La perspective d’un procès se précise pour Rachida Dati, ministre de la Culture depuis le 11 janvier 2024, alors membre du gouvernement de Gabriel Attal. Depuis 2021, elle est mise en examen pour « corruption passive » et « trafic d’influence passif par personne investie d’un mandat public électif», pour des faits qui se seraient produits alors qu’elle était députée européenne.
Frais suspects
Pendant dix ans, entre 2009 et 2019, Rachida Dati a siégé au sein du groupe Parti populaire européen au Parlement européen. La période qui intéresse les enquêteurs est cependant plus courte, entre 2010 et 2012, lorsque l’actuel ministre de la Culture était hier membre suppléant de la commission de l’industrie, de la recherche et de l’énergie.
En l’espace de quelques mois, Dati aurait perçu 900 000 € d’honoraires, pour 900 heures de travail réclamées par l’avocat. Ceux-ci auraient été investis dans une mission d’assistance de Carlos Ghosn, le PDG de Renault-Nissan, pour « la politique d’expansion internationale du groupe, notamment dans les pays du Moyen-Orient et du Maghreb ».
Rappelons que les députés européens peuvent exercer la profession d’avocat, compatible avec leur mandat. Mais le lobbying leur est totalement interdit.
Selon les éléments de l’enquête révélés par Le monde les documents attestant des prestations juridiques de Dati seraient plutôt rares : pas de rapports annuels d’activités, de notes de frais pour les déplacements à l’étranger, » manque de documentation “, de “ factures détaillées », ou encore « résiliation écrite» pour marquer la fin de sa mission. Et, a priori, relativement peu de rencontres entre le principal intéressé et Carlos Ghosn, également mis en examen.
La défense de Rachida Dati a tenté, ces derniers mois, de faire valoir la prescription et l’ancienneté des faits, afin de clôturer l’enquête en cours : en juillet 2024, la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris a rejeté l’appel. A l’époque, les avocats de Dati avaient assuré qu’un recours devant la Cour suprême était prévu. En réalité, deux pourvois ont été déposés par Olivier Pardo et Olivier Baratelli, les avocats de Dati, mais rejetés par la Cour de cassation en octobre dernier.
Et ” infâme acte d’accusation »
Dans un réquisitoire rendu le 13 novembre et consulté par Le monde le Parquet national financier a estimé que les éléments étaient suffisamment solides pour justifier le renvoi devant le tribunal correctionnel de Rachida Dati, pour « recel d’abus de pouvoir et d’abus de confiance » et « corruption et trafic d’influence passif par personne investie d’un mandat public électif au sein d’une organisation internationale ».
La balle est désormais dans le camp des juges d’instruction, qui doivent décider de renvoyer ou non le ministre de la Culture devant le tribunal correctionnel.
Dans un communiqué publié le 15 novembre, Rachida Dati qualifie la mise en examen de « ils calomnient “, estime-t-il ” choquant à plus d’un titre » et rappelle qu’il ne constitue pas « une conviction ». « Le procureur national financier m’a dit, droit dans les yeux, que les accusations n’étaient pas fondées au vu des documents que je lui ai présentés. Il les considérait alors comme concluantes », assure-t-elle encore dans son texte.
Elle souligne également que son accord d’avocat « était […] connu de tous » au sein de l’Alliance Renault-Nissan. Les témoignages de plusieurs cadres du groupe suggèrent pourtant le contraire aux enquêteurs : « Je n’étais pas au courant de ce contrat. Je ne sais pas pour quelles missions Rachida Dati a été payée par RNBV», a indiqué l’une des personnes interrogées aux juges. ” Je ne savais pas que Rachida Dati serait intervenue au Maroc. […] Je n’ai jamais été informé de son intervention », souligne un autre, cité par Le monde .
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Rachida Dati déplore également, dans son texte, que plusieurs témoins n’aient pas été entendus par les magistrats, faisant référence aux hauts dirigeants du RNVB. [holding néerlandaise de Renault-Nissan, NdR]les autorités officielles des pays où elle est intervenue dans le cadre de sa mission d’avocate, ainsi que le chef de la délégation des députés français du PPE au Parlement européen.
« Je suis convaincu que cette affaire a été exploitée par mes adversaires politiques au mépris de tous les principes. Ma vie a toujours été un combat, tant personnel que professionnel. J’ai déjà survécu aux attaques les plus malsaines voire les plus dangereuses », souligne-t-elle encore.
Échange de noms d’oiseaux
Elle termine en se présentant comme une « victime collatérale ” d'” un règlement de comptes entre MM. Sénard et Carlos Goshn [sic, son nom s’écrit Ghosn, NdR] « . Jean-Dominique Sénard, aujourd’hui PDG de Renault, a déjà été visé par le ministre de la Culture. En mars 2024, ce dernier l’accusait de « comportement criminel continu, permanent et constant », « entrave à la justice » et « défaut de témoigner au nom d’une personne innocente « . Elle l’accusait d’avoir caché des documents du groupe, ce qui l’exonérerait.
En avril, Jean-Dominique Sénard avait répondu par une plainte pour « dénonciation calomnieuse » contre Rachida Dati, soulignant à cette occasion, rapporteLibération: «Ni Renault ni M. Jean-Dominique Senard ne disposent d’aucun élément susceptible d’apporter la preuve de ses prétendues prestations, et Mme Rachida Dati le sait parfaitement puisqu’elle-même est dans l’incapacité depuis 2019 de les fournir.»
Photographie : Rachida Dati, ministre de la Culture (Laurent Vu / Ministère de la Culture et de la Communication, CC BY-SA 3.0 FR) et Carlos Ghosn, alors PDG de l’Alliance Renault-Nissan, en 2017 (Forum Économique Mondial, CC BY-NC-SA 2.0)
Par Antoine Oury
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