découvrez l’appareil photo le plus rapide du monde

Dans “Physique extrême» publié par Albin Michel, le physicien Julien Bobroff a mené l’enquête pour nous proposer un aperçu des archives de la physique. Il nous plonge dans un monde extrême, peuplé de machines extravagantes et de scientifiques heureux. Découvrez un extrait sur l’appareil photo le plus rapide du monde.

Illustration du fonctionnement d’un appareil photo.
© Albin Michel

“C’était un moment surréaliste et extatique!” Celui qui s’émerveille ainsi s’appelle Lihong Wang. Professeur au célèbre California Institute of Technology ou Caltech, il a toujours été passionné par la lumière, que son groupe de recherche manipule dans le vide, dans la matière et même dans le corps humain pour des applications médicales.

Il a de nombreux faits d’armes à son actif, mais son exploit le plus vertigineux a peut-être eu lieu en 2014. Cette année-là, il a réussi à concevoir un appareil photo record avec deux jeunes collègues.

Son principe repose quasiment sur la même astuce que les caméras à miroir rotatif qui ont filmé les premières bombes atomiques. Au lieu d’essayer de faire défiler un négatif, l’appareil photo enverra les images prises les unes après les autres à différents endroits d’un capteur. L’image elle-même est capturée avec un objectif simple, tout simplement très banal. Ensuite, et c’est là l’originalité, elle est transformée en électricité. Chacun des grains de lumière qui le constituent est transformé en une petite avalanche d’électrons.

Eadweard Muybridge,1872, photographie animée. lesexpertsdeclairval.

La caméra à balayage, plus connue des habitués sous son nom américain de « streak camera », utilisera une tension électrique de quelques volts seulement pour dévier les électrons vers le haut. L’image filmée se retrouve ainsi en haut du capteur. Puis la tension retombe brusquement. Inévitablement, l’image arrive plus bas, puis plus bas, et encore plus bas. Les images se retrouvent les unes après les autres réparties verticalement sur l’ensemble du capteur. Il ne reste plus qu’à les séparer et à les réorganiser pour obtenir un film, comme Muybridge l’avait fait un siècle plus tôt. La tension électrique régule le rythme.

Dans cette caméra ultrarapide, l’image est envoyée vers de petits miroirs puis vers un détecteur qui transforme les photons en électrons.

Dans cette caméra ultrarapide, l’image est envoyée vers de petits miroirs puis vers un détecteur qui transforme les photons en électrons.
© Albin Michel

Attention cependant, si vous allez trop vite, les images finissent par se superposer et le film devient complètement flou. C’est là que Wang et ses acolytes se font une idée. Ils ont décidé d’encoder les images en ajoutant quelques petits points noirs façon QR code, à l’aide de micro-miroirs astucieusement positionnés.

Du film flou qu’ils récupèrent, il ne leur reste plus qu’à faire… des calculs. En repérant les points noirs, ils sont capables de calculer comment retraiter les images pour obtenir un film net, quelle que soit la vitesse ! Grâce à cette astuce, on atteint la valeur incroyable de cent milliards d’images par seconde, oui, une image tous les centièmes de nanoseconde !


À mesure que la tension du détecteur diminue, l’image se déplace vers le bas. Pas à pas, nous pouvons capter et décomposer un mouvement.
© Albin Michel

À mesure que la tension du détecteur diminue, l’image se déplace vers le bas. Pas à pas, nous pouvons capter et décomposer un mouvement.

Filmer la lumière…

Alors, qu’est-ce qu’on filme avec ça ? La réponse est simple : rien. Rien n’arrive assez vite. A un tel rythme, tout semble parfaitement immobile… tout sauf la lumière, seul phénomène assez rapide à notre échelle pour la voir bouger.

Alors, allons-y et filmons la lumière, se dit Wang. Il envoie un petit éclat de lumière rouge à l’aide d’un laser pulsé. Il prend ensuite des blocs de glace qu’il fait évaporer de manière à matérialiser le passage du laser. Et là, sous les yeux émerveillés de la petite équipe, la vidéo ainsi captée affiche une petite bouffée rouge qui avance vers un miroir, rebondit, et repart dans l’autre sens, à trois cent mille kilomètres par seconde. Wang se souvient : « Nous n’aurions jamais cru cela possible. Pour la première fois, les humains ont pu voir la lumière se propager dans l’espace en temps réel ! », un vieux fantasme qui habitait déjà Galilée en son temps…

Exemples d’enregistrements de la caméra de Wang.

Le physicien de Caltech ne s’est pas arrêté là et a décidé de mettre à l’épreuve cette bonne vieille optique géométrique qu’on lui avait enseignée au lycée, à commencer par les lois de Snell-Descartes.

Ces lois décrivent la manière dont la lumière est déviée lorsqu’elle passe d’un milieu à un autre. La preuve, regardez votre jambe dans une baignoire, vous la verrez clairement déformée, l’eau dévie la lumière avant qu’elle n’atteigne votre œil. Plutôt qu’une baignoire, Wang a choisi un morceau de résine transparente qu’il a placé sur le trajet du faisceau laser. Comme prévu, la lumière est déviée et, comme prévu, elle avance plus lentement, une autre loi bien connue de l’électromagnétisme.

Pour finir, les chercheurs envoient le laser dans une substance fluorescente. Une belle tache rouge fluorescente apparaît et s’éteint presque immédiatement, en quelques dizaines de picosecondes seulement. Bref, toutes les lois sont bien vérifiées, mais les voir en direct pour la première fois fait chaud au cœur. […]

Un nouveau monde au ralenti

L’équipe Caltech n’a pas seulement utilisé sa caméra pour filmer la lumière. Elle l’a également utilisé pour observer le fonctionnement de notre cerveau. J’exagère à peine, jugez par vous-même. Lorsque vous tenez votre smartphone ou votre ordinateur en ce moment, la sensation du toucher est transmise à votre cerveau via votre système nerveux utilisant de petits signaux électriques. Ces signaux voyagent le long des axones, sorte d’extension des neurones qui vont assurer la communication entre ces derniers via les synapses. Ils ne mesurent chacun que quelques dizaines de micromètres de diamètre et les potentiels électriques y circulent à grande vitesse.

L’équipe de Wang a cependant réussi à les filmer et à voir pour la première fois le courant s’y propager en direct, à plus d’une centaine de mètres par seconde.

Le dernier progrès en date est que Wang a légèrement modifié sa « caméra à séquences » en utilisant des impulsions laser non plus seulement rouges mais de toutes les couleurs. Il a ensuite réussi à faire arriver chaque couleur à un moment différent sur l’écran. En fin de parcours, un instrument optique, le réseau de diffraction, les sépare horizontalement : le rouge va vers la gauche, le bleu vers la droite, etc. Cette séparation s’ajoute à celle selon la verticale. Le film des événements s’étale désormais dans tous les sens, un véritable casse-tête pour reconstituer la scène.

Mais les chercheurs y sont parvenus, ce qui leur a permis de filmer encore plus vite, et pas qu’un peu : la nouvelle caméra enregistre plus de deux cent mille milliards d’images par seconde, un record toutes catégories confondues. Muybridge semble un peu dépassé…

La « streak camera » de Caltech n’est pas unique en son genre puisqu’elle s’inscrit dans un vaste mouvement dans le domaine de l’optique. Ces dernières années, les inventions et les progrès se sont considérablement accélérés. De nouveaux outils de visualisation, autrefois considérés comme impossibles, sont développés à un rythme constant. Cette série de succès vient de la conjonction de trois facteurs clés : l’apparition de nouveaux lasers à impulsions ultrarapides, l’invention de détecteurs toujours plus performants et l’émergence de traitements mathématiques des images innovantes. Chacun a sa propre invention : codage de fréquence, détecteurs de photons uniques, caméras à pixel unique, holographie quantique… […] On peut enfin suivre, à la picoseconde près, la propagation des ondes de choc lors d’explosions, d’étranges ondes scélérates en optique, ou encore des réactions chimiques « en direct ». Nous vivons peut-être à l’âge d’or de l’imagerie. […]

Justement, quels progrès à venir ? Maintenant que nous savons comment voir les phénomènes les plus rapides ou les plus cachés, quelles nouvelles prouesses pouvons-nous espérer ? Toujours plus rapide, toujours plus précis semblent être les maîtres mots.

Certains rêvent de filmer un jour la structure même de la lumière, en voyant non plus seulement le faisceau laser avancer, mais l’onde électromagnétique qui le compose osciller en direct. Un autre horizon prometteur réside dans le quantique. Ces dernières années, les chercheurs ont pu tirer parti de la nature quantique des photons pour obtenir de meilleures images. On peut par exemple concevoir des microscopes qui visualisent la matière avec une résolution exceptionnelle grâce à des paires de photons intriqués, ou filmer un objet sans le regarder…

Optique de pointe, électronique de pointe, algorithmes de pointe, un peu de quantique pour assaisonner le tout, voici désormais le cocktail gagnant pour filmer l’invisible et ses mouvements !

 
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