Gendarme. Cette vocation n’est pas anodine pour la jeune femme qui prend la barre du tribunal correctionnel départemental des Côtes-d’Armor, ce mercredi 22 janvier 2025. « C’est un métier qui sert à aider les gens », dit-elle aux cinq magistrats qui lui font face, enveloppés dans sa cape de laine. Pour les aider et les protéger. Elle fait le lien, poursuit-elle, avec les militaires qui lui ont permis d’échapper à son calvaire, à partir de juillet 2022. La fin de cinq années d’un calvaire indicible qu’elle a choisi, pour elle et pour d’autres, de rendre public, en ne pas demander le huis clos du procès de ses bourreaux.
Une spécification perverse
Ces agresseurs sont aussi sa famille. Son père adoptif, qui l’a reconnue alors qu’elle avait moins de deux ans. Puis la violait quotidiennement dès l’âge de 11 ans et la livrait à des dizaines d’autres hommes qui faisaient de même, la nuit tombée, dans des lieux lugubres du secteur de Loudéac (22). L’ami et amant de ce dernier, qui vivait sous le toit familial et abusait de la petite fille une cinquantaine de fois, sous l’œil excité du père, pourtant homosexuel depuis toujours. Et puis il y a la mère. D’une jalousie maladive envers sa fille, dont son mari était « tombé amoureux ». Elle a reconnu qu’il faisait participer l’enfant à leurs ébats et a également été poursuivie pour viol.
« Fétiche d’un couple pervers »
Cette femme quitte son foyer en 2020, y laissant ses trois enfants. « Saviez-vous ce qui se passait sexuellement avec votre mari ? », demande le président. ” Oui. » Elle savait aussi ce que risquait sa plus jeune fille, vers laquelle les yeux de son père commençaient à se tourner. «Je ne sais pas pourquoi je n’ai pas réagi», répond-elle. L’expert qui l’a examinée parle d’une impossibilité de s’attacher à la victime, née d’un viol suivi d’un déni de grossesse. Cet enfant était le « fétiche de ce couple pervers », note la psychologue. Le rôle de protectrice, c’est la jeune fille qui va l’assumer, pour protéger ce qui peut encore l’être : son frère et sa sœur.
Tu dis que c’est toi, la fille du site
-
Dès l’école primaire, son père a « surinvesti son corps ». En l’empêchant de fermer la porte de la salle de bain. En choisissant ses sous-vêtements. En se teignant les cheveux. Tout en lui coiffant les cheveux. En lui faisant prendre la pilule en 6ème, en réclamant des règles douloureuses au médecin, de peur qu’elle ne tombe enceinte. L’année suivante, il commence à l’emmener sur les bords des routes, à l’orée des bois et dans les gares abandonnées, avec comme consigne : « Tu dis que c’est toi, la fille du chantier ». Interdiction de donner son âge. Pas d’échange d’argent. Aucune information personnelle. Une cinquantaine d’hommes seraient passés à l’action. Seuls trois ont été identifiés.
Si certaines rencontres étaient inopinées, d’autres étaient planifiées depuis le site Coco, désormais interdit. La jeune fille devait respecter ce « cahier des charges pervers », décrit le psychologue, tandis que le père, caché, se livrait au voyeurisme. « Quand les autres ont appris à dire « merci » et « au revoir », elle a appris qu’on ne donne pas d’informations à ses violeurs. »