Vu Dinh Tu, propriétaire d’un café à Hanoï, le 30 septembre 2024 (AFP / Nhac NGUYEN)
« Au début, ma famille ne me soutenait pas beaucoup » : au Vietnam, une nouvelle génération d’entrepreneurs réinvente les standards de la réussite au travail, à contre-courant de leurs parents, avec des expressos et du café aux œufs.
Pendant longtemps, Vu Dinh Tu a caché à ses parents qu’il tenait un café. Lorsqu’ils l’ont découvert, ils ont tenté de le convaincre de reprendre son travail dans une banque d’investissement, considéré comme mieux rémunéré et plus stable.
« Ils ont vu le travail difficile que représente la gestion d’une entreprise, des finances au personnel, et ils ne voulaient pas que je me débatte », explique l’homme de 32 ans.
«Je veux faire comprendre aux gens que c’est un métier sérieux», dit-il.
Son entreprise compte désormais quatre succursales à Hanoï, capitale d’un pays friand de « cà phê », où il n’est pas rare de croiser des locaux en train de siroter leur verre dans la rue sur des tabourets en plastique.
Au Vietnam, le café peut être bu selon des recettes originales qui feraient cracher un expresso fort à un Italien : avec du lait concentré, des jaunes d’œufs battus, des glaçons, du yaourt ou même, parfois, du sel.
Une nouvelle vague d’entrepreneurs modernise le secteur, dans un contexte de développement économique et d’ouverture sur le monde.
– Producteur robuste –
Leur premier obstacle : défier l’avis de leurs parents, qui ont grandi avec l’idée que la réussite passait par la médecine ou le droit.
“Les cafés sont devenus un moyen de briser les normes liées à la pression familiale pour (…) travailler dans quelque chose de familier et financièrement stable”, explique Sarah Grant, professeure associée à la California State University.
Un torréfacteur travaillant dans l’usine Thai Cafe à Hanoï, Vietnam, le 21 août 2024 (AFP / Nhac NGUYEN)
« Ils sont également devenus des espaces de possibilités où les créatifs peuvent se réunir en communauté », poursuit-elle.
L’histoire d’amour avec le café est indissociable de la production des grains, initiée par les colons français dans les années 1850.
Le Vietnam est le deuxième producteur mondial de café, avec 17 % des quantités toutes variétés confondues, derrière le Brésil, avec une culture concentrée dans les hauts plateaux et les montagnes du Nord.
Le Robusta, au goût jugé moins subtil que l’Arabica, représente la grande majorité des volumes.
Dans les cafés nouvelle génération, la carte propose une variété de grains torréfiés de différentes manières, dans des décors élaborés, propices à la socialisation et… aux réseaux sociaux.
– Marché en expansion –
Nguyen Thi Hue, dans son café à Hanoï, Vietnam, le 21 août 2024 (AFP / Nhac NGUYEN)
“Quand on prépare du café, c’est presque comme si on était un artiste”, explique Nguyen Thi Hue, une ancienne journaliste de 29 ans qui a installé sa boutique dans une ruelle pittoresque de Hanoï.
L’industrie du café représente 400 millions de dollars (360 millions d’euros) et connaît une croissance de 8 % par an, a noté le cabinet de conseil en marques Mibrand.
Mais ce chiffre pourrait être sous-estimé, en raison de milliers d’entreprises opérant illégalement, estime Vu Thi Kim Oanh, enseignante sur un campus vietnamien de l’université australienne du RMIT.
La demande peut attirer des personnes à la recherche d’un nouvel horizon professionnel, avec un peu d’argent pour se lancer. « Si ça marche, tu passes à autre chose. Si ça ne marche pas, on passe à autre chose », poursuit-elle.
Pour l’instant, cela fonctionne, au point de résister aux multinationales étrangères, attirées par les perspectives que le pays offre à ses cent millions d’habitants.
La star des chaînes internationales, Starbucks, ne représentera que 2% du marché en 2022, selon Euromonitor International. L’enseigne américaine a ouvert l’an dernier son 100e magasin au Vietnam, en dix ans de présence, alors qu’elle en compte cinq fois plus en Thaïlande, pourtant moins peuplée.
