Coluche se suicide en moto, “c’est la fin d’une histoire de mec” et le début de celle des Restaurants

Notre événement anniversaire « 80 ans de Parisien, 80 gros titres »

Le tout premier numéro du Parisien paraît le 22 août 1944, en pleine libération de Paris. Pour célébrer cet anniversaire, nous avons sélectionné 80 « gros titres » historiques ou emblématiques de leur époque. Sport, faits divers, conquête de l’espace, élections présidentielles, disparitions de stars… Ils racontent huit décennies d’actualité. Nous avons choisi de vous raconter les coulisses. Une série à découvrir jusqu’à la fin de l’année.

« Chao Pantin ». Un titre garanti brut et efficace. Son César du meilleur acteur pour son seul rôle dramatique dans ce film de Claude Berri date de 1984, soit deux ans plus tôt. Cinq colonnes en Une, avec une photo de Coluche en clown, survêtement, sweat Restos du coeur, casquette et regard tourné vers l’appareil photo. Un rire aussi honnête que ses yeux dans les yeux. Ils ont fermé définitivement ce jour-là, en juin 1986, lorsqu’un semi-remorque de 38 tonnes manœuvrant au détour d’un virage d’une route départementale de l’arrière-pays grassois l’a mortellement percuté.

Coluche, fou de motos à gros cubes, roulait-il trop vite sur sa Honda 1100 ? On ne le saura jamais vraiment, deux thèses s’affrontent au fil des années, mais l’humoriste avait déjà tranché un an auparavant sur le circuit Bugatti du Mans, répondant à un journaliste : « La moto ? C’est pour me faire peur. C’est très intéressant. Cela arrive parfois, même à 40 km/h. » Mort dans ce jardin au parfum de lavande, près de Grasse.

En septembre de l’année précédente, celui qui ne voulait pas ressembler à un clown sur deux roues avait battu le record du monde de vitesse du kilomètre lancé à moto, en Italie, à 252 km/h. “A quoi pensons-nous?” » a demandé le présentateur du JT Bernard Rapp. “Pour vous serrer les fesses”, sourit l’humoriste.

Le Parisien, ce vendredi du début de l’été, n’a pas peur d’utiliser la métaphore dans l’un de ses titres intérieurs : « Le dernier dérapage »… L’un des articles des trois pages suivantes explique ce titre qui paraît aujourd’hui audacieux, voire brutal. : le « clown national », comme on le surnommait à la télévision, avait multiplié les outrages contre son agent au point de finir par être condamné à une peine de prison, commuée en travaux d’intérêt général. année précédant sa disparition. Coluche est une star, mais pas encore une icône.

Pas encore tout à fait entré dans la postérité

Notre journal n’a pas peur d’en rajouter au registre des motards en évoquant la mort de Coluche, moins provocateur et plus engagé socialement au profit des Restos du coeur, qu’il avait créés l’année précédente, en 1985 : « Il y va doucement. Sauf sur sa moto. Relire un journal trente-huit ans plus tard, c’est se rendre compte de tout ce qui s’écrit dans l’urgence de la fermeture, et prendre conscience de ce moment limite où Coluche n’est pas encore tout à fait entré dans la postérité, ni débarrassé de ses excès. La couronne presque divine qui illumine le saint des Restos du coeur n’a pas encore supplanté le bouffon. Le mangeur d’asphalte et de vitesse.

VidéoColuche still relevant

Dans un billet, notre journaliste Didier Christmann, qui deviendra plus tard auteur de BD, dont « Achille Talon », résume avec passion ce qu’il représente pour les Français : « Un type qui faisait semblant d’être bête pour qu’on le soit moins, un un type qui nous a photographié dans des postures impossibles, qui s’est engouffré dans les brèches d’une société perdue. Un jongleur de valeurs, déçu de l’humanisme qui en a dégoûté plus d’un. Dérision de la religion, pour donner l’absolution à ses peurs, à ses angoisses. Comme ça, il était détendu, rien n’était important. C’était un connard, un nul, qui avait tous les talents et qui, avant de se tromper, avait mis son cœur sur les tables. »

Que vont devenir les Restaurants ?

Une question surprenante aujourd’hui, mais très d’actualité le jour de sa disparition, surgit de notre confrère Jacques Marestet qui, après s’être interrogé sur les causes de l’accident, se penche sur l’héritage de la bande dessinée : “En attendant, une autre question se posera cet hiver. : qui prendra la direction de ces fameux Restaurants du coeur qui ont fait de Coluche non seulement un clown, un comédien talentueux, mais aussi un type drôle et charitable ? »

Les restaurants ont fermé leurs portes à la fin de la campagne d’hiver, le 21 mars. « Que vont-ils devenir ? Nous avons jusqu’en décembre pour le savoir. Et essayez de redémarrer la machine… » appuie notre journal. Notre collègue Mireille Parailloux retrace la naissance de cet engagement humanitaire : « Tout a commencé avec 30 bénévoles. » Et ces mots de Coluche : « Vous verrez, je vais faire quelque chose d’impossible : faire manger ceux qui n’ont rien. »

La mort, la vie, le football. Ce 21 juin 1986 devait ouvrir un week-end festif et convivial avec la Coupe du monde de football au Mexique, comme le laisse entendre le deuxième titre, beaucoup plus petit, de la Une du Parisien : « Grèves à la télé : ce soir le minimum et les menaces pour le Mondial ». Ce samedi-là, les téléspectateurs retrouveront à Guadalajara le match -Brésil, élu plus tard « match du siècle ». Deux jours après la mort de Coluche, à l’âge de 42 ans, telle est l’actualité et ce Jeudi noir avant un samedi de folie carioca et de carré magique.

Parmi les réactions à la disparition de l’humoriste, celle du ministre des Transports Pierre Méhaignerie : « La mort de Coluche est insupportable… comme celle des 30 victimes qui meurent chaque jour sur les routes de France, dans des accidents stupides. » Plutôt sec. Le garde-chasse d’Opio, qui habite sur la colline qui surplombe la route, a les mots justes : « Vous n’en trouverez pas deux comme lui. Dès qu’un artiste fait du bien, il disparaît… Après Balavoine et son Band Aid, c’est Coluche et ses Restos du coeur qui partent… »

Ils resteront, de plus en plus incontournables, et lui à travers eux, alors que tant d’humoristes décédés n’ont droit qu’à des apparitions régulières sur les ondes de Rire et Chansons. Daniel Balavoine, disparu le 14 janvier 1986, six mois auparavant, dans un accident d’hélicoptère sur le Paris-Dakar. Le chanteur souhaitait, dans la foulée du Live Aid à Wembley à l’été 1985, lancer une version française avec France Gall et Michel Berger.

L’histoire ne faisait que commencer

Janvier 1986 voit également un changement majeur au sein du Parisien, qui cesse de s’appeler Le Parisien Libération, son nom depuis sa création à la Libération de Paris à l’été 1944. La couleur fait son apparition. Surtout, notre journal, et le ton très éditorialisé des articles sur Coluche le montre, opère un tournant stylistique, comme nous le raconte Michèle Cotta, grande journaliste de l’audiovisuel puis recrutée avec quelques autres pour être l’une des éditorialistes du journal : « Le Parisien, avant 1986, n’était pas une revue de référence. Jusque-là il était très populaire comme France-Soir, mais sans ses signatures, et surtout en déclin. Un journal d’information qui voulait être pris au sérieux au niveau éditorial. Le Parisien est devenu un journal de référence, ce qui s’impose chaque année, chaque matin, de plus en plus. »

Et c’est ce qui frappe dans ces pages de Coluche, ce présent brûlant attiré vers un récit. Le lendemain, 21 juin, place au reportage, avec cette vision hallucinatoire d’un “pèlerinage de touristes dans le virage fatal”, et cette femme qui “ramasse un morceau de rétroviseur” de la moto accidentée, dans ces quelques débris sont restés éparpillés sur l’asphalte. Le terrain, l’histoire vue humainement ou même au ras du sol, véritable ADN de notre journal.

Le même âge que notre journal

L’histoire avec Coluche, en réalité, ne faisait que commencer. Le Parisien lui consacrera toute une série de Unes au fil du temps, tant la dimension sociale de son engagement s’enracine dans les mémoires, mais aussi comme révélateur toujours présent de la misère sociale.

En 1991, à l’occasion d’une biographie de référence qui lui était consacrée, Le Parisien, sous le titre « Coluche fut un véritable Enfoiré », déclarait : « Cinq ans après sa mort, Coluche n’est déjà plus ce qu’il était. il l’était. » Sa révélation en tant que comédien issu d’un milieu très populaire, sa chute dans la drogue, sa rédemption en tant que militant social, le portrait est dressé.

Et pour de bon, « Coluche est immortel » dans un autre titre de 2008, cette fois pour un film. François-Xavier Demaison incarne le comédien de la campagne électorale pour la présidentielle de 1981, sous la caméra d’Antoine de Caunes. La double photo d’Une réunit l’original et son interprète.

En 2011, le dynamiteur de Shmiblick, ce jeu populaire dont il faisait une merveilleuse plaisanterie sur Europe 1, revenait à la Une avec ce titre sommaire : “25 ans après, ce qu’il nous reste de Coluche”. La légende de l’un salue Michel Colucci, fils d’un peintre en bâtiment immigré italien décédé quand son fils avait 3 ans, un petit bonhomme de banlieue, à Montrouge, « symbole d’une France d’en bas qui n’a jamais oublié ses origines.

En 2016, pour le 30e anniversaire, « Que reste-t-il de Coluche ? » le dépeint comme un « comédien engagé qui a laissé une marque indélébile dans la société française », toujours à la Une. Une marque qui, sans doute, ne s’effacera pas en 2026 pour les 40 ans de sa disparition. Déjà ? Coluche fêterait alors ses 82 ans. Né le 28 octobre 1944 à Paris, il avait presque exactement l’âge de notre journal.

 
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