La France est en échec. L’État est paralysé, embourbé dans une crise institutionnelle qui ne sera pas prête de se résoudre. Un blocage politique qui annonce un pitch économique, car l’absence de réformes majeures inquiétera à juste titre les créanciers d’une nation cigale incapable d’équilibrer ses comptes. C’était inévitable. Sur ce point au moins, il existe un consensus. Même si les avis divergent quant à l’identité du responsable.
Les alliés du gouvernement Barnier accuseront les extrêmes. LFI d’un côté, qui n’a plus que le chaos pour espérer accéder au pouvoir, le RN de l’autre, qui voit dans la censure un moyen de détourner l’attention de ses déboires judiciaires. Et ces deux partis d’opposition – le NFP n’étant que le faux nez du premier – auront bien du mal à accuser le gouvernement d’avoir refusé d’exercer de grandes coalitions. D’autres y verront l’échec de la dissolution. La faute à Macron !
Et ils ont probablement tous en partie raison. Les crises majeures sont toujours multifactorielles. Pour briser le mécanisme démocratique, il faut travailler ensemble. Ils ont réussi. Félicitations. Quant aux citoyens qui paieront la facture, ils n’en sont pas moins coupables. En refusant les réformes nécessaires partout ailleurs et en choisissant les pires représentants, ils ont brillamment joué le rôle de la crise. Un vrai travail d’équipe.
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Michel Barnier, capitaine d’un navire sans cap
Pourtant, rien n’était écrit d’avance. Le pire aurait pu être évité – et pourrait encore l’être – si seulement l’un des acteurs de ce drame possédait encore une once de cette qualité que tout le monde a oubliée : le courage. Étrange d’invoquer cette vertu tombée en désuétude alors que tout le monde pointe du doigt les rouages de la Ve République ou les vices du système démocratique. Et pourtant, c’est de courage dont nous parlons. Ou plutôt son absence.
Les citoyens auraient pu avoir la force d’âme d’accepter les « sacrifices » nécessaires après des décennies d’endettement qu’ils avaient choisis pour n’avoir jamais sanctionné les leaders dépensiers et toujours voté pour le mieux offrant. Le RN aurait pu assumer jusqu’au bout le fardeau de sa normalisation, plaçant ainsi le pays au-dessus du parti. A gauche, le PS aurait pu sauvegarder ses principes et accepter une pénurie politique au lieu d’avaler des serpents pour quelques strapontins. Quant au gouvernement, sachant qu’il était en sursis, il aurait pu choisir de réformer en force plutôt que de se retirer pour survivre.
Par manque de caractère, tous ont échoué. Le PS est devenu le bureau d’enregistrement de LFI ; l’extrême droite a confirmé son incapacité à gouverner ; les citoyens ont fait preuve d’irresponsabilité, préférant laisser la décision à d’autres pour mieux les critiquer. Le Premier ministre s’est perdu. De compromis en compromis, il aura été le capitaine d’un navire sans cap, naviguant au rythme des menaces des oppositions. Le résultat n’a été aucune réforme, aucune vision et une augmentation des dépenses publiques dans un budget censé faire des économies.
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Ce manque d’audace lui a coûté sa place. Comme il en coûtera celui du prochain locataire de Matignon ou de l’Elysée. Le courage ayant déserté le peuple et l’opposition, il appartient au leader d’en avoir assez pour eux. Car c’est le paradoxe des Français qu’ils ne se sentent souverains qu’à l’ombre des grands hommes. La crise institutionnelle en est la preuve : personne ne veut prendre les rênes mais chacun espère qu’il sera tenu par quelqu’un d’assez téméraire pour se charger de le diriger tout en se faisant haïr.
La France n’est pas la Suisse
Dans cette démocratie, qui fait de l’État et de la Nation synonymes, le courage l’emporte sur les calculs. On rêve de Coriolan qui nourrit les espoirs de ses concitoyens par son refus de se soumettre à leurs vœux : « Je préfère les servir comme je veux plutôt que de les commander comme ils le font », disait-il à sa mère lors du Consulat. lui a proposé. C’est comme ça. On admire plus le sacrifice d’un maréchal Ney que les basses masses d’un Talleyrand ou d’un Fouché. Raison pour laquelle un « président normal » ne peut pas gagner contre un trentenaire avec sa fougue pour seul parti. C’est sans doute ce qu’a oublié le président jupitérien en dissolvant l’Assemblée. Nous pardonnons la défaite mais pas l’abdication ; la colère, pas le caprice. Question de taille.
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Au fond, les Français n’ont jamais reproché à leurs élus leurs faiblesses et leur bassesse. Les divergences de langage et les échecs stratégiques comptent peu comparés aux plaisanteries et aux gestes brillants. On peut le déplorer puisque cet atavisme a sans doute contribué à la situation actuelle. Les finances publiques auraient été mieux gérées par des dirigeants moins charismatiques mais plus conscients des réalités pratiques ; les réformes auraient déjà eu lieu. La France aurait été la Suisse. Sans aucun doute. Mais nous devrions aussi nous en réjouir. Car accepter cet état de fait, c’est proposer une sortie de crise.
Les Français n’attendent que du panache
Si les Français sont prêts à tout entendre et à tout accepter de la part d’un leader qui n’a pas peur de tout oser, ils refuseront le moindre effort demandé par un leader timide. Une voie se dessine donc. Sortir du marasme actuel, c’est arrêter de vagabonder. Dehors : Le président devrait arrêter de s’excuser. Ses génuflexions en Algérie, sa peur d’humilier Poutine et son silence face à l’emprisonnement de Boualem Sansal affectent bien plus sa popularité que la dette publique et les tensions économiques. A l’intérieur : le prochain Premier ministre aura tout intérêt à choisir une voie et à s’y tenir, à oser dire « non ! aux partis d’opposition, et de lier son destin à celui de la France à travers un référendum pour dire aux citoyens : « Regardez comment fonctionne un ministre français ! Voter!”
Les Français n’attendent rien d’autre. De Napoléon à Emmanuel Macron, ils ne voulaient qu’une chose : du panache. Et si les professionnels de la politique s’en retrouvent privés, une figure en émergera prête à les venger d’un Etat qui les déçoit. Un révolutionnaire ou un réactionnaire. Armé d’une faucille et d’un marteau ou d’une tronçonneuse. À ce moment-là, il n’y aura vraiment plus de choix.
*Pierre Bentata est maître de conférences en économie à la Faculté de droit et de sciences politiques d’Aix-Marseille.
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