Bien sûr, ses traits sont tirés et ses yeux sont fatigués, visiblement après un tour du monde à la voile, en solitaire, sans escale et sans assistance. Mais ce mercredi 15 janvier, au petit matin, Charlie Dalin a gardé le même sourire qu’il arborait la veille, lorsqu’il franchissait la ligne d’arrivée de la dixième édition du Vendée Globe en vainqueur.
Quatre ans plus tôt, nous étions dans la même pièce, pour cet entretien privilégié qu’il nous accordait toujours, mais les circonstances étaient complètement différentes. Le capitaine Macif Santé Prévoyance avait également terminé l’épreuve en premier, mais s’est classé deuxième, derrière Yannick Bestaven (Maître Coq).
Charlie Dalin, comment s’est passée cette première soirée en tant que vainqueur du Vendée Globe ?
« Ma femme m’a dit que je me réveillais la nuit en disant que j’avais oublié de virer de bord, j’avais même ouvert les rideaux. C’était un peu mouvementé pour elle. Je me suis réveillé plusieurs fois. Mais je me suis endormi très vite. Quand on se réveille le matin, en tant que vainqueur du Vendée Globe, c’est une sensation assez agréable. »
Racontez-nous cette dernière journée, avec une arrivée tôt le matin ?
« C’était une belle journée, du début à la fin, j’en ai profité, on ne vit pas ça tous les jours en bouclant un Vendée Globe et en tête. La remontée du canal, de jour, a été très bien, évidemment totalement différente de 2021 (1). Ensuite, nous avons traversé la foule en arrivant à terre. jeJ’ai même trouvé l’énergie de faire un peu la fête le soir, mais je ne me suis pas couché tard. C’était important de célébrer avec tout le monde. »
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La Macif a remporté deux Vendée Globes, avec François Gabart et Charlie Dalin et à chaque fois, le départ était le 10 novembre.
Aviez-vous déjà imaginé cette arrivée ?
«Dès que j’ai pensé à l’arrivée, je me suis recentré sur le moment présent, en m’occupant des préoccupations importantes et en ne laissant pas mon cerveau vagabonder sur la suite. Evidemment, on anticipe, mais je me suis forcé à revenir sur mes réglages et mes manœuvres du moment.
La dernière nuit, s’il arrive quelque chose, c’est forcément négatif. Vous avez évidemment tout à perdre, avec la présence des bateaux de pêche. À un moment donné, je suis même passé au-dessus d’un filet de pêche, j’espérais très fort ne pas m’emmêler dedans, je n’aurais pas voulu plonger pour me dégager. Mais c’est passé… C’est aussi pour ça que j’ai préféré aller plus loin au large. »
Après votre arrivée, vous avez passé cinq heures en mer avant de pouvoir regagner le port. Quel était le programme ?
« J’ai dormi, mangé, interagi avec l’équipe, une fois le contact direct avec l’organisation terminé. »
Peut-on parler d’un scénario idéal pour l’ensemble de ce Vendée Globe ?
« Oui, malgré quelques moments difficiles, c’est une course qui m’a plutôt souri. Je suis reparti en pleine forme, tout droit sorti du Golfe de Gascogne. Nous n’avons rien laissé au hasard avec l’équipe, pour penser à tout, mais il faut aussi une bonne étoile et la réussite nécessaire. Déjà finir et ensuite gagner. Et c’est ce qui s’est produit. »
Cependant, y a-t-il des choses que vous feriez différemment ?
« Oui évidemment, c’est impossible d’en faire une copie parfaite sur un Vendée Globe. L’important est de faire moins d’erreurs que les autres. Je suis perfectionniste. Même si ça ne va pas hanter mes nuits comme la dernière fois, il est important de faire un gros débrief technique avec l’équipe. Je ferai également personnellement un débrief stratégique sur mes choix. C’est important de continuer à progresser. Le circuit continue, tout le monde va progresser et des courses importantes arrivent, comme la Route du rhum l’année prochaine. Il existe des domaines de travail dans lesquels nous pouvons continuer à progresser. »
Vous, le cartésien, avez néanmoins parfois fait preuve de plus de spiritualité. Cela vous a-t-il surpris ?
« Oui, cela a ajouté à cet aspect « bonne étoile » et réussite à bord. Essayez de me mettre dans un état d’esprit positif, même dans les moments les plus compliqués. J’ai même remercié Neptune dans des vidéos étendues (2), ce n’est pas du tout mon style. Mais en cas de doute, nous le ferons. On essaie de créer une ambiance agréable autour de la course, je me suis dit que ça ne pouvait pas faire de mal.
Je ne l’ai pas fait en 2020… je l’ai regretté. C’est bon pour soi d’être dans cet esprit positif. Dans un Vendée Globe, on peut vite se retrouver dans le négatif, avec des problèmes à régler, avec de mauvais choix. Vous pouvez rapidement passer la journée à vous plaindre. Je ne voulais pas être dans cet état d’esprit. J’avais envie de passer rapidement à la positivité. »
Cette victoire s’accompagne d’un record. Pensez-vous qu’il peut être battu ?
« Même si les bateaux continuent de progresser, je pense qu’il faudra encore quelques éditions avant qu’il soit battu. Devant, nous avons bénéficié de conditions météorologiques idéales. Après l’Atlantique Nord, ça s’est passé très vite. Nous n’avons passé que 23 jours dans les mers du sud, la remontée de l’Atlantique a été rapide, avec un vent qui venait toujours du même côté du Brésil jusqu’à la Bretagne. C’est exceptionnel, ce n’est jamais comme ça d’habitude. Ce n’est plus le même Vendée Globe derrière.
Et c’est aussi grâce à Yoann. On s’est relevé, personne ne voulait lâcher prise. Je ne sais pas si nous aurions battu le record sans cela. Cela nous a obligé à donner le meilleur de nous-mêmes, à toujours maintenir le bateau à des vitesses élevées, à nous creuser la tête pour trouver les meilleures trajectoires. Nous avons toujours voulu aller vite. »
Pour faire un grand gagnant, il faut une bonne seconde. Et c’est le cas de Yoann Richomme.
« Cela n’avait pas beaucoup d’importance. C’est plus ou moins lui qui a soulevé le trophée. Nous étions colocataires sous Macif, nous avons concouru plusieurs années sur la Solitaire du Figaro, je suis heureux de partager le podium avec lui. »
Il fallait aussi un bon bateau.
« Oui, même si l’approche était risquée au début du départ sur un bateau neuf, alors queApivia était efficace. Mais je n’aurais pas pu gagner avec ce bateau précédent. De nouvelles technologies sont apparues. C’était important de construire ça Macif Santé Prévoyance pour tenter de remporter cette victoire. Nous avons passé beaucoup de temps avec l’équipe à l’imaginer, avec Apivia comme base de travail.
La Macif m’a fait confiance en entamant ce nouveau cycle de quatre ans. J’ai eu l’opportunité de gagner en 2021, on ne sait pas si ça va se reproduire, même le finir. Je me suis dit que j’avais peut-être raté la seule place qu’il me restait pour gagner. Heureusement non, dès l’édition 2024. Cela ne veut pas dire que je ne reviendrai pas. »
(1) En 2021, les restrictions sanitaires Covid étaient toujours en vigueur.
(2) La tradition veut que les marins fassent une offrande à Neptune à chaque passage de l’équateur.