Loïc Prigent livre sa « véritable histoire de la mode »

Loïc Prigent livre sa « véritable histoire de la mode »
Loïc Prigent livre sa « véritable histoire de la mode »

En le lisant, on croirait entendre les rires du mutin-cool Candide déferlant en cascade sur le petit monde de la mode, en s’amusant suffisamment, et à chaque instant, pour ne pas céder à soi-même – mais seulement à ‘ enthousiasme. Loïc Prigent a réussi à écrire un «véritable histoire de mode» – tel est le sous-titre du petit livre rouge qui paraît mercredi – qui lui ressemble. Ils ne se prennent pas au sérieux. En guise de prologue, il commence par le début de sa propre histoire avec la mode : le sentiment d’imposture »tellement grand que ça devient une performance artistique » qui, en 1997, lors de son premier défilé Saint Laurent, immortalise le jeune Breton tout juste arrivé de Plouescat.

Sa différence ainsi établie, il peut laisser sa prose sauter singulièrement de la crinoline aux aigrettes en passant par le chapeau et le tour. Ce dernier ne vous dit rien ? Suivez le guide Prigent. “La robe qui remplace la crinoline reprend simplement le surplus de matière qui se trouvait sur le devant et le repousse logiquement vers l’arrière. On obtient un nouveau volume qui exagère la fesse, et comme cette mode vient de Paris, on l’appelle le « cul de Paris », ou plus sobrement la forme. Cette robe, symbole de la Troisième République, donne la curieuse impression que la femme est penchée en avant, dans la posture d’un singe prêt à se lancer dans une roulade. . »

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Ironie sans méchanceté

Le livre ne contient pas de photos. Un choix de l’éditeur, Charles Dantzig. Il faut dire que la plume de Prigent sait y faire, qui raconte les tenues comme on raconte une histoire, entrelaçant allègrement la description – sans recourir aux adjectifs de couleur s’il vous plaît, ce serait trop facile, Prigent l’interdit – et les anecdotes. Là “tourner” prend forme sous nos yeux. “Tel un petit pouf, une masse de crin se greffe sur les fesses, à la manière d’un escargot ou d’une croupe de cheval, il écrit. Ou peut-être que c’est une petite cage à baleine. Les petites filles sont obligées de porter ça comme leurs mères. Parfois, une autre masse se crée sur le ventre, pour donner un effet de grossesse, donc de fertilité, oui c’est étrange mais si ce n’était pas étrange ce ne serait pas à la mode. »

Mille milliards de rubans – La véritable histoire de la mode, de Loïc Prigent, est publié chez Grasset. (Crédits : LTD)

Vulgariser sans vulgarité, ironiser sans méchanceté, telle est la signature Prigent. Qui est friand d’inventivité sémantique : «une classe immensément riche que l’hôtel privé»,«quand on sort, on ombrage»,« la nouvelle enrichocratie » , etc. Si certaines licences sont plus heureuses que d’autres, à chaque ligne notre auteur parvient à communiquer son plaisir de jouer. Avec les images aussi, où il soigne le décalage et la légèreté. Au « tournant », ça donne : «L’effet recherché est sans doute celui d’une tulipe en deuil, mais il ressemble davantage à un rhododendron en crise de croissance. » C’est alors qu’on entend son rire. Pour de vrai cette fois. Il s’excuse d’être arrivé avec deux minutes de retard au bistro où il nous avait donné rendez-vous avant de repartir animer les défilés, fashion week oblige. Il n’est pas assis alors qu’il nous parle déjà de «les foules ne sont pas possibles» (sic) attendre dehors.

«Les cris dehors, j’adore ça. Je trouve ça super mignon, il y a un côté enfantin, les Beatles, l’excitation… Ils connaissent les noms de tout le monde, les actrices de Netflix bien sûr, mais aussi les actrices d’Amazon, les actrices d’Apple TV… Après avoir été les trois mêmes pèlerins chez Michel Drucker pendant une centaine d’années cinquante ans, c’est bien qu’il y ait désormais une diversité d’offre. Il y a deux jours chez Chloé, il y avait Charli D’Amelio, le tiktoker américain aux 156 millions d’abonnés, je suis allé la voir... » Un zézaiement l’observe. Comment continue-t-il à être étonné ? “Je l’aime! Je prends cela comme un privilège incroyable. C’est vraiment cool de vieillir dans la mode. . »

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Tendresse pour les étrangers

L’autre jour, lorsque le designer américain Rick Owens, qu’il considère admirable, lui a raconté qu’il regardait chaque matin un film d’horreur de 1925 sans le son en se brossant les dents, il lui a demandé quel dentifrice il utilisait. Le pas de côté, encore et encore. “Si vous ne les aimez pas, vous ne restez pas. Il faut les aimer et ne pas les connaître. Vous n’êtes pas obligé de les comprendre à 100 %. . » Cela veut-il dire qu’il ne serait pas sérieux, et peut-être même mieux, de ne pas comprendre complètement cette histoire de film d’horreur de 1925 ? Il nous laisse à peine aller au fond de cette question.

«Mais je comprends tout à fait ! Je comprends tout à fait à quel point cela peut vous inspirer, vous mettre dans une bulle esthétique et mentale qui vous protégera des assauts du réel… ! ” Oh? Comprendre n’empêche donc pas de faire profession de ne pas comprendre ? Il rit, caresse sa barbe. Son attitude semble vraiment sincère. “Il serait hypocrite de prétendre encore être un agent double. En me frottant au milieu, je suis moins un électron libre. Je suis très fier de mes débuts très électriques, mais il faut adoucir sinon on devient fou. »

Il n’en garde pas moins une tendresse pour les outsiders. Dans ce premier tome, il présente ainsi l’homme dont il fait son personnage central : Charles Frederick Worth, «le père de la haute couture française »,l’inventeur des cycles de maintien perpétuel du désir. “Comme tous les ogres et ogresses du coin, c’est un outsider, car il n’est pas parisien mais anglais.»,écrit Prigent, fasciné. Il confirme : «Worth a un melon magique, le vrai melon créateur que j’adore !» Ses intonations ne renoncent pas à l’ingéniosité. “Ma franchise est vraie… Ce matin, je me suis dit : « Tu es encore naïf. » C’est ce qui me ruine et me sauve…” Quoi ? Fossilisation ? “Oui ! Je ne veux absolument pas me fossiliser ! »Il se ressaisit, toujours effrayé d’offenser, d’offenser. “Je n’ai rien contre les fossiles…» Nous entendons chaque points de suspension. “Ne m’oblige pas à dire des choses qui ne sont pas gentilles avec les gens. Les fossiles m’intéressent autant que les marguerites qui ne fleurissent qu’un jour.. » Se prendrait-il pour une marguerite ? Il rit. “Au début, je refusais les codes, je portais des couleurs, des chemises à carreaux, il y a même eu un moment où je superposais les carreaux… Maintenant, ma garde-robe s’assombrit.» Il montre son t-shirt – noir… -, son pantalon en velours côtelé – noir noir -, ses baskets – noir noir noir.

Eh bien, il y a la chemise, également en velours côtelé, de la couleur de ses yeux – la mer bretonne par mauvais temps. Et les chaussettes qui sauvent l’honneur de la couleur : du blanc avec des stries écarlates. “Je m’habille toujours mal ! J’ai fait tout ça en velours, oh redneck, c’est pas 1 000 rayures, c’est 2 000 rayures, ce n’est pas joli, pas maîtrisé. Et puis il y a toujours un reste de tartan qui traîne... » Il montre les gros carreaux du manteau moutarde qu’il a enlevé à son arrivée. Ce qu’il n’a pas enlevé, c’est le capuchon, éternellement vissé sur sa tête. Au début, c’était son look de jeune homme, moins pour ressembler à un Playmobil qu’au nom de «l’esprit américain»,comme il le dit. Et maintenant ? Il le touche. “Dois-je l’enlever ?» demande-t-il. “J’aime…» Il l’enlève en disant cela et il rit. Sa main tripote ses cheveux, il est gêné d’être exposé. Pourtant, cela lui va bien. Et puis 51 ans, c’est un bon âge pour ne plus se cacher, non ? “Je suis vraiment timide. Mes grands-pères, mon parrain et mon père portaient toujours la casquette. Ils nous enterreront en casquettes, les Prigents ! C’est un truc breton !»

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Est-ce un truc breton de commander »un thé vert»,comme il l’avait fait quelques minutes plus tôt ? “Pendant les défilés, je ne bois pas, je ne sors pas, je me couche avant minuit… L’enchaînement des défilés est extrêmement intense, c’est comme si on était tout le temps dans les aéroports, à prendre l’avion, à la douane. et des contrôles de sécurité, et on entre dans différents pays toutes les deux heures, il faut donc être très maître de soi, avoir le sens de l’humour et ne pas être nerveux… Comme un moine zen.» En tout cas, il a la minceur ascétique…

Dans le livre, il taquine la vertu qui, écrit-il, «c’est sympa seulement neuf et on s’en lasse vite».Dans la vie, il suit les prescriptions vertueuses de l’époque. “Je n’ai pas mangé de viande depuis deux ou trois ans, je mange encore du poisson, mais je pourrais arrêter, je devrais même arrêter… Je suis pour vivre pleinement cette époque. J’écoute les temps. J’ai récemment appris qu’il fallait éviter d’utiliser les mots « folie », « fou », « fou », « délirant » pour autre chose que la maladie mentale, et c’est le champ lexical privilégié de la mode. .. Sortir de ce champ de mines m’oblige à me remettre en question et à inventer autre chose. Au lieu de dire « ce défilé était fou », je dis « vibrant ». C’est une opportunité fantastique ! De la même manière, réévaluer son jugement à l’aune de MeToo, à l’aune de l’écologie, à l’aune de la montée de l’extrême droite, j’y suis. On dit « déconstruire ». Je trouve super intéressant de déconstruire pour construire autrement. Cette radicalité peut parfois faire mal mais ce n’est pas mal de l’écouter. C’est un bon antidote à la fossilisation. “Certainement!

Extrait – Aux débuts de Worth

Le futur grand créateur de mode élabore une stratégie pour s’imposer. Nous sommes en 1853. Il lui faut la cellule souche qui donnera la fièvre à toute la Cour, la crilinite aiguë qui fera sa fortune. Sa femme repère et soudoie une femme de chambre à l’ambassade d’Autriche, rue de Grenelle, pour qu’elle montre un album de croquis de ses créations à Pauline de Metternich, une grande consommatrice de mode dont
cette audace est accueillie avec circonspection par la Cour. C’est une fashion addict, une esthète et une personne frivole. Elle n’est pas très belle mais une bouche rieuse et des dents blanches, un œil perçant et intelligent, une posture de tête et une démarche assurée la rendent séduisante. […]
Lorsque le prince Metternich, charismatique ambassadeur d’Autriche, vient embrasser l’impératrice Eugénie, il est éclipsé par son épouse trop habillée. Crinoline virginale éblouissante, une galaxie d’étoiles argentées que l’on aperçoit derrière un voile dans un effet flou très réussi. La ceinture est parsemée de diamants provenant de la collection personnelle de la princesse Metternich. Lala en parle dans ses Mémoires :«Je portais ma robe Worth et je dois dire… je n’avais pas jamais vu une plus belle tenue… Celui-ci était réalisé en tulle blanc, parsemé de minuscules disques argentés et bordé de marguerites. avec un coeur violet. L’Impératrice était à peine entrée Dans la salle du trône, elle remarqua immédiatement ma robe, reconnaissant d’un coup d’œil le travail d’une main de maître. »Étonnement et jalousie, l’impératrice Eugénie perd son sang-froid en apercevant ce trésor. […] Metternich raconte d’une voix rauque en direct du fond de sa tombe :«Elle m’a immédiatement demandé qui avait fait cette robe si merveilleusement jolie dans sa simplicité et son élégance : « Un Anglais, Madame, une star qui s’élève au firmament de la mode ! -Et comment s’appelle-t-il ? -Valeur. – Eh bien, répondit l’impératrice, que l’étoile a des satellites, je te demande de le faire dis-moi de venir chez moi demain matin à dix heures.

 
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