Pour Vladimir Poutine, la bombe nucléaire est-elle un « instrument de bluff » ?

Pour Vladimir Poutine, la bombe nucléaire est-elle un « instrument de bluff » ?
Pour Vladimir Poutine, la bombe nucléaire est-elle un « instrument de bluff » ?

l’essentiel
Alors que les États-Unis ont autorisé l’Ukraine à utiliser des missiles à longue portée pour se défendre, Vladimir Poutine évoque une nouvelle fois le spectre d’un recours à l’arme nucléaire. Le président russe a signé un décret autorisant Moscou à étendre ses possibilités d’utilisation de l’arme nucléaire. Nicolas Tenzer, géopolitique et enseignant à Sciences Po, évoque les perspectives d’une telle annonce.

La Dépêche du Midi : Vladimir Poutine a annoncé qu’il élargissait les possibilités d’utilisation des armes nucléaires. Faut-il s’inquiéter de cette décision ?

Nicolas Tenzer : Non, absolument pas. Il s’agit d’une stratégie classique, déjà observée par Vladimir Poutine, bien avant la guerre en Ukraine. La doctrine nucléaire de Poutine est avant tout un instrument de bluff qui vise à influencer un certain nombre de dirigeants occidentaux, notamment américains et allemands. Bien entendu, il faut surveiller cela de près : il n’y a pas de risque zéro.

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Mais il ne faut pas forcément y prêter beaucoup d’attention. N’oublions pas que cette déclaration intervient au moment où les États-Unis ont donné leur feu vert à l’utilisation de missiles à longue portée en Ukraine : nous y avons des munitions qui, on le sait, ont été déployées en nombre limité et surtout qui ne permettra pas à Kiev d’atteindre tous ses objectifs.

Alors peut-on plutôt parler d’« escalade rhétorique » ?

Il y a un peu plus d’un an, Dmitri Medvedev, ancien président de la Russie, annonçait déjà l’arrivée des « chevaliers de l’apocalypse » sur le front. A Moscou, le patriarche Cyrille a qualifié les adversaires de la Russie d’antéchrists. La surenchère rhétorique est constante depuis le 24 février 2022.

En soi, si la Russie veut utiliser la technologie nucléaire, de quoi parle-t-on ?

Il faut savoir qu’aujourd’hui, les plus petites bombes tactiques utilisant la technologie nucléaire sont 10 à 15 fois plus puissantes qu’Hiroshima ou Nagasaki. On ne parle pas de « petites bombes propres », qui creuseront un petit cratère et tueront plusieurs centaines de soldats. Ce sont des bombes nucléaires aux effets considérables. Nous aurions des effets radioactifs bien plus importants que ce que nous avons connu avec Tchernobyl, qui pourrait s’étendre à la Pologne, à la Lituanie et peut-être même à la .

Que dit le droit international sur l’utilisation de telles armes ?

Il condamne purement et simplement l’emploi des armes nucléaires. Mais aujourd’hui, nous ne sommes plus dans le domaine de ce que le droit international permet ou non avec ce que fait Poutine. Vous avez aussi des traités internationaux qui limitent les armements, et qui sont aujourd’hui plus ou moins respectés…

Alors, si ce n’est la loi, qu’est-ce qui empêcherait Poutine de franchir le pas ?

Si la Russie utilisait l’arme nucléaire, elle deviendrait un « État paria », du moins plus qu’elle ne l’est aujourd’hui. Il est évident, par exemple, que la Chine désapprouverait une telle mesure. Ce serait un véritable tabou qui serait surmonté : nous avons toujours considéré l’arme nucléaire comme un outil de dissuasion. Si elle venait à redéfinir ce concept, la Russie s’attirerait les foudres de ses alliés.

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Sur le plan juridique, en interne, on n’est pas sûr que du côté russe, le ministre de la Défense et le chef d’état-major – qui doivent aussi donner leur autorisation – donneront le feu vert à l’usage des armes nucléaires.

Que savons-nous aujourd’hui de l’arsenal nucléaire russe ?

Le dernier décompte fait état de 4 000 à 5 000 têtes nucléaires au total en Russie. Les États-Unis en comptent tout autant. La France en compte 300. Mais cela ne veut rien dire en soi. C’est un raisonnement soutenu par le général de Gaulle, prônant la réponse du plus faible au plus fort. Le faible a aussi des capacités de destruction absolument monstrueuses et terribles sur le territoire qu’il attaquerait.

Concrètement, s’ils ne sont pas nucléaires, quels sont les risques d’escalade aujourd’hui en Ukraine ?

On craint l’arrivée continue de troupes supplémentaires en provenance de pays étrangers, notamment de Corée du Nord. Il y a désormais 12 000 soldats nord-coréens en Ukraine. Nous disposons d’informations qui suggèrent que ce nombre pourrait atteindre 100 000 soldats dans les prochaines semaines. Dans ce pays de 26 millions d’habitants, il y a 1,2 million de militaires et 9 millions de réservistes… On serait dans une véritable forme d’escalade. Le conflit entrerait dans une autre dimension.

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Une autre forme d’escalade consisterait pour la Russie à utiliser massivement des armes chimiques. Les rapports montrent que ces armes ont jusqu’à présent été utilisées de manière limitée. Joe Biden avait évoqué ce scénario, indiquant que les États-Unis ne resteraient pas passifs si l’usage de telles armes par la Russie était avéré.

Nicolas Tenzer, “Our War, crime and oblivion: for strategic thinking”, Éditions de l’Observatoire.
 
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