Patrick Boucheron se souvient de la pandémie de Covid-19

Patrick Boucheron se souvient de la pandémie de Covid-19
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Ce qui nous est arrivé? Un jour, nous nous sommes réveillés séparés. Séparés à l’unanimité et simultanément. La pandémie de Covid-19 a imposé au monde entier, ou presque, une expérience politique totalement inédite par son ampleur, qui sera bientôt désignée par un mot ancien, presque archaïque : confinement. Elle n’a cependant pas été prononcée par le Président de la République lors de son discours du 16 mars 2020, où il avait annoncé des dispositions « évidemment exceptionnel ; évidemment temporaire pour un temps de paix », en martelant, six fois, “nous sommes en guerre”. Il n’avait pas été prononcé, et pourtant le mot confinement était déjà sur toutes les lèvres. Un mois plus tard, le FMI en a fait un nom qui a fait date : nous vivons désormais à l’époque du Grand Confinement, tout comme il y a eu autrefois une Grande Dépression.

Et maintenant ? Il faut s’efforcer de distinguer les différentes phases de confinement et de déconfinement que nous avons vécues avec ce mélange vraiment désarmant d’intensité et d’ennui, comme si la pandémie affectait notre capacité à nous appuyer sur une chronologie. On confond généralement 2020 et 2021, et alors qu’on nous parle haut et fort de ruptures spectaculaires séparant clairement le monde d’avant du monde d’après, c’est comme si, au contraire, le temps avait reculé. A tel point qu’aujourd’hui on peut se sentir séparé de cette époque qui semble si irréelle qu’on se demande parfois si on n’en a pas rêvé, et aussi s’étonner de la rareté dont nous sommes réellement aujourd’hui. Car si l’épidémie a occupé le langage, qu’en a-t-on réellement dit ? Où sont les grandes œuvres de l’esprit qui fixeront sa mémoire ?

La ville s’enferme peu à peu dans son inhumanité

D’où l’importance sans doute de reprendre pied dans les images de cette époque, d’y chercher pour tenter de comprendre dans quel état nous étions, en ce matin du 17 mars 2020. En état d’exception ? La formule était plutôt bien trouvée. ” Toutes les réformes sont suspendues, y compris les retraites », lit-on à la Une. C’est bien de suspension qu’il s’agit quand on parle de mesures exceptionnelles et temporaires qui établissent, entre l’état de fait et l’État de droit, un seuil d’indistinction qui met entre parenthèses non seulement la légalité, mais le principe même d’une vie libre. . Les anciens théoriciens de la théologie politique le disaient bien : celui qui décide de l’état d’exception est souverain, et la souveraineté ne se définit clairement que par ce qu’elle rejette. Mieux, ou pire : le mot latin qui décrit ce mouvement, exception, ne signifie pas exclusion mais au contraire le fait de s’emparer de l’extérieur, et même de l’emprisonner littéralement.

Cela peut paraître très abstrait – pourtant c’est très concrètement ce que nous avons vécu. Regardez : la photographie le montre avec une précision presque clinique. Ce n’est pas seulement que la ville se dépeuple, c’est qu’elle s’enferme peu à peu dans son inhumanité. Et en y regardant aujourd’hui, on comprend que tout est à refaire.

  1. A lire notamment : Quand l’histoire fait des dates, Points, 2023 ; Quelle histoire peut. Leçons inaugurales du Collège de FranceFayard, 2016
 
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