Que manger quand on a perdu le goût et l’odorat ? – .

Que manger quand on a perdu le goût et l’odorat ? – .
Que manger quand on a perdu le goût et l’odorat ? – .

Temps de lecture : 5 minutes

Depuis le début de la pandémie de Covid-19, de nombreuses personnes ont connu, au moins pendant quelques jours, la perte (ou l’altération partielle) de leur odorat. Ce véritable handicap invisible peut également être causé par des polypes nasaux, un traumatisme crânien, ou encore certains cancers et maladies neurodégénératives.

L’odorat, 80% du goût

Si ces anosmies et parosmies privent les personnes qui en sont atteintes d’odorat, elles les privent également d’une bonne partie du goût des aliments. En effet, trois sensibilités participent à ce que l’on appelle communément « le goût ».

Le goût, porté par la langue et les papilles gustatives, nous permet de percevoir la saveur d’un aliment, c’est-à-dire les saveurs sucrées, salées, acides, amères, ainsi que l’umami et le gras. Le système trijumeau nous permet de déterminer si un aliment est frais (comme la menthe), épicé (comme le piment ou le gingembre), pétillant (comme les boissons gazeuses) ou irritant (comme l’oignon). Enfin, la rétro-olfaction, étroitement liée à l’odorat, nous permet de distinguer différents arômes et aide, par exemple, à faire la différence entre une pomme et une poire. A cela, il faut ajouter les informations visuelles, tactiles, thermiques et auditives qui complètent la perception de l’aliment consommé.

Ainsi, être privé d’odorat revient à être privé d’arômes et donc de près de 80 % de l’expérience sensorielle liée à la dégustation. Sur le forum de l’association Anosmie.org, Jean-Michel Maillard, son président fondateur lui-même atteint d’anosmie suite à un traumatisme, témoigne : « J’ai toujours du sucré, du salé, de l’acide, de l’amer. En revanche, je n’ai plus la capacité de détecter la différence entre deux chocolats, deux fromages (sauf consistance différente), de l’eau chaude ou du thé à la menthe, de l’eau aromatisée ou plate, etc. Je pourrais vous donner des dizaines d’exemples. Plus généralement, on mange du carton sucré, salé, acide… Les repas deviennent alors une épreuve, un défi au plaisir. C’est là qu’on découvre que le repas était avant tout une recherche de plaisir et qu’il devient facultatif. »

On comprend aisément pourquoi certaines personnes anosmiques perdent ou prennent du poids au point de mettre leur santé en danger, développent des troubles du comportement alimentaire, se replient socialement et évitent les repas en famille ou entre amis. Il n’est pas rare non plus qu’elles, privées de leur odorat et donc d’une bonne partie de leur goût, présentent des signes de dépression.

Gardez le nez dans le pot

Le défi pour les personnes souffrant d’anosmie est donc de trouver le moyen de conserver un certain plaisir à table. Cela doit être un véritable enjeu lorsque l’odorat fait défaut. En effet, en dehors des cas où les médicaments ou la chirurgie apportent une véritable solution – notamment dans le cas des polypes nasaux – et même si la rééducation olfactive peut être une aide précieuse pour récupérer tout ou partie de l’odorat, une fois celui-ci altéré, il est difficile de savoir quand et si on le récupérera.

Alors que faire ? Il ne faut surtout pas se résigner à manger uniquement pour se nourrir. « La pire chose à faire serait d’appauvrir encore plus sa sphère gustative. Cela ne ferait qu’aggraver les symptômes et rendre l’expérience encore plus désagréable. »explique Hirac Gurden, directeur de recherche en neurosciences au CNRS et auteur de L’odorat – Comment les odeurs affectent notre cerveau (Les Arènes). Il recommande, en parallèle d’un parcours médical et d’une rééducation olfactive, d’enrichir son expérience sensorielle et de continuer à partager les repas avec ses proches. Cela peut être bénéfique à plusieurs égards.

Ainsi, le maintien des stimulations gustatives peut contribuer à la récupération de l’odorat et/ou à la préservation de ce qu’il en reste. Moustafa Bensafi, directeur de recherche CNRS au Centre de recherche en neurosciences de Lyon 1 (CNRL, équipe Neuropop), précise que «Aucune étude scientifique ne peut affirmer que garder le « nez dans le pot » tout en continuant à stimuler son système olfactif permet de mieux récupérer son odorat.. Il explique cependant que l’on peut espérer compter sur une certaine plasticité de ce système pour qu’il se régénère. L’idée est alors de porter une attention particulière à ce que l’on goûte, de faire appel à nos autres sens ainsi qu’à nos souvenirs.

Cultivez vos sens

Parallèlement, prêter attention à ses sensations gustatives permet de développer le goût et le système trijumeau et d’apprendre à trouver du plaisir dans les expériences qu’elles offrent. C’est aussi une façon de ne pas se couper complètement de la dimension sociale de l’alimentation, et ainsi de déjouer les risques d’isolement et de dépression.

Les personnes atteintes d’anosmie peuvent chercher à jouer avec les textures – croquant, croustillant, moelleux, caoutchouteux –, les épices, le chaud, le gras, le chaud, le froid, afin de trouver une certaine satisfaction à manger. «J’ai pris l’habitude de goûter, goûter, goûter tout ce que je peux à la recherche du moindre plaisir, affirme Jean-Michel Maillard. […] Pour moi, la crème brûlée est froide à l’intérieur, chaude sur le dessus, sucrée et croquante en bouche. Elle frôle la perfection malgré l’absence de saveurs de caramel ou de vanille.…»

Évidemment, à rechercher le plaisir gustatif, on risque de tomber dans un déséquilibre alimentaire.

Claire Fanchini, membre du conseil d’administration d’Anosmie.org et anosmique depuis un traumatisme, abonde dans le même sens : «J’ai appris à rechercher la diversité, à rechercher des textures extraordinaires et intéressantes. Par exemple, j’apprécie particulièrement le riz gluant, les raviolis ou les mochis pour leur texture caoutchouteuse. J’aime aussi le granola parce qu’il est croquant.»

Elle explique qu’elle a désormais avec elle à table un petit chariot avec différentes épices et condiments, pesto, sauce soja et cornichons qui lui permettent de donner un peu de relief à ce qu’elle mange. Elle conseille également de manger chaud plutôt que froid, afin de percevoir le plus d’informations possible.

Individualisation et équilibre

Dans cette démarche qui consiste à diversifier son alimentation et à s’orienter vers des sensations qui procurent un plaisir gustatif ou, à tout le moins, une certaine satisfaction, Moustafa Bensafi nous invite à travailler à l’échelle individuelle, c’est-à-dire à « prendre en compte ce que la personne anosmique aime ou n’aime pas, ce qu’elle peut ou ne peut pas tolérer… »

« Je n’aime pas les choses sucrées, ce n’est pas quelque chose vers lequel je gravite naturellement et je ne me force pas »illustre Claire Fanchini, qui déclare manger plus de gras et de sel dans ses plats depuis que son odorat a commencé à lui faire défaut –« Je ne le recommanderais pas »elle souligne néanmoins être particulièrement consciente des risques d’hypertension liés à une alimentation trop salée.

Car, évidemment, en recherchant le plaisir gustatif, le risque est de tomber dans le déséquilibre alimentaire. C’est la raison pour laquelle la jeune femme invite les personnes concernées à demander conseil à une diététicienne afin de concilier satisfaction alimentaire et équilibre nutritionnel.

De son côté, Hirac Gurden insiste sur la nécessité de maintenir la diversité alimentaire afin de ne pas créer de carences et de répondre aux besoins en nutriments et micronutriments. Il précise cependant qu’à l’heure actuelle, aucun complément alimentaire ou aliment en tant que tel n’a montré de bénéfice dans la récupération de l’odorat.

Le neuroscientifique conclut avec un dernier conseil aux personnes souffrant d’anosmie : « Il ne faut pas hésiter à en parler à ses proches, à ses amis, à ses collègues. L’anosmie est un handicap et les personnes concernées ont besoin de reconnaissance. » Dans le même temps, Claire Fanchini invite les proches à « de ne pas faire de commentaires sur ce que nous mangeons, et de ne pas nous conseiller de changer notre régime alimentaire ou de faire une cure détox… »

 
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