« La contre-argumentation est inefficace contre un complotiste, elle renforce ses convictions »

« La contre-argumentation est inefficace contre un complotiste, elle renforce ses convictions »
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TTémoin impuissant de l’évolution de son grand frère vers des mouvements complotistes, le journaliste Elliot Wax a voulu le comprendre et le ramener à la raison. Comment ? En infiltrant deux organisations que son frère citait régulièrement, une rédaction anonyme et un parti politique, dont on devine cependant France Soir et l’UPR de François Asselineau. Celui qui a commis « toutes les erreurs qu’il ne fallait pas commettre » révèle les résultats de son enquête dans Je cherche mon frèreouvrage publié le 22 mars 2024 aux Editions de la Goutte d’or.

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Indiquer : Comment définir le complot ?

Elliot Wax : Notion très controversée devenue un peu fourre-tout, le complot est avant tout une manière de penser, d’argumenter et d’« administrer la preuve », pour reprendre les mots du sociologue Gérald Bronner. C’est un langage qui fait référence à certains codes.

Vous avez tenté de convaincre votre frère, devenu théoricien du complot, de reprendre ses esprits. Comment faut-il s’y prendre ?

La contre-argumentation est totalement inefficace : non seulement elle ne convainc pas votre proche, mais elle renforce même ses convictions. D’une certaine manière, c’est comme si vous ne parliez plus la même langue. Toute tentative de dispute, qu’elle vienne de la personne qui adhère à un discours complotiste ou de son proche qui en est bouleversé, provoquera de la colère chez son interlocuteur et surtout une grande souffrance de voir la relation se dégrader. D’autant plus que le travail de démystification des fausses informations prend beaucoup plus de temps que la simple affirmation d’un mensonge.

Que faire alors ?

Il faut d’ores et déjà abandonner l’idée de « ramener à la raison » ces proches dont on sait qu’ils sont conspirateurs, et ne pas les considérer comme malades. La règle d’or est d’éviter les sujets qui fâchent et de plutôt trouver ceux qui vous rassemblent afin d’entretenir une relation avec eux. Dites-leur que vous les aimez quoi qu’il arrive, mais que vous préférez éviter ces débats propices aux disputes. Parfois cela sera trop dur ou rendu impossible à cause de problèmes d’argent, d’enfants… Chaque situation est différente. Il faut surtout accepter l’idée, certes frustrante, que vous ne parviendrez pas à les convaincre qu’ils ont tort et que vous avez raison.

LIRE AUSSI Gérald Bronner, un « petit gourou » devenu sociologueVous avez donc entrepris une infiltration « au cœur de la matrice complotiste » pour mieux comprendre votre frère. Cette infiltration dans un média et un parti politique, anonymisés mais dont on devine l’identité, était-elle compliquée ?

Non, c’était même très simple. Pour ma première infiltration au sein du média « La Vérité », qui ne comptait pas de journaliste professionnel dans sa rédaction, j’ai été rapidement embauché grâce à mon CV de journaliste formé dans une école reconnue. Puis, une fois marqué de cette étiquette « La Vérité », rejoindre le parti Les Éveillés ne posa aucun problème.

Aviez-vous peur d’être découvert ?

La question de ma présence dans ces milieux s’est effectivement posée chez certains, qui ont bien vu que j’étais assez mainstream et m’ont fait part de leurs soupçons. On m’a dit plusieurs fois : « Mais qu’est-ce que tu fais ici ? »

Quels types de personnes y avez-vous rencontrés ?

J’ai rencontré des gens très humains, loin des cyniques et des manipulateurs que j’imaginais. Il s’agit de personnes véritablement convaincues d’avoir raison, qui n’ont pas eu l’intention de nuire, même lorsqu’elles ont diffusé – souvent sans s’en rendre compte – de fausses nouvelles. Certes, le directeur du média La Vérité et le leader des Éveillés gagnent de l’argent grâce à leur activité, mais je n’ai ressenti aucun cynisme ni envie de s’enrichir sur le dos des lecteurs et des militants. Il y a un vrai projet, une vraie conviction.

LIRE AUSSI Plus d’un tiers des Français adhèrent à une théorie du complot, selon une étudeLeur humanité, leurs arguments vous ont-ils touché au point de vous rapprocher de certaines de leurs convictions ?

En termes d’arguments, jamais. D’autant que je les connaissais déjà bien, moi qui avais une fascination pour les chaînes complotistes et qui en débattais depuis des années avec mon frère. Sans y adhérer, je connaissais les discours d’Alain Soral, le président des Éveillés… J’avais une bonne culture complotiste qui me protégeait de toute « conversion ».

Dans le cadre de votre enquête, vous avez rencontré d’anciens théoriciens du complot comme Vincent Lapierre et ZioClo. Qu’est-ce qu’ils t’ont appris ?

Ces anciens théoriciens du complot savent mieux que quiconque que la sortie du complot ne vient pas du discours extérieur, mais de soi-même. Pour le journaliste Vincent Lapierre et le vidéaste ZioClo, ce « déclic » a pris la forme d’un argument « mainstream » auquel ils ont un jour écouté et, étonnamment, adhéré. Un constat unanime parmi tous les anciens complotistes que j’ai rencontrés : une fois cette première croyance complotiste déconstruite, les autres s’effondrent comme un château de cartes. Cette conversion les isole en effet très vite de leur communauté… Et parfois de leurs moyens de subsistance. Vincent Lapierre a failli fermer sa chaîne YouTube en raison de la perte de plus de la moitié de ses contributeurs après la publication d’une vidéo anti-complot.

Quels liens avez-vous pu déceler entre complotisme et politique ?

Le dénominateur commun des théoriciens du complot, à des degrés divers, est cette certitude que les dirigeants, ceux au pouvoir, mentent.

LIRE AUSSI Affaire Epstein : pourquoi elle intéresse tant les théoriciens du complotVous êtes, à travers cette enquête, parti « à la recherche de votre frère ». L’AS-tu trouvé?

Quand je lui ai dit la vérité sur mon enquête et mon intention d’en faire un livre, il l’a très mal pris. Nos relations ont été un peu tendues ces derniers mois. Aujourd’hui, nous reconstruisons notre relation, qui a été complètement détruite par des années de cris, de mensonges et ce qu’il a perçu comme une trahison de ma part.

LIRE AUSSI Comment médecins et scientifiques sont ciblés par un petit groupe pro-RaoultPourquoi avez-vous décidé de publier le livre malgré ses répercussions, que vous saviez négatives sur votre relation avec votre frère ?

D’abord parce que j’y avais travaillé. Je pense que ce livre peut aider de nombreuses personnes qui se sont retrouvées ou se retrouveront dans ma situation. L’idée est de donner des indices, des clés, comme une sorte de guide pour savoir comment réagir et surtout ne pas réagir.

Que pensez-vous des « citoyens souverains », cette théorie importée des États-Unis selon laquelle l’État est une entreprise privée à laquelle on choisit d’appartenir en « contractant » ? Est-ce une nouvelle forme de complot ?

Je crois qu’il s’agit ici avant tout d’un mouvement sectaire. Mais il y a des vases communicants : si tous les complotistes ne sont pas sectaires, tous les mouvements sectaires sont par nature complotistes. Avec ces « citoyens souverains » vous faites sûrement référence à cette vidéo qui a fait le buzz sur les réseaux sociaux, où un couple est interpellé par la police et refuse son arrestation en répétant « on ne contracte pas ». La femme, qui filme la scène, avait elle aussi fait son apparition au moment de la crise du Covid. A l’époque, elle anime déjà des conférences aux côtés de Louis Fouché, médecin et figure anti-vaccin. Pour beaucoup de gens, c’est à ce moment-là que leurs complots ont atteint leur paroxysme.

Je cherche mon frèrepar Elliot Wax, publié chez Goutte d’or, 256 pages.

 
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