Pendant un demi-siècle, Patrick Brion a animé « Minuit Cinéma » sur FR3 puis France 3. Ce grand monsieur à la discrétion exemplaire prend aujourd’hui sa retraite.
By Jérémie Couston
Publié le 20 décembre 2024 à 11h23
Mis à jour le 20 décembre 2024 à 11h28
Ônous lui devons notre découverte émerveillée de Monstres par Tod Browning, par Pandore par Albert Lewin ou Rebelle de King Vidor, parmi tant d’autres chefs-d’œuvre, religieusement enregistrés en VHS, chaque dimanche soir de notre adolescence, comme d’innombrables fans, avant et après nous. Patrick Brion, la voix lancinante du groupe Cinéma de minuit de France 3, roi des virgules et des peines avec sursis, vient d’avoir 83 ans, et prendra sa retraite à la fin de l’année. Décision que lui impose la direction de France Télévisions et qu’il feint d’accepter, avec la courtoisie et le sens du service public qu’il a dans son cœur depuis des décennies.
Fils d’une mère historienne de l’art au CNRS et d’un père romancier et académicien, le jeune Patrick s’oriente vers le cinéma, « le seul domaine artistique où le savoir-faire [s] ses parents n’étaient pas accablants. » Paris, à la fin des années 1950, connaît l’âge d’or du cinéma. On campe à la Cinémathèque Henri Langlois, on dévore les magazines, l’émulation est énorme. La frustration aussi de ne pas avoir accès aux films tant aimés, maudits, fantasmés. « Il m’a fallu deux semaines pour établir la filmographie de Raoul Walsh en parcourant les catalogues de l’American Institute alors qu’un clic sur IMDB me suffit aujourd’hui », il se souvient. Avec sa bande, composée de Bertrand Tavernier, Pierre Rissient, Bernard Eisenschitz, il organise des expéditions hebdomadaires à Bruxelles ou à Anvers, où les films américains sont encore projetés en double programme, série A et série B. « Nous avons préféré le western de Budd Boetticher ou le film d’horreur de Corman, invisibles à l’époque à Paris. »
Claude-Jean Philippe on A2, Patrick Brion on FR3
Après son service militaire, Brion devient adjoint d’André Labarthe et de Janine Bazin à l’ORTF pour Cinéastes de notre -collection légendaire de portraits des plus grands. Parallèlement, à la fin des années 1960, sous le pseudonyme d’André Moreau, le personnage de Stewart Granger dans Scaramouche, son film préféré, il a vendu ses premiers textes pour Cahiers du cinéma, La Revue des deux mondes, ou téléramaoù il défend Le Cabinet du Docteur Caligari (29 décembre 1968) et se demande “ce qui donne du punch aux feuilletons américains” comme Mannix ou Mission impossible (23 février 1969). À l’automne 1971, Pierre Sabbagh, directeur de l’ORTF, accepte finalement de lui confier un ciné-club, présenté par Claude-Jean Philippe et programmé par lui. Après la dissolution de “l’autre chose”, en 1975, Philippe prend la direction du cinéma sur Antenne 2 et Brion sur FR3 et en profite pour lancer son Cinéma de minuit, dédié aux films de patrimoine. Un poste qu’il a occupé pendant près de cinquante ans, un record.
Préférant l’ombre à la lumière, « Monsieur Cinéma » s’est laissé convaincre de présenter les films de son ciné-club en voix off, mais nulle part on ne verra Brion briller. Aucun nom au générique. Et pourtant, le cinéma lui doit beaucoup. Son émission a sauvé des pellicules qui allaient « devenir Nescafé » [tomber en poussière, ndlr] car Brion exigeait de nouvelles copies aux studios. En septembre 2019, France Télévisions avait tenté de pousser son vieux poulain vers la retraite mais avait abandonné à la dernière minute face à la bronca et à la pétition de la profession indignée. Cette fois, c’est la bonne. Sortie “l’archéologue du cinéma”, pour la remplacer, l’appelle Élodie Drouard, au début de la cinquantaine, qui a aussi des souvenirs de veille tardive et d’utilisation d’un magnétoscope. Fini les voix off, par souci d’économie. Sa mission : « reprogrammez les classiques pour construire votre cinéphile, et pas forcément le cinéma muet hongrois de 1912, qui peut être intimidant… » En attendant, Brion termine son règne le 20 décembre avec César, par Pagnol. Une histoire d’amour, de sacrifice et de transmission.