Le chef de l’Etat a choisi de nommer Matignon à la tête du Modem. Depuis leur alliance en 2017, François Bayrou a affiché à plusieurs reprises ses désaccords avec Emmanuel Macron, laissant présager une capacité à nuire au président dans les prochains mois.
Relations aigres-douces entre le chef de l’Etat et le nouveau locataire de Matignon. François Bayrou n’a pas hésité ces dernières années à critiquer publiquement Emmanuel Macron, dont il est l’un des premiers alliés depuis la campagne présidentielle de 2017.
Premier épisode en novembre 2016. Le patron du Modem, qui avait initialement soutenu Alain Juppé lors de la primaire de la droite avant d’être battu par François Fillon, avait fait connaître sa méfiance à l’égard d’Emmanuel Macron.
« Derrière Macron, des intérêts financiers »
Le centriste use de propos très durs pour évoquer la candidature de celui qui est alors ministre de l’Économie. « Derrière Emmanuel Macron, il y a des intérêts financiers majeurs incompatibles avec l’impartialité exigée par le service public », dénonce François Bayrou sur BFMTV.
Sans empêcher son rassemblement pendant quelques mois. En février 2017, le maire de Pau décide de soutenir Emmanuel Macron tout en fixant ses conditions, de l’instauration de la représentation proportionnelle aux élections législatives à une loi de moralisation de la vie politique.
Les futurs députés Renaissance, « un recyclage » du PS
A peine 3 mois plus tard, le leader du Modem fulmine. La publication de la liste des candidats aux élections législatives diffusée par En Marche ! (ancien nom de Renaissance, NDLR) « n’est en aucun cas celui auquel le Modem a donné son accord », déclare le dirigeant, dénonçant « un recyclage de personnalités socialistes ».
En réalité, c’est plutôt le nombre de circonscriptions attribuées au Modem qui bloque, inférieur à celui évoqué précédemment lors des négociations avec le camp présidentiel. Le bras de fer est largement gagné par le centriste. Le Modem passe de 2 députés à l’Assemblée en 2012 à 42 en 2017.
Son ralliement derrière Emmanuel Macron lui a également permis de devenir ministre de la Justice et de faire entrer au gouvernement plusieurs de ses amis proches, dont Marielle de Sarnez. Mais sa visite place Vendôme est expresse : 35 jours plus tard, il démissionne, mis en cause dans une affaire d’emplois fictifs au Parlement européen.
La bataille pour la représentation proportionnelle, pas ici « à perdre »
Mais François Bayrou conserve son pouvoir de nuisance. En pleine crise des Gilets jaunes, il a appelé le chef de l’Etat et son Premier ministre de l’époque, Édouard Philippe, à « comprendre » le mouvement qu’il considère comme « révélateur d’une crise profonde » avec le gouvernement.
Mais à l’Élysée, on veut clairement éviter une rupture. Soucieux d’entretenir une certaine proximité avec son lieutenant, rare personnalité très politique pour l’épauler, le chef de l’État le nomme haut-commissaire au Plan, une fonction et une instance inventées sur mesure pour lui.
La méthode n’empêche cependant pas François Bayrou de réclamer publiquement des comptes au président, comme l’instauration de la représentation proportionnelle pour les élections législatives.
Dans une lettre adressée à Emmanuel Macron en février 2021, il dénonce « la brutalité » du mode électoral actuel et assure qu’il ne se lancera jamais « dans une bataille pour la perdre ».
Les retraites et le « passage en force » de Macron
Le sujet a beau être au point mort, 4 mois plus tard, le Palois cajole le président. « Jamais je n’ai été déçu » par Emmanuel Macron, se défend François Bayrou sur BFMTV en juin 2021.
La méthode fonctionne : quelques mois après sa réélection et des élections législatives qui ont tourné au fiasco à la majorité relative, le centriste a trouvé un nouveau procès. Direction le Conseil national de la Refondation, lieu d’échanges entre élus locaux, gouvernement et oppositions, qui se vide rapidement.
Quelques mois seulement après la réélection d’Emmanuel Macron en 2022, François Bayrou sort le sulfate pour critiquer le relèvement de l’âge de la retraite de 62 à 64 ans.
«Je suis opposé à toute force», explique le maire de Pau en septembre 2022 au parisiens’inquiéter d’une méthode « brutale » de la part de l’Élysée.
« Si nous nous engageons dans cette voie, nous sommes sûrs de fusionner d’abord les oppositions entre elles, puis de diviser la société française », prévient le centriste, en conseillant de prendre « le - de la pédagogie ».
La « démarche d’humiliation » d’Attal
Trop c’est assez. En plein conseil des ministres, le chef de l’Etat s’agace et demande à ses troupes de « se concentrer sur le fond ». Sans empêcher François Bayrou de revenir à la charge. A quelques jours de l’adoption de la réforme des retraites par le 49.3 par Élisabeth Borne, la centriste juge que les arguments contre cette cartouche institutionnelle sont « très forts ».
Ses propos ne changent rien à la donne et le Premier ministre déclenche le 49.3 pour adopter la réforme des retraites sans vote. En février 2024, quelques jours seulement après la nomination de Gabriel Attal à Matignon, le ton monte à nouveau.
Arrivée du ministre de l’Éducation nationale comme Premier ministre, entrée au gouvernement de personnalités de droite… François Bayrou dénonce « un processus d’humiliation » lors d’un dîner avec des députés Modem et ne manque pas de s’en plaindre ouvertement dans la presse.
Faute d’un « accord profond sur la politique à suivre », il a publiquement refusé d’entrer au gouvernement. Lui qui aurait aimé redevenir ministre de l’Éducation nationale ne digère pas que le poste ne lui ait pas été proposé et que ce soit Nicole Belloubet à la place d’Amélie Oudéa-Castéra qui ait été nommée.
Un gouvernement Barnier « ne pourra pas travailler »
Mais l’élastique avec Emmanuel Macron ne rompt jamais. Alors que l’annonce de la dissolution a laissé debout toute la famille politique de KO en juin dernier, François Bayrou y a vu un geste « courageux ». Mais chez le centriste, la colère n’est jamais loin.
Rebelotte en septembre dernier lorsque Michel Barnier tentait de composer son gouvernement. Le Modem estime qu’on ne lui propose pas suffisamment de maroquins ministériels. François Bayrou en profite pour hausser le ton et assure sur BFMTV qu’un gouvernement majoritaire de droite “ne pourra pas fonctionner”.
Dernier épisode ce vendredi matin à l’Élysée. Emmanuel Macron et l’edole ont échangé près de deux heures dans une ambiance « très tendue », sans évidemment empêcher la nomination du maire de Pau.
Pour décrire ses relations avec Michel Barnier, Emmanuel Macron a parlé de « coexistence exigeante ». Le chef de l’Etat va sans doute devoir trouver une nouvelle expression pour décrire ces prochains mois avec François Bayrou.