Ils se détestaient tellement. Tout au long de leur vie politique, Jean-Marie Le Pen, décédé à l’âge de 96 ans, et Jacques Chirac se sont affrontés à travers les meetings et les médias pour finir par s’affronter, à la surprise générale, lors du second tour de l’élection présidentielle de 2002. . L’histoire est connue : manifestations monstres contre le FN, refus de débat de Chirac, réélection triomphale (82,2%). Avant cet ultime affrontement, les chemins des meilleurs ennemis de la politique française se sont croisés à deux reprises.
C’est l’histoire d’un rendez-vous manqué. Opposé à une alliance entre son parti de droite, le RPR, et le Front national, Jacques Chirac accepte finalement de rencontrer le nationaliste, entre les deux tours de l’élection présidentielle de 1988. Le Pen vient de recueillir 14,3 % des voix au premier tour, après avoir dirigé un groupe d’une trentaine de députés lors de la première cohabitation, entre 1986 et 1988. Chirac, qui connaît les 20 %, doit rallier les voix Frontistes – et ceux de l’ancien Premier ministre centriste Raymond Barre, mais c’est plus facile – s’il veut gagner contre François Mitterrand.
Mot contre mot
Charles Pasqua, alors ministre de l’Intérieur et premier des chiraquiens, a bien compris l’enjeu. Il donne une longue interview à Valeurs actuelles 2 mai 1988. Dans le surtitre de l’interview ? « Au fond, le Front national revendique les mêmes valeurs que la majorité. » Selon lui, Le Pen exprime ces valeurs « d’une manière un peu plus brutale, un peu plus bruyante. » La déclaration fait l’effet d’une bombe. Pasqua ne fait pas cette sortie par hasard : quelques jours auparavant, il avait organisé une rencontre entre le leader d’extrême droite et le Premier ministre.
« Je ne vois pas pourquoi Chirac n’aurait pas rencontré Le Pen pour ne pas laisser ces voix se diriger vers Mitterrand.», expliquait Pasqua en 2002, après un autre enotre ancienne rencontre entre les deux hommes, dans l’appartement du résistant Pierre de Bénouville, was made public by journalist Éric Zemmour.
L’entretien organisé par Charles Pasqua s’est déroulé au domicile d’un de ses amis. ” Ce que se sont dit les deux hommes, je ne le sais pas, ajoute le Corse, qui confirmera ses déclarations dans ses Mémoires, publiés en 2007. « Je les ai reçus tous les deux, je les ai introduits dans la salle puis je me suis retiré. Après, je les ai rejoints avant qu’ils ne se séparent, je les ai salués et ils sont partis les uns après les autres..
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Trop contente de la publicité, Le Pen va confirmer les deux rencontres. « Chirac était exigeant et voulait que je puisse lui apporter le soutien des voix que j’avais obtenues au premier tour, mais sans prendre aucun engagement envers mes électeurs », explique celui qui fut quintuple candidat à la présidentielle. Il pensait que cela pourrait lui être utile. »
Chirac a toujours dit que tout était faux mais j’y ai toujours cru…
-Michèle Cotta, journalist
« Chirac m’a toujours dit que tout était faux, mais j’y ai toujours cru… confie Michèle Cotta, journaliste et mémoire de la Ve République, qui a bien connu le trio. Il a toujours été très hostile à Le Pen, cette rencontre était en réalité un conseil de Pasqua qu’il a suivi. Il faut rappeler qu’il fut un temps, dans les années 1980, au moment des élections municipales à Dreux (le centre et la droite s’étaient alliés à l’extrême droite dans cette ville d’Eure-et-Loir, en 1983), où l’idée d’une alliance a flotté, au RPR… Mais Chirac, il a toujours tenu bon, cela ne fait aucun doute. Il n’a jamais considéré le FN comme une menace réelle, même si celle-ci ne faisait que croître. Il n’a pas vu venir 2002, comme Jospin. Il pensait que c’était une machine de guerre fabriquée par Mitterrand pour lui enlever les quatre ou cinq points dont il avait besoin pour être élu… »
Tous deux photographiés, en maillot de bain
Alors qui croire ? Le camp Chirac a reconnu une seule rencontre privée, non datée, qui pourrait être celle qui a été immortalisée. Cette célèbre poignée de main entre la maire de Paris et le député Le Pen, photographiée en maillot de bain, à l’été 1987, au Cap d’Antibes. Tête penchée vers le Premier ministre, l’air un peu taquin, mais déférent, Jean-Marie Le Pen semble savourer l’instant, à l’image. Se dit-il qu’il joue un tour à Chirac, qui tient ses chaussures dans sa main gauche et a toujours ouvertement méprisé Le Pen ? « Un montage ! » crieront ensuite les Chiraquiens. «C’est pourtant le pur résultat du hasard», jure encore aujourd’hui Lorrain de Saint-Affrique, ami proche du «Menhir» et proche de Paris Match. Tous deux étaient en vacances dans le sud de la France, au même endroit. Et Catherine de Chambrun, épouse du député FN Charles de Chambrun, présent ce jour-là, a immortalisé l’instant. Elle était en vacances et avait un appareil photo avec elle, elle a eu le réflexe de prendre la photo… » Une coïncidence qui tombe encore à point nommé pour le paria de la politique française, qui a exposé la photo en mai 2002, après le refus de Chirac. débattre avec lui, avant le second tour…
Mais le hasard n’est pas le seul à avoir joué un rôle dans cette affaire, selon nos informations. “Ce n’est pas Catherine de Chambrun qui a pris cette photo, c’est moi”, affirme Bernard d’Ormale, interrogé par Paris Match, mis sur sa piste. Mari de Brigitte Bardot depuis les années 1990, il était ami avec Jany Le Pen depuis les années 1980. « Ce jour-là, j’avais rendez-vous dans cet hôtel de luxe, l’Eden Rock, dans un bungalow, pour prendre un verre avec Jean-Marie, sa femme et les Chambrun, explique l’ancien homme d’affaires. Je leur ai dit : « Nous avons Chirac comme voisin ! », il était à cinquante mètres, il ne s’arrêtait pas de bouger. J’ai murmuré à Le Pen : « Il va rater son coup, c’est sûr. Dès qu’il sortira, rencontrez-le, serrez-lui la main, il le fera par courtoisie parlementaire… (Le Breton était alors président du groupe FN à l’Assemblée).” Des petits chemins qui se croisaient menaient à tous les bungalows, impossible à éviter. Chirac passe enfin avec des chaussures de fille taille 44 à la main, Le Pen sort, ils se saluent, et je prends mon petit Kodac Instamatic et je prends la photo. C’était drôle ! »
Après avoir fait développer les négatifs, D’Ormale a offert – gratuitement, affirme-t-il – les photos à une agence qui, selon lui, craignait de voir ses accréditations à Matignon annulées si elle acceptait. Une agence de Boulogne-Billancourt finira par les prendre. C’est finalement Le Canard chainé qui le publie en février 1990.
« La mort, même l’ennemi a droit au respect » écrivait Jean-Marie Le Pen à la mort de l’ancien chef de l’État français, en 2019. De sa part, Chirac aurait peut-être préféré le silence.