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– Des difficultés à venir pour les problèmes de dette française ?
Alors que l’État français emprunte déjà plus cher que la Grèce sur les marchés financiers, une crise politique s’ajoute aux vents contraires, avec le vote de la motion de censure contre le gouvernement de Michel Barnier ce mercredi 4 décembre. Instabilité gouvernementale, manque de majorité , budget 2025 reporté sine die : quel impact ces événements ont-ils sur la capacité de la France à se financer et sur le poids (le coût des intérêts) de la dette ?
Pour l’instant, pas de crise de la dette en vue pour l’État français. Autrement dit, la France devrait continuer à pouvoir se financer sans problème sur les marchés financiers dans les prochains mois. Certes, on emprunte ces derniers jours vers 2,9% sur une durée de 10 ans, soit plus cher qu’en début d’année (2,6% au 1er janvier) et surtout à un taux plus élevé que nos voisins : l’Allemagne emprunte aux alentours de 2,1%, le Portugal à 2,5%. Pour faire simple, les investisseurs demandent donc plus d’intérêts pour prêter à la France, perçue comme un pays moins sûr qu’avant, et moins sûr que ses voisins, pour les rembourser.
Le spectre de la crise des dettes souveraines est encore loin
Il n’est cependant pas dit qu’on emprunte beaucoup plus cher après la chute du gouvernement Barnier : « Les marchés ont déjà largement anticipé le vote de la motion de censure et le fait que le budget ne sera pas voté à - »déclare Christopher Dembik, conseiller en stratégie d’investissement chez Pictet AM. Autrement dit, notre taux d’emprunt actuel reflète déjà ce risque politique, et pour preuve, notre taux à 10 ans ne s’enflamme pas, “il est même sur une tendance à la baisse depuis début novembre”rappelle l’économiste.
Qui détient les 3 200 milliards d’euros de dette publique française ?
Il faut surtout rappeler les niveaux de taux atteints par les pays qui ont véritablement connu une crise de la dette : « Au plus fort de la crise grecque, leurs taux sont montés à 15 %, nous n’en sommes pas encore là. De plus, notre spread (différence de taux, NDLR) est toujours autour de 0,8% par rapport à l’Allemagne. Si on reste en dessous de 1%, on est dans une situation de stress, mais pas dans une situation de crise», souligne Nadine Trémollières, directrice de Primonial Portfolio Solutions. Au cours des 15 dernières années, cet écart n’a jamais dépassé 1,2%.
Ne minimisez pas l’impact des niveaux de taux actuels
Cependant, même si les taux actuels ne reflètent pas une panique parmi nos créanciers, nous ne devons pas minimiser l’impact sur la communauté d’emprunts à de tels niveaux. Cette année, rembourser les frais d’intérêt de la dette 50 milliards d’euros par an à l’État. C’est plus que le budget alloué aux ministères de l’Intérieur, de la Justice, de la Culture, ou encore de l’Enseignement supérieur et de la Recherche.
Cependant, même s’il reste difficile à quantifier, le poids de ces intérêts devrait mécaniquement augmenter dans les mois et années à venir. En effet, par exemple, les obligations à 10 ans émises par le Trésor public en 2014 arrivent à échéance cette année. Or, à cette époque, la France empruntait à moins de 1 %. Les intérêts à payer étaient donc trois fois inférieurs à ceux à rembourser pour des prêts contractés en 2025 au taux de 3 %.
Crise de la dette : la France au pied du mur, selon Laure Quennouëlle-Corre
Ainsi, le poids de la dette publique va mécaniquement augmenter dans les années à venir, même si la situation politique maintient les taux à leur niveau actuel. Le projet de loi de finances (PLF) pour 2025 prévoyait ainsi que le service de la dette s’élèverait à 55 milliards d’euros l’année prochaine, et selon le Rapport sur la dette des administrations publiques, annexé au budget 2025, ce montant grimperait à 65 milliards en 2026, puis 75 milliards en 2027. Des montants colossaux, qui pourraient encore augmenter de plusieurs milliards d’euros si le taux à 10 ans s’envolait bien au-delà de 3%.
Le poids de la dette pèse sur la croissance et les taux hypothécaires
Progressivement, « le renouvellement de notre dette se fera donc à des taux plus élevés que par le passé, et cela a un coût direct sur le niveau des intérêts payés »résume Alexandre Hezez, stratège à la Banque Richelieu. Et lorsque ce que nous appelons le « fardeau de la dette » augmente, mécaniquement moins d’argent public est investi dans les moteurs de la croissance future, en particulier l’innovation, la recherche et l’éducation.
C’est sans compter qu’à court terme, nos taux d’endettement actuels ont également un impact direct sur l’économie et les ménages.. « Il ne faut pas imaginer que la dégradation de la dette n’ait pas de répercussions sur les particuliers et les entreprises. Le taux auquel les banques empruntent est toujours fonction du risque représenté par leur pays de résidence. souligne Alexandre Hezez. En effet, ce taux a toujours un impact sur celui accordé aux entreprises – pour financer leur activité – et sur celui présenté aux acheteurs, qui risquent donc de voir le taux de leur prêt immobilier augmenter dans les prochains mois.