ARNAUD FINISTRE / AFP via Getty Images
Pour Ève Gilles, Miss France 2024, il n’y a « rien de plus féministe » que ce concours.
SEXISME – Il y a certaines choses sur lesquelles on peut toujours compter lors d’une soirée Miss France : les blagues un peu gênantes de Jean-Pierre Foucault, les costumes régionaux colorés, les tas de cadeaux de Saint Algue, et, depuis quelques -, des années, au moins une question sur le féminisme.
Sept ans après l’explosion du mouvement #MeToo et la remise en cause du sexisme de nombreuses industries, le concours de beauté semble de plus en plus en décalage avec son -. Depuis plusieurs éditions, les organisateurs de Miss France tentent donc de se mettre au courant, multipliant les annonces, les changements de règles, et les messages sur le féminisme supposé du programme.
Au point de clamer, comme l’a fait Ève Gilles, actuelle détentrice de la couronne, dans une entrevue avec Brut en septembre, qu’il “Il n’y a rien de plus féministe” comme Miss France. Des efforts qui peinent à convaincre face à une compétition opposant les femmes les unes aux autres sur des critères (largement) physiques.
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« Normes de beauté réductrices »
Les changements de critères dans la sélection des Miss font partie des mesures les plus médiatisées prises par le concours pour être un peu plus dans l’air du -. Depuis juin 2022, le concours est ouvert aux femmes tatouées, mariées, divorcées, mamans, quel que soit leur âge – la plus âgée du concours Miss France 2025 a l’âge canonique de 34 ans, une première dans l’histoire de l’émission. Parmi les critères toujours en vigueur, on retrouve la taille – il faut mesurer au moins 1m70 pour des raisons « pratiques » liées à l’essayage des robes – ainsi que le fait de n’avoir jamais participé à des séances photo nues.
Elsa Labouret est porte-parole d’Osez le féminisme !, l’association qui a poursuivi la production de Miss France devant les prud’hommes pour « processus de recrutement discriminatoire et illégal » (une procédure qui a été rejetée en 2023 par la justice). Pour elle, Ces changements de critères, qui ont suivi l’action de l’association, sont très cosmétiques. « En gros, on s’en tient à une femme jeune, grande, plutôt mince, même si le poids n’est pas un critère d’entrée il reste constant, elle explique en détail HuffPost. On voit bien que les femmes qui sont en compétition sont toutes sur le même modèle. »
Car quels que soient les critères, Miss France est une compétition qui oppose les femmes les unes aux autres. Et qui le fait, d’ailleurs, selon « des normes très hétérocentriques et hétéronormatives »comme indiqué Hélène Breda, maître de conférences à la Sorbonne et spécialiste du genre dans la pop culture. “Il y a cette idée des femmes traitées comme de beaux objets, qui sont exposées, qui sont évaluées à travers une grille de lecture très normative et très étroite, avec des standards réducteurs de beauté”résume le chercheur.
Un regard masculin malgré un jury de femmes
«Cela pose la question de la validité de juger les gens en fonction de leur apparence physique, continues Hélène Breda. D’autant que ça a beaucoup plus d’impact quand on le fait pour les femmes. Car les compétitions chez les hommes existent, mais elles sont incomparables en termes de visibilité et de médiatisation. Nous restons en permanence empêtrés dans des logiques d’évaluation de femmes qui ont du mal à évoluer. »
Face aux critiques qui lui reprochent de sexualiser le corps des femmes au profit du regard masculin, le concours a trouvé une solution : cette année, comme l’année dernière, le jury des célébrités est 100 % féminin. Une situation qui n’était pas forcément voulue si l’on en croit le président de la société Miss France qui a expliqué à parisien avoir “a lancé pas mal de morceaux pour hommes et femmes”sans succès du côté masculin. Peut être “est-ce devenu compliqué pour un homme d’être juré Miss France depuis la vague #MeToo”se demande-t-il.
Ce jury composé de femmes donne cependant un argument aux défenseurs du programme, qui soulignent que les Miss ne seront pas jugées par un regard masculin. Un argument qui peine à convaincre Elsa Laboret : « Les femmes peuvent tout à fait mettre en œuvre des dynamiques sexistes, elle se souvient. Nous pouvons être sexistes les uns envers les autres. Avoir un jury de femmes est une garantie, mais on n’aborde pas les problèmes de fond. » Un constat partagé par Hélène Bréda qui rappelle que « La façon dont nous regardons ces corps a été façonnée, depuis des générations et même lorsque nous sommes une femme, par le désir masculin. » De quoi expliquer, sans doute, le modèle d’une beauté très uniforme présenté dans le concours.
Un outil d’émancipation ?
Bien conscient de toutes ces contradictions, le concours intègre désormais une question sur le féminisme dans les moments d’échange avec les cinq finalistes. Une séquence qui donne souvent lieu à des échanges assez naïfs sur l’émancipation des femmes. Comme lorsqu’on demandait à une candidate de Miss France 2024 ce que signifiait pour elle la phrase de Simone de Beauvoir, « On ne naît pas femme, on le devient ». Sa réponse ? Une femme doit prendre « chacune de ses expériences pour pouvoir s’entraîner au mieux et avoir une vie de rêve le lendemain ».
Un moment de dissonance qui souligne surtout l’opportunisme d’un concours qui tente de surfer sur des références féministes pourtant incompatibles avec son ADN. “C’est du pur féminisme de lavageestime Elsa Laboret. Si nous voulions faire une parodie, nous ne pourrions pas faire mieux. »
Quant aux Miss elles-mêmes, cependant, le même refrain revient souvent. Le concours leur a offert une plateforme inattendue. C’est « un tremplin incroyable dans la vie d’une femme »résume Ève Gilles dans son entretien avec Brut. Même son de cloche du côté de Diane Leyre, Miss France 2022, qui déclarait au lendemain de son élection : « Je ne me suis jamais sentie plus féministe que sur scène ce soir, prenant le pouvoir sur ma vie. Parce que c’est ça le féminisme pour moi. »
Difficile de nier l’impact de l’élection Miss France sur la vie des jeunes élus. Mais une belle histoire pour une femme n’est pas nécessairement synonyme de progrès pour toutes les femmes : “Le féminisme n’est pas une sensation individuelle, c’est un mouvement social et politique qui veut la libération de toutes les femmes, se souvient Elsa Laboret. Il ne suffit pas de se sentir bien et de s’autonomiser. Prenons du recul sur l’impact sociétal : cette compétition contribue-t-elle à la libération de toutes les femmes ? Pour nous, la réponse est « non ». »
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