l’essentiel
Le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau et son prédécesseur et nouveau garde des Sceaux Gérald Darmanin constituent un duo de choc sur le régalien qui pourrait vite tourner au duel si une rivalité surgit entre les deux poids lourds du gouvernement Bayrou.
Après la dissolution ratée dont il est encore l’un des rares défenseurs, Gérald Darmanin, resté quatre ans ministre de l’Intérieur, a laissé entendre à la fin de l’été – et alors qu’Emmanuel Macron cherchait son Premier ministre – qu’il voulait prendre le terrain, réfléchir au sein de son mouvement « Populaire ! » et ne plus être forcément ministre. A moins que le Président ne le lui demande et à moins que ce soit le Quai d’Orsay dont il rêvait depuis l’éviction d’Elisabeth Borne en janvier.
Mais fin septembre, c’est Jean-Noël Barrot qui est nommé au ministère des Affaires étrangères et Gérald Darmanin redevient simple député, renonçant même à défier Gabriel Attal pour la présidence du groupe EPR à l’Assemblée. Lors de la passation du pouvoir avec son successeur, le très droitier sénateur LR Bruno Retailleau, Gérald Darmanin a dû serrer les dents lorsque le nouveau ministre a répété à trois reprises que sa priorité était de “rétablir l’ordre”, laissant ainsi entendre que c’était le désordre. qui régnait jusque-là.
Un ancien haut flic de France, place Vendôme
Serait-ce cette fouille gratuite venant d’un homme avec qui il a été dans la même famille politique avant de rejoindre Emmanuel Macron en 2017 ? Serait-ce le changement de rythme entre l’agenda chargé d’un ministre des médias et celui d’un député presque retombé dans l’anonymat ? En tout cas, Gérald Darmanin a encore fait des offres de services ce mois-ci, d’autant plus facilement que le Premier ministre François Bayrou était à la recherche de poids lourds politiques. Et s’il a encore une fois raté le Quai d’Orsay, Gérald Darmanin a accepté d’être nommé au ministère de la Justice.
C’est peu dire que la nomination d’un ancien premier flic de France place Vendôme a fait tousser les magistrats, d’autant que Gérald Darmanin s’est permis de critiquer les réquisitions d’inéligibilité contre la cheffe des députés RN Marine Le Pen, jugée en l’affaire des assistants parlementaires européens, et qu’il avait auparavant participé à une manifestation de policiers devant le ministère de la Justice où l’on scandait que « le problème de la police, c’est la justice. »
Sur la même ligne de fermeté
Succédant au pâle mais mesuré Didier Migaud qui avait succédé au tonitruant ex-avocat Eric Dupond-Moretti, Gérald Darmanin se retrouve donc à former un duo avec Bruno Retailleau avec qui il partage quelques points communs. Tous deux sont sur la même ligne droite de fermeté royale ; tous deux sont multipliés dans les médias comme si leurs propos étaient performatifs ; tous deux ne reculent pas devant la formule choc, les mots qui frappent l’esprit, calibrés pour les radios matinales et les réseaux sociaux ; tous deux sont républicains mais se rapprochent parfois dangereusement des thèmes favoris de l’extrême droite ; tous deux ont l’élection présidentielle de 2027 en tête…
Ces deux têtes fortes, ces frères ennemis – qui ont par le passé échangé quelques passes d’armes sur le fiasco de la finale de la Ligue des champions en 2022, sur la loi sur l’immigration ou les opérations antidrogue XXL – vont désormais devoir apprendre à travailler. ensemble, ce qui n’exclut pas une rivalité qui pourrait transformer le duo inattendu en duel.
Darmanin multiplie les propositions
Alors que depuis septembre Bruno Retailleau a largement occupé le terrain et les médias – devenant l’homme fort de la droite et inquiétant Laurent Wauquiez – Gérald Darmanin, dès sa nomination, a repris ses habitudes et multiplié les annonces.
Le 25 décembre, il était au centre pénitentiaire de Liancourt, dans l’Oise, pour promettre de « nettoyer les prisons » tout en assurant sa volonté de « fermeté » dans les peines prononcées. Le lendemain à 20 heures sur TF1, le nouveau garde des Sceaux confirmait vouloir construire des centres spécialement adaptés aux peines courtes, des prisons plus petites, à taille humaine, inspirées de ce qui se fait ailleurs en Europe. Une proposition inattendue plutôt bien accueillie par les syndicats pénitentiaires ainsi que par le contrôleur général des lieux de privation de liberté Dominique Simonnot. Alors que sa nomination avait provoqué la colère de certaines militantes féministes qui lui reprochaient son comportement passé avec les femmes, Gérald Darmanin a annoncé sa volonté de prolonger la garde à vue de 48 à 72 heures pour les suspects de violences sexuelles aggravées. Il a également indiqué vouloir agir sur le trafic de drogue, une problématique éminemment partagée avec le ministère de l’Intérieur.
En quelques jours, Gérald Darmanin revient sur le devant de la scène, éclipsant presque les revenants Manuel Valls et Elisabeth Borne. Il lui faudra cependant apprendre à gérer son ministère qui a une culture différente de celle de la place Beauvau et qui est une autorité et pas seulement le ministère pénitentiaire. Il devra aussi défendre son budget, certes en hausse mais toujours inférieur à la moyenne européenne.
Surtout, Retailleau le Filloniste et Darmanin le Sarkozyste devenu macroniste devront apprendre à être complémentaires plutôt que rivaux. Mais la rivalité couve et selon le dernier sondage Ifop, les deux hommes sont au coude à coude…