à Anvers, l’utopie de la dépollution des sols face aux PFAS

à Anvers, l’utopie de la dépollution des sols face aux PFAS
à Anvers, l’utopie de la dépollution des sols face aux PFAS

100 milliards d’euros par an : voilà ce qu’il faudrait pour assainir les PFAS en Europe. C’est ce que révèle une enquête réalisée par 29 médias européens, dont « Complément d’enquête » et « Le ». Mais l’élimination définitive et totale de ces « polluants éternels » est-elle vraiment possible ? Exemple à Anvers, en Belgique, où les autorités ont commencé la décontamination des sols.

«Bienvenue à Ground Zero, comme on dit ici»sourit amèrement Thomas Goorden. A quelques kilomètres d’Anvers, en Belgique, le militant écologiste montre du doigt l’usine du groupe américain 3M, coincée entre l’autoroute et la rivière Escaut. Ses cheminées crachent des PFAS depuis près de quarante ans. Ces molécules ultra-persistantes s’accumulent dans l’environnement. On les surnomme « les polluants éternels ».

Le sol sous cette usine est pollué à des dizaines de mètres de profondeur», précise Thomas Goorden. En 2021, c’est lui qui découvre la pollution et alerte les pouvoirs publics belges. L’année suivante, l’État flamand arrache 571 millions d’euros au géant industriel américain. Une partie doit être allouée à la dépollution des sols En Europe, la dépollution des PFAS représente un coût exorbitant : 100 milliards d’euros par an, comme le révèle le Forever Lobbying Project, un collectif de 29 médias européens dont « Complément d’investigation » est un partenaire Mais existe-t-il vraiment des techniques 100% fiables et applicables à grande échelle ?

Dans le port d’Anvers, les autorités flamandes ont tenté l’expérience. La petite ville de Zwijndrecht est l’un des endroits les plus pollués par les PFAS de la planète. Ici, les taux de contamination sont si élevés qu’il n’est pas recommandé de souffler sur la terre, de laisser les enfants jouer dehors par temps sec ou pique-niquer. Pour assainir la zone, sur toutes les parcelles non pavées, nous raboterons le sol sur 30 ou 70 centimètres et le remplacerons par de la terre venue d’ailleurs. “La plupart des gens vont perdre leur jardin, leur potager à cause de la pollution chimique de cette usine, c’est terrible », s’inquiète Thomas Goorden. L’opération pourrait prendre près de 10 ans »,et ce ne sera jamais parfait« .

C’est à une petite usine, située à quelques kilomètres seulement du site 3M, que sont confiés les sols contaminés par les PFAS. Sur le site de l’entreprise belge DEME, pour environ 75 euros la tonne, la terre est passée en machine à laver. Dans une cacophonie quasi apocalyptique, des montagnes de terre naviguent à travers un enchevêtrement de tapis roulants avant d’atterrir dans une sorte de centrifugeuse géante. “Le débit d’eau y est très puissant », explique Philippe Goossens, directeur du site. “Cela produit un effet de friction intense entre les grains et toute la contamination, autour de chacun d’eux, disparaîtra.« .

Conscient de l’enjeu sanitaire et porté par une demande en plein essor, le groupe a investi des millions d’euros pour peaufiner sa technique. Au bout des rails mécaniques qui transportent la terre nettoyée, il reste 10 % de résidus contaminés. «Condensé»ils seront envoyés vers des centres de mise en décharge spécialisés. Pour détruire complètement les PFAS, il faudrait les incinérer à des températures comprises entre 1 050 et 1 100 degrés, comme le détaille l’Institut national de l’environnement et des risques industriels, et en plus d’être énergivores, “ça coûte trop cher”» reconnaît le directeur du site.

Quant aux sols régénérés, ils ne reviendront jamais dans les jardins d’Anvers. En réalité, il ne reste que du sable, totalement dévitalisé, débarrassé de toute matière organique. Il servira à fabriquer du béton. En faisant cela, nous aidons la nature, car le sable est une ressource limitée.insiste Philippe Goossens.

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« Laver le sol » est donc un «technologie prometteuse», estime l’Agence européenne de l’environnement, sur son site internet. Cependant, sa viabilité dépend fortement de la composition du sol. Bien que les PFAS puissent être éliminés des sols granulaires par lavage, ils ne peuvent pas être éliminés des types de sols plus cohérents (par exemple les argiles)..

Avant de quitter l’usine pour une seconde vie, »chaque tas de terre que nous avons ici est envoyé à un laboratoire indépendant qui vérifiera si chaque grain de terre est vraiment propre», assure Philippe Goossen. Par propre, il ne faut pas entendre «totalement exempt de PFAS“, plus avec un taux de polluants éternels inférieur à la norme en vigueur. En Flandre, pour pouvoir être réutilisé, le sol doit contenir moins d’un microgramme de PFAS ; l’entreprise de dépollution ne cherche donc pas à descendre en dessous de ce seuil. La technique s’applique également uniquement aux molécules dites historiques, mais pas aux molécules de « nouvelle génération » ou à leurs produits de dégradation, comme le TFA. “Il faut être réaliste“, prévient Philippe Goossens, les valeurs limites doivent prendre en compte les seuils de toxicité pour la population, mais aussi les coûts économiques pour la société dans son ensemble« .

Pour le militant Thomas Goorden, dépolluer complètement la planète est donc une utopie. “Cela n’arrivera jamais, c’est totalement absurde. il avoue, fataliste. « La seule chose à faire est d’arrêter la production, l’émission de PFAS et de s’attaquer à la décontamination des points les plus critiques. Après cela, il ne nous reste plus qu’à rentrer chez nous et à apprendre à vivre avec. »

Un constat partagé par les scientifiques qui nous ont aidés à évaluer la décontamination de l’Europe. “S’attaquer aux PFAS dans l’environnement sans contrôle efficace des sources, c’est comme essayer de vider une baignoire avec le robinet ouvert. explique Ali Ling, pour qui l’ampleur des coûts souligne la nécessité de réguler l’usage des polluants éternels. « Une fois que nous aurons limité les émissions dues à l’utilisation des PFAS, il sera logique de réfléchir davantage au contrôle de la pollution.», conclut le militant.


Retrouvez le numéro de « Complément d’enquête » consacré aux polluants éternels, jeudi 16 janvier, à 23 heures, sur franceinfo et france.tv.


Le projet Forever Lobbying, coordonné par Le Monde, a impliqué 46 journalistes et 29 partenaires médias de 16 pays différents, en partenariat avec l’Arena for Journalism in Europe et le Corporate Europe Observatory. Sur la base de plus de 14 000 documents inédits concernant les « polluants éternels » également connus sous le nom de PFAS, Le travail comprenait le dépôt de 184 demandes d’accès à l’information, dont 66 ont été partagées avec l’équipe du Corporate Europe Observatory. Soutenu par un groupe d’experts composé de 18 universitaires et juristes internationaux, le projet a reçu le soutien financier du Centre Pulitzer, de la Broad Reach Foundation, de Journalismfund Europe et d’IJ4EU.

 
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