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« Que nous fassions de cette éducation un enjeu politique, au nom d’une prétendue orientation « anti-wokiste », cela n’a aucun sens. Ce sont les enfants qui paient. »
PARLER – Je suis vice-procureur dans une ville moyenne, plus précisément chargé des agressions contre les personnes. Je traite entre autres des cas de violences conjugales, notamment envers des mineurs, et donc des cas d’inceste et de violences sexuelles. Je suis consterné par les polémiques autour de l’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle (EVARS) à l’école.
En tant que magistrat, je vois chaque jour des cas d’agressions sexuelles et de viols sur mineurs commis par des proches. Ces infractions n’ont pas de marqueur social : elles existent dans tous les milieux sociaux ou professionnels, à tous les niveaux d’insertion dans la société. Des études estiment que 160 000 enfants en sont victimes chaque année, un chiffre probablement sous-estimé.
Dans la plupart des cas, le danger pour les mineurs vient du lieu où ils vivent. Dans ces conditions, comment laisser la capacité d’éduquer les enfants à la sexualité exclusivement à la famille ?
Offrir une autre place à l’éducation sexuelle
Tous les procureurs traitent chaque semaine des affaires d’inceste. C’est perpétuellement déchirant, car les mêmes schémas se répètent à chaque fois. Premièrement, l’agresseur fait croire à l’enfant que ce qui se passe est normal, qu’un membre de la famille qui en aime un autre fait cela, que c’est une preuve d’amour. Cependant, les enfants n’ont pas accès à la sphère sexuelle et n’ont aucun moyen de comprendre ce qui se passe. Pour eux, cela crée une « normale » anormale.
L’autre ressort, c’est le secret. Pour imposer le silence, les agresseurs répètent souvent à leurs victimes que si elles parlent, elles feront du mal à leur famille, qu’elles seront placées dans un refuge, que quelqu’un ira en prison… Pour un enfant, c’est terrifiant. Les faits peuvent rester secrets pendant très longtemps, car il peut être difficile d’en parler.
Bien entendu, dans les familles fonctionnelles, les parents et les proches ont un rôle à jouer dans l’éducation sexuelle. Il existe de nombreux foyers dans lesquels cela n’est pas un tabou et où les parents répondent aux questions de leurs enfants de tout âge. Mais en cas d’inceste, comment aider les victimes ? Refuser que les écoles participent à l’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle, c’est laisser aux agresseurs la possibilité d’être les seuls à expliquer comment cela se produit. Et c’est accepter de laisser au moins 160 000 victimes par an sur le bord des routes, pour qui la famille n’est pas un lieu de sécurité.
Libérer la parole sur la violence domestique
Pour moi, il est très clair qu’il doit y avoir au moins un autre lieu, en dehors de la famille, où les valeurs fondamentales sont enseignées. On peut tout à fait expliquer à un enfant de 4 ou 5 ans que son intimité lui appartient, que personne n’a le droit de la toucher et que si cela arrive, ce n’est pas normal. Grâce à ce discours, nous pourrons peut-être créer une école où la parole pourra se libérer, où le secret et cette impression anormale de normalité mise en place par les agresseurs seront levés.
Mais contribuer à lever le silence, c’est aussi contribuer à ce que les faits durent moins longtemps, qu’ils soient dénoncés plus rapidement. Et quand on dénonce un agresseur sexuel, on l’empêche éventuellement de faire d’autres victimes. Je ne dis pas qu’EVARS à l’école va réduire les violences sexuelles, mais plutôt que c’est aussi une manière de participer à la lutte contre cet immense problème social qu’est l’inceste, sur lequel nous sommes très en retard en termes de soutien. Nous le devons à ces enfants.
Ce sont les enfants qui paient
Bien évidemment, les acteurs scolaires doivent être neutres et formés sur le sujet. Comme tout enseignement, il doit être réglementé dans son contenu et dans sa mise en œuvre par l’Éducation nationale. Mais ce que j’entends, c’est que, par peur d’un possible « dérapages » Du contenu de ces cours, nous pensons qu’il est légitime de ne jamais les mettre en place, et de laisser les enfants sans personne à qui parler de ce qui se passe à la maison. Cette évaluation de la balance entre risques et bénéfices me semble incompréhensible.
Au-delà des violences sexuelles, il existe de nombreux sujets que l’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle peut aborder. C’est aussi un espace de prévention en matière de pornographie, auquel les enfants ont accès de plus en plus tôt, au consentement, aux photos intimes, au respect. L’école construit le citoyen, et cela s’applique également à sa relation aux autres, y compris dans le domaine affectif. Faisons de cette éducation une question politique, au nom d’une prétendue orientation « anti-wokistes »cela n’a pas de sens pour moi. Et ce sont les enfants qui paient.
Ce témoignage a été recueilli et édité par Aïda Djoupa. Vous souhaitez témoigner de HuffPost ? Écrivez-nous à [email protected]
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