

Mais qui aurait pu imaginer qu’en 1954, cette institution devenue multinationale cotée à la Bourse de Paris naîtrait de l’imagination de deux anciens militants trotskistes, déterminés à transformer le commerce comme ils rêvaient de transformer le monde ? Retour sur la métamorphose d’un projet utopique en empire commercial.

De garde du corps à vendeur

Il n’y a aucun doute, Max Théret, co-fondateur de la Fnac, était un homme de gauche. Né en 1913, il s’intègre rapidement dans la jeunesse socialiste et s’illustre plus tard dans la résistance lors de la Seconde Guerre mondiale. Mais ce que l’on sait moins, c’est qu’avant de se lancer dans l’aventure commerciale, il fut également garde du corps du révolutionnaire communiste russe Léon Trotsky lors de son passage à Paris entre 1933 et 1935. Garde du corps du révolutionnaire, à une époque où les idées trotskystes brûlaient encore. en Europe. Ce n’est qu’après cette parenthèse que le jeune Français oriente son énergie militante vers une autre cause : changer la façon de consommer des Français.

La religion de la croissance n’apporte pas le bonheur

A ses côtés, André Essel, également impliqué dans la résistance, partage cette ambition. Issu d’une famille de commerçants, il trouve dans le commerce un moyen de concilier son engagement politique et sa volonté de transformer la société.

Max Théret et André Essel, co-fondateurs de la Fnac. ©DR

Ensemble, ils se retrouvent dans le Paris des années 50. Un Paris marqué par les idéaux socialistes et la soif de reconstruction d’après-guerre. De cette rencontre est née une idée simple mais radicale : rendre la culture et la technologie accessibles à tous. Comment ? En bousculant les marges des commerçants.

Clients? Non, “amis”

C’est dans un petit appartement parisien du boulevard de Sébastopol que l’aventure commence, en 1954. Leur première initiative ? Créer la Fédération Nationale des Achats Exécutifs (dont le sigle est Fnac). De quoi s’agit-il ? Une coopérative d’achat permettant à ses membres d’obtenir des rabais sur les caméras.

« Notre volonté est d’être une librairie de quartier. Nous ne faisons pas ça pour l’argent »

Le nom ne fait pas rêver. Et pourtant, c’est là le début d’une révolution. A l’époque, en , les marges sur les produits culturels et technologiques étaient colossales, allant parfois jusqu’à 50 %. André Essel et Max Théret ont donc décidé de s’y attaquer, et de proposer aux consommateurs des prix bien plus attractifs tout en récupérant une marge de « seulement » 20 %. Leur première arme : un carnet d’achat, baptisé « Contact », distribué aux adhérents. Ce catalogue simple fera rapidement parler et attirera les clients en quête de bonnes affaires. Trois ans plus tard, le succès est tel que le duo ouvre sa première boutique au rez-de-chaussée de l’immeuble. La Fnac, telle que nous la connaissons, est née.

mouette

« Nous avons perdu 5 % de clients et 35 % de nos ventes (avec la décision du prix unique du livre, NDLR). L’ironie de tout cela est que chaque client achète en moyenne moins de livres.

Et pour les consommateurs comme pour les vendeurs, le concept Fnac est considéré bien plus qu’un simple magasin. A l’heure où le Code du travail est encore loin d’être aussi protecteur qu’aujourd’hui, les fondateurs de la Fnac ont introduit des pratiques qui marqueront l’entreprise : salaires indexés sur l’inflation, cinquième semaine de congés payés (avant même qu’ils ne deviennent obligatoires en 1981). , et une semaine de travail réduite à quatre jours pour les commerciaux. Pour y travailler, il n’y avait que deux conditions : connaître la photographie et avoir fait partie d’un mouvement de jeunesse. “A la Fnac, on a évité d’utiliser le mot « client », on a préféré parler d’« ami » »raconte un ancien employé à France Culture.

Le tournant du livre

Face au succès, avec ses 100 000 adhérents en six ans, la marque commence rapidement à se diversifier : disques, électroménager, téléviseurs.

La Fnac en 1968. ©AFP

Mais l’un des moments les plus marquants de son histoire survient en 1974, lorsque la Fnac décide d’investir massivement dans la vente de livres. A Montparnasse, plus de 1 000 m² sont consacrés à cet espace. Fidèle à sa stratégie, l’enseigne applique la même politique de prix réduits, qui provoque la tempête dans le monde des libraires indépendants.

Ces derniers accusent la Fnac de casser les prix et d’étouffer la création littéraire. Ce à quoi André Essel répond par un raisonnement simple : si le livre coûte plus cher, les lecteurs l’achèteront moins. Ce conflit aboutit à la loi Lang de 1981 proposée par le ministre de la Culture de l’époque, Jack Lang, qui fixait le prix unique du livre en France, ce qui permettait ainsi d’éviter une concurrence trop brutale.

Concentration aux mains des milliardaires, TVA et « lecteurs sensibles » : les inquiétudes autour du livre sont-elles fondées ?

Si la Fnac a perdu cette guerre, elle ressort néanmoins de cet épisode avec une image modernisée : celle d’un supermarché culturel, démocratisant l’accès de tous au savoir. Non sans admettre que cela a mis à mal les comptes. “Nous avons perdu 5 % de clients et 35 % de nos ventes (de livres). C’est-à-dire que le comble de tout cela est que chaque client achète en moyenne moins de livresexplains André Essel. Et tout le reste est littérature !conclut-il, en référence à Paul Verlaine.

La fin du modèle d’avant-garde ?

Forte de son succès, les années 1980 marquent un tournant pour la Fnac. En 1980, elle entre en bourse. Une décision qui modifie profondément la philosophie de l’entreprise. L’année suivante, l’entreprise fait ses premiers pas à l’international, à Bruxelles.

De coopérative militante, elle est devenue une « entreprise commerciale classique ». De plus, des difficultés financières commencent à se faire sentir. S’ensuit une des grèves les plus marquantes de l’entreprise, en 1982. Une protestation contre ses dirigeants, qui pousse André Essel à se demander s’il n’est pas devenu un « agent du capitalisme ». Marqué par ce premier conflit social, il démissionne l’année suivante. Max Théret, quant à lui, quitte le navire en 1981 pour profiter de sa retraite.

Le départ de ses fondateurs n’empêche pas l’entreprise de poursuivre sa croissance. À partir des années 1990, la Fnac se développe encore à l’international : en Espagne, au Portugal, en Suisse ou encore au Brésil. Mais cette croissance s’accompagne d’une privatisation progressive : en 1994, le groupe Pinault prend le contrôle de l’entreprise. Durant cette période, malgré un chiffre d’affaires de 9,5 milliards de francs, la Fnac fait face à la concurrence croissante des hypermarchés, qui commencent à vendre des produits culturels, et de nouveaux venus, comme Virgin Megastore.

Virgin Megastore en faillite, la fin d’une époque

Vient ensuite l’ère du numérique. Dans les années 2000, l’essor des achats en ligne, notamment via Amazon, bouleverse le secteur. Mais la Fnac s’est adaptée et a lancé à son tour son site Internet, toujours utilisé aujourd’hui : Fnac.com.

Aujourd’hui, l’entreprise semble avoir résisté à cette tempête et parvient à maintenir sa position dans le secteur. Elle a même racheté Darty en 2016. Pour l’année 2023, l’entreprise a réalisé près de 7,9 milliards d’euros de chiffre d’affaires. En Bourse, sa valorisation est estimée à 710 millions d’euros. On est donc loin du projet activiste de ses deux fondateurs mais cela n’empêche pas l’entreprise de conserver un de ses concepts initiaux, qui était de donner accès à la culture. En juillet dernier, un premier café Fnac a été inauguré à la Gare du Nord à Paris. Un projet qui veut être « hybride, entre espace de culture et point café. »

 
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