Votre roman* est dédié à votre mère. Que vous a-t-elle transmis ?
« Elle m’a inventé. Elle a réussi à réaliser mes rêves, non pas pour elle, mais pour moi. Mon père était communiste, mais il était à l’écart. Il allait changer le monde – qui n’a d’ailleurs pas changé – alors que ma mère était communiste au quotidien. Je lui dois tout et je suis en paix avec elle aujourd’hui. J’ai eu du mal à accepter sa mort. C’est pour cela que le livre a mis si longtemps à sortir. J’avais prévu de le publier il y a 7 à 8 ans. »
Il n’y a aucune date de sa mort dans le livre.
«Je ne la connais pas. Je connais sa date de naissance, le 6 janvier, ce qui est toujours une période difficile pour moi. Je sais qu’elle est décédée en février. Depuis que ma mère est morte, je ne sais même plus quel jour nous sommes. Lundi ? Mardi ? Dimanche, je prends mes repères, parce que dimanche, il se passe quelque chose. Une sorte de vide. Cela ne me dérange pas au quotidien. J’aime prendre mon temps un peu dans le désordre. Je n’ai plus peur du temps qui tombe. Je le prends et je le perds. »
« Nous vivons pour aimer. C’est la seule chose importante. »
Mais vous dites avoir « peur de la mort depuis celle de [votre mère] ».
« En vérité, j’ai toujours eu peur de la mort. Mais j’ai surtout peur de la mort des autres. J’ai perdu des maisons, des guitares, des stylos, ça ne m’a jamais traumatisé. Par contre, perdre une voix, un regard, quelqu’un qu’on a envie d’embrasser, c’est traumatisant. Ma mort, évidemment, ne me rend pas heureuse non plus. Il y en a qui pensent qu’après la mort, il y a autre chose. Comment pourrions-nous revenir? Dans un arbre ? En tant qu’animal ? Nous savons simplement que nous sommes de la poussière d’étoile. Nous ne savons pas pourquoi nous sommes en vie, mais nous savons pourquoi nous vivons. Nous vivons pour aimer. C’est la seule chose importante. Non pas être aimé, mais aimer. Certains pensent qu’il n’y a plus rien après, que nous sommes mangés par les vers, que c’est fini. C’est poétique. C’est la vision des athées, celle de mon père. Et puis il y a ceux qui ont de l’espoir. Je suis un peu coincé entre les deux. »
Votre mère vous a donné différents noms d’animaux « selon le sentiment qu’elle ressentait en vous ». Y en a-t-il un qui vous convient mieux ?
« ‘Mon petit chat’, évidemment, est celui qui me caresse le plus car il est doux et indépendant. Un chat vient vous voir s’il a envie de vous voir. Mais « mon petit rat », le disait-elle souvent. J’aime ça. Le rat est un animal très intelligent, comme le requin. Mais ce sont des animaux dont on se débarrasse assez rapidement. Ça me fait mal au cœur de tuer un dauphin. Un requin, un rat, peu importe. J’aime les animaux comme ça. »
Chanteur, acteur, écrivain, etc., vous considérez-vous comme un artiste complet ?
« Je ne m’intéresse pas à tous les types d’art, mais j’ai besoin de voir ce que je vaux. Rien n’est très bien dans ce que je fais. La chanson n’est pas très bonne. Les livres ne sont pas très bons. Idem pour les dessins et les photos. Mais quand je fais tout en même temps, cela crée un désordre un peu surréaliste, une construction dans laquelle je m’organise. Chez moi, c’est organisé comme ça. Il y a des livres empilés, des dessins, et dans ce truc, j’arrive à être moi. Pas bon. Mais moi. »
« C’est dur de durer. »
Cette année, cela fait quarante ans que ta chanson est sortie Les yeux revolverqui a lancé votre carrière. Quel regard portez-vous sur cette période passée ?
« Je ne la regarde pas, c’est fatiguant. Je n’ai pas de photo de moi ni de disque d’or à la maison. Je ne veux pas de tout ça. J’ai la chance de ne pas avoir de prix, de diplômes ou de notes. Je ne dis pas que c’est bien, mais c’est un souci de moins. J’ai pris l’habitude de ne pas regarder ce que je faisais avant. Ni écouter mes chansons, ni regarder mes films, ni mes interviews. C’est difficile à faire, parce que c’est agréable de se regarder… Et c’est horrible. Entre le gentil et l’horrible, je crois que je souffre davantage de l’horrible. »
Est-ce difficile de se renouveler ?
“C’est difficile, mais je le recherche activement.” Les auteurs de chansons, ils écrivent tranquillement jusqu’à 30 ans. J’ai 62 ans. Passé un certain âge, c’est difficile de faire des chansons qui passent à la radio, qui intéressent les gens, qui les concernent. Je travaille beaucoup là-dessus. Je remercie tous les compositeurs qui m’apportent des mélodies. C’est pour ça que j’aime particulièrement les gens qui arrivent, qui commencent à se tortiller. C’est dur de durer. Mais nous avons un avantage par rapport aux acteurs, par exemple. Une personne qui achète notre chanson l’a déjà entendue. Nous savons donc que si elle l’achète – même si le marketing nous a dit que cela ne fonctionnerait pas – il y a une raison. Et cette raison échappe au marketing. »
“J’aime les militants, mais pas ceux qui apparaissent à la télévision”
Autisme, Téléthon, Enfoirés, vous vous engagez dans de nombreuses causes. Y en a-t-il un qui vous touche plus que les autres ?
« La personne la plus discriminée au monde, ce sont les femmes. Toute discrimination est moindre que celle exercée contre les femmes. Elle est victime de discrimination de toutes les couleurs, de toutes les politiques, de toutes les longitudes. Ils sont excisés. Nous les avons frappés. Ils sont lapidés. Nous les sous-payons. Nous les traitons comme de la merde. On les regarde dans la rue comme si c’étaient des ânes qui passent. C’est la première chose qui me semble insupportable. Je ne vais pas en parler dans les médias parce que je ne suis pas un activiste. J’aime les militants, mais pas ceux qui apparaissent à la télévision, qui pointent du doigt et qui disent ce qu’il faut faire. Toutes les populations discriminées, victimes du racisme, les homosexuels, les malentendants, etc., si on les met ensemble, c’est une majorité. Mais comme elle ne vote pas beaucoup, on s’en fiche. »
*Quand les chevaux arrivent (Fayard), 200 pages, 19,90 euros, en librairie le 15 janvier.