LLa honte, la culpabilité, l’excès de pudeur sont les ennemis des patients alcooliques. L’isolement dans lequel plongent certains leur addiction et son lot de conséquences délétères pose aussi une barrière à une autre vie, celle de l’abstinence, seul salut possible. Jacques Bouchet a mis plus de quinze ans à comprendre. Comprendre qu’il a dû lutter contre son penchant mortel pour l’alcool, accepter de ne pas se lancer seul dans ce combat. « Seul, mon destin aurait été différent. Grâce aux autres, j’ai réussi à parler de mes problèmes et de mes angoisses. C’est en parlant de mes démons que j’ai réussi à les dominer », écrivait Jacques au début des années 2000.
Janvier Sec : 7 conseils pour réussir le Challenge de Janvier
Dry January, January Challenge en français, consiste à ne pas boire d’alcool du 1er janvier jusqu’à la fin du mois, à l’image du Mois sans tabac qui a lieu en novembre. Né au Royaume-Uni, adopté dans de nombreux pays, Dry January peut vous aider à comprendre votre position par rapport à l’alcool. Pouvez-vous vous en passer ? Êtes-vous capable de contrôler votre consommation ?
En guise d’exutoire, Jacques Bouchet a commencé à collectionner ses souvenirs il y a plus de vingt ans. Histoire que Fabienne Pottier a accepté de publier (Éditions Lis ma Vie). « Jacques a bu… et ne boira plus ! » est sortie symboliquement le 18 novembre 2024, trente ans jour pour jour après le début de la seconde vie de Jacques Bouchet. Près de trente ans après sa dernière boisson, le « rosé », qu’il consommait encore en 1994 comme d’autres avec un verre d’eau ou de jus de fruit, sa nouvelle boisson préférée. Dans son livre témoignage, presque un aveu, Jacques Bouchet confie avoir de nouveau goûté à l’alcool, en 1996, après deux ans de sevrage. « Cela m’a tellement dégoûté que je n’ai plus jamais réessayé. »
Vodka à 15 ans
Jacques Bouchet a croisé la route de l’alcool dès son enfance, élevé – par des parents « nourriciers », apprend-il dès l’âge de 15 ans – dans une ferme de la campagne de Jonzac. Son « père » André cultivait entre autres la vigne. A 8 ans, Jacques connaissait déjà le goût du vin. A 15 ans, il ne manquait pas de rendre visite à son voisin Rudy, ancien légionnaire, qui se moquait bien de servir du Cointreau ou de la vodka aux enfants.
Jacques a changé, analyse-t-il à rebours, lorsqu’il a découvert que ses parents ne l’étaient pas, biologiquement. « Ma mère travaillait pour eux. Enceinte de moi, elle leur a demandé de s’occuper de mon frère, âgé d’un an et demi, et de moi s’il lui arrivait malheur. Elle est décédée huit jours après ma naissance… »
Être entouré, la clé
Avec le recul, après seize ans d’alcoolisme quotidien et parfois extrême, et aujourd’hui trente ans d’abstinence, Jacques Bouchet a compris : « Peu importe, finalement, les excuses et les circonstances atténuantes, nous sommes tous responsables de ce qui nous arrive. C’est une bonne et une mauvaise nouvelle, cela signifie que nous avons tous le pouvoir de changer les choses, de ne plus culpabiliser pour ce qui s’est passé, mais de mettre les choses en place pour éviter que cela ne se reproduise. »
-Nous avons tous le pouvoir de changer les choses, d’arrêter de culpabiliser
« Mettre les choses en place », commence Jacques Bouchet en 1994. « Il fallait que ça déclique… Cette année-là, mon frère biologique est mort d’alcool à 33 ans et un médecin m’a donné deux ans à vivre si je continuais à boire comme je le faisais. Cela m’a donné matière à réflexion… » Jacques a toujours travaillé, année après année, malgré son addiction. Dans l’entretien des jardins, des maisons, pour les particuliers, ou via des contrats d’insertion au sein des services communaux du Pays Royannais. Même lorsqu’il préférait vivre dehors, à la belle étoile ou dans un accident de voiture en forêt, pour réserver le peu d’argent qu’il gagnait pour payer sa dose quotidienne d’alcool. Mais même au temps de la « galère », Jacques Bouchet n’a jamais été seul. A Royan notamment, dans la Marne Yeuse, il a élargi son réseau amical, autre bouée de sauvetage.
Il « joue » l’alcoolique
En trente ans d’abstinence, il s’est parfois rapproché du gouffre. Dans ces mêmes colonnes, en 2004, alors qu’il était sobre depuis dix ans, il reconnaissait avoir parfois « peur de replonger ». Encore récemment, en 2018, au décès de sa mère adoptive Gisèle, il a ressenti l’angoisse de trouver du réconfort dans l’alcool. « J’ai appelé le 15, tout de suite ! » Qui l’a orienté vers l’association La Croix Bleue (1). Ce qu’il connaît bien. Jacques Bouchet l’a rejoint en 1994 et au début de sa nouvelle vie, devenant « membre actif au bout d’un an et demi », sa première fierté. Il est même aujourd’hui secrétaire « anti-alcool » au niveau régional.
Jacques s’est également impliqué dans les Restos du coeur. Il participe aux ateliers proposés par le centre socioculturel, notamment à l’atelier théâtre, n’ayant pas peur de se glisser une nouvelle fois dans la peau d’un Bourvil ivre incarnant un membre de la ligue anti-alcool vantant néanmoins les vertus de l’eau ferrugineuse. Un simple rôle de composition pour lui aujourd’hui.
(1) Association nationale d’engagement contre l’addiction à l’alcool.