Dix ans après les attentats de Charlie Hebdo, retour sur une des images fortes de la manifestation organisée à Paris le 11 janvier 2015. Thierry Keup, professeur de pâtisserie de Cambrai (Nord), avait embrassé un CRS, dans un éclat spontané. . Il se souvient de ce moment qui a fait le tour du monde.
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C’était il y a 10 ans. Les attentats de Charlie Hebdo, Hyper Cacher et Montreuil. Dix-sept personnes assassinées. Un choc terrible. La peur d’une population. Et puis, un besoin d’être ensemble, solidaires. Lors de la grande « marche républicaine » organisée le 11 janvier 2015 à Paris, plus de 1,5 million de personnes ont défilé.
Et une image va tourner en boucle, celle d’un professeur embrassant un CRS. Aujourd’hui, cela reste un moment mémorable pour Thierry Keup. Il raconte son action.
Thierry Keup : J’avais une envie essentielle d’aller à cet événement. Ma femme travaillait et ne pouvait pas m’accompagner. J’ai donc rejoint mon beau-frère qui vivait en région parisienne. Je me suis lancé vers ma femme, en plaisantant : “tout ira bien, tu me verras à la télé ! ». Cependant, je n’avais aucune arrière-pensée.
Quand nous sommes arrivés, il y avait beaucoup de monde. Mon beau-frère a pensé que c’était une bonne idée de participer à la manifestation sans hésiter. Nous nous sommes retrouvés coincés aux barrières rue de Charonne. Puis sur le boulevard Voltaire, nous avons été bloqués devant les CRS alors que la manifestation démarrait, avec le défilé des chefs d’Etat. Nous étions comme dans un sas de sécurité. C’était calme et bon enfant. Lorsqu’un convoi de CRS passait, il était applaudi. C’était la première fois que je manifestais.
Je ne sais pas pourquoi, mais j’ai dit à mon beau-frère : «Ils sont gentils, les flics, j’irais bien en embrasser un !. Menés par mon beau-frère, les gens ont commencé à scander : “un baiser, un baiser…”
Je n’ai pas abandonné et je suis allé dans ce CRS. Je lui ai dit : «Allez, embrassons-nous, c’est une belle journée. Il semblait réticent. En fait, ce n’est pas moi qui l’ai embrassé, j’étais seulement le représentant de ceux derrière moi qui voulaient embrasser un flic. Une équipe de France 2 nous a vu et nous a rejoint. Ils nous ont demandé de refaire la scène, dans le même esprit. Ensuite, je suis retourné dans la foule et nous avons défilé.
Un peu plus tard, mon une femme m’appelle et me dit : « On vous a vu à la télé, c’est en rediffusion, tous les quarts d’heure !« . Nous sommes rentrés chez mon beau-frère et en effet, le soir, au générique, dans le journal, on nous a vu. Le lendemain, j’ai été contacté par les journalistes de Voix du Nord.
Dans l’établissement dans lequel je travaillais, à Arras, on a même aménagé une salle de presse, dans une salle de classe ! Il y avait plusieurs journalistes qui venaient me voir tous les jours : TV, presse écrite, radio. Cela a duré presque deux semaines.
Thierry Keup : J’ai revu Steeve une fois, un an après les attentats. Il était en poste au Bois de Boulogne, à Paris, à la Fondation Louis Vuitton. On a parlé, on ne se connaissait pas. Il s’avère que Steeve adore cuisiner et j’ai longtemps été pâtissier avant de l’enseigner.
Depuis, nous nous envoyons des petits messages, nous souhaitons un joyeux Noël et une bonne année. Nous nous sommes encore parlé au téléphone récemment, cela a duré 30 minutes ! J’ai essayé de l’inviter lorsqu’il était dans le coin, mais nous n’avons pas réussi.
Le geste était vraiment spontané, je n’y avais pas pensé, le symbole est encore plus beau, pour moi. J’ai pris le premier devant moi. Ce n’était pas seulement un flic, mais un être humain ! Alors en reparler ne peut que faire du bien. Je suis fier de ce qui s’est passé, d’avoir réconcilié la population et la police, ne serait-ce qu’un instant.
Thierry Keup : Mon sentiment est partagé. Je me sens toujours triste. J’ai du mal à comprendre comment des gens peuvent tuer pour des dessins, des opinions, mettre la France à genoux par des actes de terrorisme, quels qu’ils soient. Cela reste triste. Nous ne nous en sommes malheureusement pas sortis, nous venons de le voir en Allemagne. [NDLR : référence à l’attentat de Magdebourg où un conducteur a foncé en voiture dans la foule du marché de Noël].
La liberté est une valeur importante. Ma femme vous expliquerait que je dis toujours : « La liberté commence là où finit celle des autres ». On peut avoir de l’humour, il faut aussi savoir rire de soi, ça commence par soi-même, si on n’en est pas capable… J’ai vécu l’époque Coluche, Hara-Kiri, Fluide glacial…
Si les politiques avaient tiré les leçons de ce qui s’est passé ce jour-là, peut-être se seraient-ils unis pour rendre la France différente. Si on s’unit, c’est bien, si on divise, ce n’est pas bien, conclut Thierry Keup.
Ce baiser, le chanteur Renaud en a fait une chanson, sobrement intitulée “J’ai embrassé un flic”. Dix ans plus tard, si l’esprit de Charlie est peut-être un peu en sommeil, Thierry Keup, aujourd’hui à la retraite, a noué une merveilleuse amitié.