« Riverboom » – Au-delà du cimetière des empires

Conséquence de multiples coïncidences toutes aussi improbables les unes que les autres, Boum de rivière est enfin diffusé dans toute la France après une apparition remarquée dans les festivals. Étrange mélange entre un documentaire classique et un VLOG, le film de Claude Baechtold propose un voyage en Afghanistan, un an après la chute des talibans.

Boum de rivière n’aurait peut-être jamais vu le jour. L’histoire de sa conception est aussi intéressante que le film lui-même. Créés à partir de vidéos tournées en Mini-DV en Afghanistan en 2002, ces rushes n’étaient qu’un film de voyage partagé entre trois amis, puis oublié à jamais. Mais, par maladresse, les cassettes ont disparu pendant 20 ans, avant d’être finalement retrouvées puis éditées. Le résultat ? Une capsule temporelle aussi importante pour l’auteur que pour l’histoire. Une aventure pleine de rebondissements et un témoignage du fiasco américain.

Visages, villages

Claude Baechtold n’est pas réalisateur. En tout cas, pas de formation, il le dit lui-même en introduction du film. C’est le hasard de son voyage en Afghanistan, avec son ami Serge, envoyé spécial sur place pour Le Figaropuis leur rencontre avec Paolo, photographe de guerre et dernier membre du trio, qui le pousse à acheter un petit appareil photo et à filmer leur voyage. De Kaboul à Hérat, en passant par Mazâr-e Charîf, ils partent à la rencontre des habitants d’un pays meurtri par des décennies de conflit, que les États-Unis promettent de pacifier et de démocratiser.

De villes en villages, de visages en visages, comme Agnès Varda dans Les Glaneurs et le GlaneurClaude glane les images d’un pays contaminé par la violence, tout comme la terre est contaminée par les mines. Mais ce pessimisme ambiant ne prend jamais le pas sur le ton léger du film. Serge et Paolo, avec leur bonne humeur et leur insouciance, sont un phare pour Claude (et le spectateur). Evidemment, cette légèreté est accentuée par le montage, mais la joie que l’on peut lire sur les visages de nos protagonistes, ou sur ceux de certains Afghans, participe à l’ambiance générale du film.

C’est peut-être Baechtold qui parle le mieux de ce contraste lorsqu’il compare ses photos à celles de Paolo. Ce dernier prend des photos en noir et blanc, avec un appareil photo professionnel, que Serge utilise pour illustrer ses articles. Claude prend des photos couleur avec un petit Olympus Mju-II, entièrement automatique. S’il se sent ridicule au début, il réévalue son travail pendant le voyage : il ne recherche pas la même chose que Paolo. Paolo veut des photos artistiques montrant la pauvreté. Claude se contente de photographier ce qu’il voit : les visages, la couleur, la vie.

©Zinc

Ode à la vie

Montrer la vie dans un pays que le spectateur associe par défaut à la mort, c’est ce que propose Claude Baechtold. Il ne veut pas dresser un portrait misérable des habitants. Il se contente de les filmer, et d’habiller les portraits dans un contexte plus large.

Mais cela ne veut pas dire que le film est uniquement informatif. Le point de vue du cinéaste est présent dès le début du film, puisqu’il se revendique pacifiste et féministe. En plongeant en Afghanistan, il se retrouve dans une société presque totalement opposée à sa propre pensée. Toutefois, il ne critiquera jamais le pays dans son ensemble. Il traite ces sujets avec prudence et s’en prend surtout aux chefs de guerre, organisateurs de ces conflits, aux Soviétiques et aux Américains. Évidemment, c’est uniquement l’opinion du cinéaste. Certains diront que la situation actuelle vient uniquement des agissements des États-Unis, d’autres diront que la faute en revient aux talibans, mais tous ces débats sont absents du film. Baechtold veut retranscrire son expérience et sa vision des choses, pas débattre.

Et c’est ce qui fait Boum de rivière unique, cette immersion totale dans la psyché du réalisateur. Il partage tout : sa vision, ses opinions politiques, ses angoisses, ses joies et surtout son deuil. Ce deuil qui le pousse à partir. Ce même deuil, qu’il surmonte à travers ce voyage dangereux, où la mort est à la fois omniprésente et totalement absente, est la clé du lien qui unit le réalisateur et le pays. Il ne faut pas s’intéresser seulement à la mort, la vie est là, sous nos yeux.

©Zinc

L’avenir sous nos yeux

Au-delà de ses qualités formelles, Boum de rivière est aussi un formidable document historique. Les images tournées en 2002 témoignent de l’échec futur de la coalition internationale pour stabiliser le pays. Des bandits à la culture du pavot à opium, le film documente une réalité complexe, sur laquelle le commandement militaire américain est totalement aveugle. Un an seulement après le début de la « guerre contre le terrorisme », Claude Baechtold voit les limites de l’interventionnisme américain, qui prendra fin avec le retrait des troupes en 2021.

En fin de compte, le film est considéré comme une continuation des critiques à l’égard des États-Unis et de leurs alliés. La stabilisation du pays était possible, mais la méthode utilisée s’est révélée désastreuse. Trop éloignée des besoins de la population et incapable de faire la différence entre les différents groupes qui s’y opposent, la coalition n’a laissé que regrets, ruines et morts dans le pays. Boum de rivière est un témoignage d’échec et une ode à la vie. Un deuil qui se termine par des rires. Mais aussi et surtout les aventures de trois amis en voyage.

Riverboom est en salles depuis le 25 septembre.

 
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