Avec la mort de Jean-Marie Le Pen, un monstre politique disparaît

Pas vraiment l’homme de paille que nous espérions

Né en 1928 à La Trinité-sur-Mer en Bretagne, Jean-Marie Le Pen devient pupille à l’âge de 14 ans après le décès de son père. Diplômé en droit et titulaire d’une licence de lettres classiques, il sert dans la Légion étrangère pendant la guerre d’Indochine. Élu en 1956 député de Paris grâce à la vague poujadiste – il était alors le plus jeune parlementaire de –, il fonde le Front national (FN) en 1972. »En réalité, les militants venus le chercher pour l’installer à la tête de ce nouveau parti le voyaient comme un homme de paille. C’était très mauvais pour eux : Le Pen a très vite pris le leadership au sein du mouvement», précise Jean-Yves Camus, directeur de l’Observatoire des radicalités politiques à la Fondation Jean Jaurès et spécialiste de l’extrême droite.

Jean-Marie Le Pen, 16 janvier 1956 ©Photo AGIP / Bridgeman Images / Belga

Convaincu que la grandeur de la nation s’effondre à cause de la décolonisation française en Algérie, Jean-Marie Le Pen veut réactiver la vieille extrême droite française. Mais les débuts sont difficiles. Le « pirate » (il a perdu un oeil lors d’une bagarre lors d’une manifestation à Paris) n’obtient que 0,7 % des voix lors de l’élection présidentielle de 1974. En 1981, il ne parvient pas à réunir les cinq cents signatures nécessaires pour pouvoir comparaître. . “Mais il a progressivement fait de cette formation crépusculaire une sorte de front commun de toutes les composantes de la droite nationaliste, allant des monarchistes aux républicains, des résistants aux néonazis. Ce faisant, il fait revivre une famille politique que tout le monde croyait définitivement morte le 8 mai 1945. souligne le politologue.

La première percée électorale intervient lors des élections municipales de 1983. L’année suivante, sa liste obtient près de 11 % des voix aux élections européennes. En 1984, il est élu député européen et, deux ans plus tard, il s’installe, effronté et bravade, une nouvelle fois sur les bancs de l’Assemblée nationale, avec trente-quatre autres députés FN grâce au scrutin proportionnel.

Jean-Marie Le Pen à l'Assemblée nationale en 1986Jean-Marie Le Pen à l'Assemblée nationale en 1986
Jean-Marie Le Pen à l’Assemblée nationale en 1986 ©AFP ou concédants de licence

Des excès insupportables

Las, “Jean-Marie Le Pen se tire alors une balle dans le pied en multipliant déclarations antisémites et négationnistes analyse Jean-Yves Camus. En fait, le leader frontiste accumule des excès insupportables : envers les Juifs quand, en 1987, il qualifie les chambres à gaz de «détail de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale » ; envers les immigrés, lorsqu’il dit considérer l’immigration comme un «invasion» ; envers les gays alors qu’il estime que l’homosexualité est un «danger pour la survie de l’humanité ». Ces débordements, qu’il assume pleinement, lui valent d’être condamné à de multiples reprises par la justice et humilié par une grande partie de la population française.

A partir de làajoute le spécialiste, l’alliance des droits avec lui devient impossible. Jean-Marie Le Pen poursuit néanmoins sa trajectoire, seul, et parvient au fil des années à créer la troisième famille politique française. Une famille marquée par le divorce : Le Pen accompagne difficilement la montée en puissance de son ambitieux numéro deux, Bruno Mégret, et cette rivalité grandissante conduit à la scission du FN en 1998. “Je n’abandonnerai pas la barre du navire à une poignée de lieutenants et d’intendants perfides” lâchez celui que l’on surnomme désormais « le menhir ». Dès lors, le parti s’essouffle, aux élections européennes de juin 1999 (5,7%) comme à toutes les élections partielles. Par ailleurs, début 2000, son chef a été condamné à un an d’inéligibilité pour avoir attaqué un candidat socialiste en mai 1997. Il a dû renoncer pour un an à son mandat de conseiller régional de Provence. Alpes-Côte-d’Azur et son mandat de député européen (qu’il reprendra un an plus tard).

Au fil des années et des provocations, Jean-Marie Le Pen s’est imposé sur la scène médiatique et politique comme le leader incontesté de la droite radicale et xénophobe. Il se présente volontiers comme un candidat « antisystème », axé sur la préservation des intérêts nationaux et le rejet des étrangers. “C’était une bête de scène, un coquin qui écrasait ses concurrents grâce à ses talents de tribun.se souvient Jean-Yves Camus. Persévérant, il répète inlassablement le même credo « souveraineté, immigration, sécurité » ; impulsif et fier, il ne ressemblait à aucun autre homme politique.

Jean-Marie Le Pen, entouré de sa fille Marine (à droite) et de son épouse Jany (à gauche), lors de la célébration annuelle de Jeanne d'Arc à l'Opéra de Paris, le 1er mai 1995.Jean-Marie Le Pen, entouré de sa fille Marine (à droite) et de son épouse Jany (à gauche), lors de la célébration annuelle de Jeanne d'Arc à l'Opéra de Paris, le 1er mai 1995.
Jean-Marie Le Pen, entouré de sa fille Marine (à droite) et de son épouse Jany (à gauche), lors de la célébration annuelle de Jeanne d’Arc à l’Opéra de Paris, le 1er mai 1995. ©AFP ou concédants de licence

Depuis 2011, Jean-Marie Le Pen est en retrait. Sa fille Marine Le Pen a repris le flambeau. Stratège de la diabolisation, elle s’efforce de donner au parti de son père, rebaptisé Rassemblement national (RN), une image plus modérée et moins extrémiste, au grand dam du patriarche qui n’hésite pas à s’y opposer frontalement. Certains pensent même qu’il souhaitait que sa fille fasse naufrage. Sa nièce, Marion Maréchal Le Pen, s’est associée à Éric Zemmour. La lignée lépéniste perdure, plus vivante que jamais, ses idées contaminant parfois les discours des partis « traditionnels ». Le spectre idéologique de Jean-Marie Le Pen risque de hanter encore longtemps la vie politique française…

 
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